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Le chemin d’épines de la médiation. Par Françoise Housty et Pierrette Aufière, Médiatrice.
Parution : vendredi 3 juin 2016
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Les « médiateurs de justice », la « liste » de la cour d’appel et la « tentative » de médiation ...
La floraison des textes sur la médiation en ce printemps législatif, entre ceux d’ores et déjà plus que discrètement effectifs, et ceux qui risquent d’ être malencontreusement votés, pourrait apparemment ressembler à un bouquet de roses mais les épines y sont trop nombreuses.

Tout d’abord par voie d’un simple décret, est modifié l’article 131-12 du Code de procédure civile qui instaure « le constat d’accord établi par médiateur de justice » (article 131-12 modifié par décret n°2016-514 du 26 avril 2016 - art. 20).

A tout moment, les parties, ou la plus diligente d’entre elles, peuvent soumettre à l’homologation du juge le constat d’accord établi par le médiateur de justice. Le juge statue sur la requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties à l’audience. L’homologation relève de la matière gracieuse.
Les dispositions des deux alinéas précédents s’appliquent à l’accord issu d’une médiation conventionnelle intervenue alors qu’une instance judiciaire est en cours.

Cette dénomination maladroite du médiateur, d’une part renforce la confusion entre celui-ci et le conciliateur de justice, d’autre part initie quasiment un statut, privilégié, noble et différent du médiateur conventionnel, voire du médiateur désigné en application de la loi du 8 février 1995, couramment nommé médiateur judiciaire, dont la dénomination vient d’ailleurs de disparaître de l’article 22 de cette loi au vu de la réforme en cours.

Le médiateur dit de « justice » est également consacré dans ce texte comme le rédacteur du « constat d’accord », ce qui revient à lui conférer un rôle de rédacteur d’acte sous-seing privé totalement incompatible sinon illicite au vu des textes existants déjà en la matière savoir la loi du 31 décembre 1971 spécifiquement relative à l’établissement de ces documents.

Par ailleurs l’homologation qui pourrait alors en être sollicitée de manière totalement unilatérale par voie de requête présentée par une seule des parties auprès du magistrat, ne saurait que créer des difficultés telles qu’elles existaient déjà en application de l’ancien article 1441-4 du Code de procédure civile.

Objet de nombreuses jurisprudences plus que critiques sanctionnant cette pratique, ce texte avait été abrogé lors de la création des articles 1530 à 1535 du Code de procédure civile consacrés à la médiation conventionnelle, dont les termes sont d’ailleurs en contradiction avec l’article 131-12 susvisé (article à paraître AJ famille Dalloz juin 2016).

Et à ce stade de l’évolution des textes présentés à l’Assemblée nationale, vient se surajouter à cette notion de médiateur de justice, celle de la création d’une « liste » de ces médiateurs, laquelle, au vu du premier amendement présenté, était similaire à la liste des experts, avec toutes les incompatibilités qui en découlaient (prestation de serment, de rédaction de rapport, avis donné etc.)

Pour pallier cette difficulté et les remous qu’elle soulevait le législateur a reporté le problème et laisse donc aujourd’hui dans le flou des conditions d’établissement de cette liste puisque le texte résultant des délibérations de l’Assemblée nationale dans sa rédaction toute fraîche du 18 mai 2016 prévoit :

Art. 22-1 A. – I. – « Il est établi, pour l’information des juges, une liste des médiateurs dressée par chaque cour d’appel, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’État pris dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° ..du... de modernisation de la justice du XXIème siècle . »

Rien ne garantit donc que dans leur choix et leur fonction, ces médiateurs seront plus protégés ou moins malmenés que dans le projet initial ; rien ne sera donc connu à ce jour sur les conditions de cette véritable « élection » dans un milieu judiciaire de celui qui pourrait alors devenir plus un auxiliaire de justice que de demeurer un professionnel autonome et indépendant.

S’assurer des compétences et qualités personnelles du médiateur en rendant visible au corps judiciaire les personnes vers qui les magistrats pourront se tourner en confiance et en sécurité pour toutes mesures de médiation, est en soi une avancée intéressante, participant ainsi à baliser qualitativement le chemin de la médiation judiciaire.

Mais pour que la bonne intention ne se transforme en un chemin impraticable pour le médiateur, avant toute qualification, il serait indispensable de se pencher de manière approfondie sur la création d’un texte concernant le statut professionnel du médiateur, sans qu’il ne soit nécessaire de fixer artificiellement des hiérarchies apparentes, et il serait tout aussi nécessaire de se préoccuper des qualités des formations et des compétences qui en résultent.

Enfin il ne faut pas omettre, toujours dans le projet de loi, l’expérience qui doit être renouvelée, pour instaurer une « tentative de médiation » préalable à la saisine du magistrat, tel qu’il résulte du texte résultant des délibérations de l’Assemblée nationale du 18 mai 2016.

À titre expérimental et jusqu’au 31 décembre de la troisième année suivant celle de la promulgation de la présente loi, dans les tribunaux de grande instance désignés par un arrêté du ministre de la Justice, les dispositions suivantes sont applicables, par dérogation à l’article 373-2-13 du Code civil.

Art. 373-2-13. – « Les décisions fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ainsi que les dispositions contenues dans la convention homologuée peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le
juge, à la demande du ou des parents ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non.
Toutefois, à peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d’une tentative de médiation familiale, sauf :
1° Si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l’homologation d’une convention selon les modalités fixées à l’article 373-2-7 du Code civil ;
2° Si l’absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;
3° (nouveau) Si des violences ont été commises par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant. »

On peut s’interroger sur cette dénomination de « tentative pour la médiation familiale » : nous avions d’abord l’injonction de rencontrer un médiateur familial, qui n’était suivie d’aucune sanction si elle n’était pas respectée, nous aurons maintenant à démontrer ce qu’est une tentative (article à paraître AJ famille Dalloz juin 2016).

En effet on se retrouve ici confronté aux mêmes dispositions que celles résultant de l’article 1360 du Code de procédure civile sur les procédures de partage, qui prévoit l’irrecevabilité de l’assignation introductive d’instance.

Les conséquences de cette irrecevabilité seront-elles analysées par la jurisprudence comme elles l’ont été pour l’article 1360 susvisé ?

Sans omettre comment les magistrats vont analyser cette notion de « tentative » en la matière de médiation…

Sans préjudice de la condition de « motif légitime » qui justifierait que l’on ne recoure pas (dans le texte il ne s’agit plus alors d’ une tentative de médiation) mais à la « médiation » tout court...

Et enfin l’argument des violences vis-à-vis de l’autre parent qui exclurait la possibilité d’effectuer une médiation familiale va-t-il être considéré comme s’imposant en la matière de toutes médiations ou va-t-il être réservé aux médiations judiciaires ?

En effet la loi a déjà modifié l’article 373-2-10 du Code civil en ajoutant à ce dernier les précisions suivantes : au dernier alinéa de l’article 373-2-10 du Code civil, après le mot, « enjoindre », sont insérés les mots : « sauf si des violences ont été commises par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant ».

En d’autres termes le médiateur conventionnel pourra-t-il quand même œuvrer, comme il le fait déjà, s’il y a des violences dites intra conjugales, lesquelles selon leurs natures, n’empêchent pas toujours qu’un processus de médiation puisse se dérouler, à condition d’être formé pour cette approche spécifique.

Et il n’a même pas été évoqué ici tout ce qui concerne la médiation insérée dans le Code de justice administrative !

Alors trop de médiation ne finirait elle pas par nuire à la médiation ?

Cela nous conforte dans la nécessité que le législateur veuille bien être accompagné par des médiateurs pour une rédaction conforme aux principes déontologiques, à l’esprit et aux fondements de la médiation, que soit reconnu ainsi la spécificité de cette dernière dans le paysage des modes alternatifs de règlements des différends.

Pierrette AUFIERE Françoise HOUSTY
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