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Réforme du droit des obligations : focus sur la détermination unilatérale du prix (articles 1164 et 1165 nouveaux). Par Guillaume Mallen, Avocat.
Parution : lundi 6 juin 2016
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L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations consacre la détermination unilatérale du prix dans les seuls contrats cadre et de prestation de service (articles 1164 et 1165 nouveaux du Code civil). Avant d’envisager sommairement le nouveau dispositif (II), il n’est pas inutile de revenir sur la jurisprudence qui a inspiré celui-ci et, plus précisément, celle relative aux contrats cadre (I).
Article vérifié par son auteur en avril 2024.

I - La détermination du prix : la saga jurisprudentielle

A la différence du droit de la vente, le droit commun des obligations ne comporte pas de dispositions spécifiques sur le prix. Cependant, des dispositions du Code civil conditionnent la validité de tout contrat au respect de certaines exigences générales applicables au prix. C’est le cas des dispositions relatives à l’objet et à la matière des contrats (article 1108 et articles 1126 à 1130 anciens du Code civil).

Ainsi, l’article 1108 ancien du Code civil prévoit 4 conditions de validité pour tout contrat dont un « objet certain qui forme la matière de l’engagement ». [1] L’article 1129 ancien du Code civil impose que l’objet de l’obligation soit suffisamment déterminé ou déterminable [2].

Il ressort de l’ancien article 1129 du Code civil que les parties doivent prévoir au sein de leur contrat un prix déterminé ou déterminable. A défaut, le contrat est nul.

Une problématique est apparue lors de l’avènement de la distribution moderne et des premiers contrats cadre. En effet, les contrats cadre sont des accords par lesquels des parties conviennent les caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d’application sont conclus a posteriori. L’exigence d’un prix déterminé ou déterminable devait-elle également s’appliquer aux contrats-cadre de distribution, lesquels ne comportent pas en eux-mêmes une obligation pour le débiteur de payer une somme d’argent ?

La jurisprudence a alors connu plusieurs évolutions sur le fait de savoir s’il convenait d’annuler ou non ces contrats pour indétermination du prix.

1ère étape : l’assimilation des contrats-cadre aux contrats de vente

A l’origine, la jurisprudence assimilait les contrats-cadre aux contrats de vente. Ils étaient donc soumis aux articles 1591 et 1592 du Code civil et, par conséquent, à l’exigence d’un prix déterminé ou à tout le moins déterminable (Com. 27 avr. 1971, n°70-10752, Esso ; Com. 12 févr. 1974, n°72-13959, Brasserie du Coq).. A défaut de remplir cette exigence, les contrats cadre étaient nuls. Ainsi, une clause déterminant le prix en référence aux « tarifs du fournisseur » ne pouvait suffire à déterminer le prix. La solution était donc très favorable aux distributeurs.

Cependant, cette jurisprudence était contestée au motif que les contrats-cadre ne réalisaient pas directement une vente, mais se contentaient d’organiser, souvent dans le cadre d’une exclusivité, les échanges entre les deux partenaires. L’assimilation à la vente était donc juridiquement inexacte.

2ème étape : les contrats-cadre doivent respecter les conditions du droit commun des obligations

La deuxième étape n’a pas opéré de modification radicale. La solution rendue est en effet analogue à la jurisprudence précitée mais elle est rendue cette fois au visa de l’article 1129 ancien du Code civil (Com. 11 oct. 1978, 3 arrêts concernant des brasseurs). Si le contrat-cadre n’est plus assimilé à un contrat de vente, l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable demeure. Par exemple, une clause qui fait référence au « prix du marché » ne permet pas d’avoir un «  élément de référence sérieux, précis et objectif ». Dans cette hypothèse, le prix n’est donc pas déterminé ou déterminable.

Au titre des deux premières étapes (et que les décisions rendues soient fondées sur l’article 1591 ou l’article 1129 du Code civil), les contrats-cadre étaient donc annulés pour indétermination du prix. Cette solution a été confirmée et étendue à de nombreuses figures contractuelles, notamment, aux contrats d’approvisionnement exclusif (Com. 21 mars 1983, n°81-16.770) ; aux contrats de concession commerciale ; aux contrats de distribution exclusive (Com., 11 juin 1981, n°80-10.483), à un contrat de franchise (Com. 12 janv. 1988, n°86-12838) ou à un contrat d’entretien téléphonique (Com. 1er déc. 1981, n°79-16.147). La position était sévère car la nullité prononcée était absolue (Com. 9 mai 1985, n°83-16.578, n° 83-16.823), la jurisprudence ayant même pu décider que la nullité du contrat-cadre affectait la validité des contrats d’application (Com. 23 juin 1992, n° 90-18.951).

3ème étape : les nuances apportées par la jurisprudence

La première nuance est intervenue dès 1987 où la chambre commerciale a procédé à une distinction entre les contrats donnant obligation de donner (soumis à l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable) et les contrats donnant obligation de faire (pour lesquels un prix objectivement déterminable n’est pas requis) (Com. 9 novembre 1987, n°86-13984).

Cette nuance a été affirmée plus nettement à partir de 1991.

Dans une affaire, (Com. 22 janvier 1991, n°88-15961), une société A avait concédé par 2 conventions à une société B l’exclusivité de la distribution de ses fabrications contre l’engagement de cette dernière de réaliser un chiffre d’affaires minimum et d’observer certaines modalités de paiement. La société B a estimé que la société A avait violé la clause d’exclusivité et a demandé sa condamnation au paiement de dommages-intérêts tandis que la société A invoquait la nullité de ces conventions. La cour d’appel avait prononcé la nullité des conventions en considérant que « dès lors que le contrat de concession commerciale comporte l’engagement du concédant de livrer ses marchandises et celui du concessionnaire de payer un prix pour les produits qu’il reçoit, ce prix doit être sinon déterminé du moins déterminable dès l’origine ».

L’arrêt a été cassé par la Cour de cassation :
« Attendu qu’en se déterminant ainsi, après avoir relevé que le contrat avait pour objet d’assurer l’exclusivité de la distribution des produits de la société A par la société B, c’est-à-dire essentiellement des obligations de faire et alors que ce contrat ne s’identifiait pas avec les contrats de vente successifs nécessaires à sa mise en œuvre comportant essentiellement des obligations de donner pour lesquelles il n’est pas allégué que la convention s’opposait à ce que les prix de vente fussent librement débattus et acceptés par les parties, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

La solution a été confirmée dans un autre arrêt de 1991 (Com. 29 janvier 1991, n°89-16.446) s’agissant de contrats de location et d’entretien de linge et de vêtements de travail :

« Mais attendu que, dans les contrats n’engendrant pas une obligation de donner, l’accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel de la formation de ces contrats ; Attendu, en l’espèce, que l’arrêt relève que les conventions litigieuses comportaient à la charge de la société AS les obligations de louer et d’entretenir des vêtements de travail, ce dont il résulte que l’article 1129 du Code civil était inapplicable aux contrats litigieux ».

Notons que la confirmation de la solution à propos de contrats de location et d’entretien de linge, simples prestations de services, n’était pas nouvelle. Dans le cadre du louage d’ouvrage (contrat d’entreprise), il n’est pas obligatoire que le prix soit déterminé au moment de la conclusion du contrat. La jurisprudence a ainsi considéré qu’un « accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature et que les juges peuvent, en cette hypothèse, la fixer compte tenu des éléments de la cause » (Civ. 1ère, 15 juin 1973, n°72-12.062) Dès lors, l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix (Civ. 1ère, 20 févr. 1996, n°94-14.074).

La position nouvelle de la chambre commerciale a été, par la suite, confirmée dans des arrêts rendus postérieurement les 2 et 16 juillet 1991. Toutefois, d’autres décisions continuaient d’appliquer l’ancienne solution, ce qui suscitait une certaine ambiguïté sur la question et une profonde insécurité juridique pour les opérateurs économiques.

Notons que si la chambre commerciale a bien fait application dans ces arrêts d’une distinction entre les contrats ayant « pour objet essentiellement des obligations de faire » et les autres, elle prend bien soin, parallèlement, de faire état de ce qu’il n’était pas allégué ou établi que « la convention s’opposait à ce que les prix de vente fussent librement débattus et acceptés par les parties ». Dès lors, la Chambre commerciale n’a en réalité jamais entendu admettre la validité de conventions dont l’économie mettrait l’une des parties à la discrétion de l’autre, libre de fixer arbitrairement les prix des ventes d’exécution. Ces derniers doivent, en application des stipulations contractuelles, pouvoir être librement acceptés par l’autre partie. Il n’en reste pas moins que certains au moins des arrêts analysés ci-dessus ont admis la validité de conventions dans lesquelles, en raison d’une clause d’exclusivité d’approvisionnement ou de fourniture, les prix ne pouvaient certainement pas, en fait, être librement acceptés, dans la mesure où l’une des parties n’avait pas la liberté de ne pas acheter ou vendre.

Toutefois, cette distinction entre « obligation de faire » et « obligation de donner » était insatisfaisante sur le plan juridique, la distinction entre ces deux catégories d’obligations n’était pas toujours très aisée à réaliser, la plupart des contrats en cause comportant l’une et l’autre.
Sur le plan économique, la solution créait en outre une profonde insécurité juridique, s’agissant notamment des contrats de fourniture exclusive (par exemple, dans le domaine pétrolier) qui étaient, dès lors, exposés à la nullité. Les techniques utilisées par la Cour de cassation pour tenter de circonscrire le périmètre de l’annulation s’étant révélées inadaptées, cette dernière a fini par abandonner sa jurisprudence.

4ème étape : l’amorce d’un revirement : les 2 arrêts « Alcatel »

Dans la première espèce (Civ. 1ère, 29 novembre 1994, n°91-21009), il s’agissait de conventions de fourniture et d’entretien d’une installation téléphonique. La cour d’appel avait considéré que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une « plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ». La Cour de cassation a censuré la cour d’appel en considérant que « portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Dans la seconde espèce (Civ. 1ère, 29 novembre 1994, n°92-16267), un contrat de location pour une installation téléphonique prévoyait, notamment, que toute extension de l’installation ferait l’objet d’une plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur. La cour d’appel de Besançon avait rejeté la demande du locataire tendant à voir annuler le contrat pour indétermination du prix. La Cour de cassation a confirmé l’appréciation des juges du second degré :

« Mais attendu que la cour d’appel a souverainement retenu que le contrat principal avait pour objet une installation téléphonique dont la redevance de location était clairement déterminée, et que les extensions, réalisées à la demande du locataire, feraient l’objet d’un avenant en précisant le coût exact en vertu du tarif en vigueur ; que de ces motifs, desquels il résulte que le prix des extensions était déterminable par référence au tarif, alors qu’il n’était pas allégué que la société GST Alcatel Est eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son prix dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter la convention de bonne foi, la cour d’appel a pu déduire que le contrat était valable ; qu’elle a ainsi, sur ce point, légalement justifié sa décision ».

Il en résultait que par application de l’article 1129 du Code civil, le prix devait toujours être déterminable mais que le juge n’avait, en revanche, plus le pouvoir de vérifier son « objectivité ». En l’espèce, la référence aux tarifs suffisait à rendre ce prix déterminable. Dès lors, une sanction ne pouvait être envisagée que dans l’hypothèse où l’une des parties aurait abusé de sa situation pour majorer le prix dans le but d’en tirer un profit illégitime, méconnaissant ainsi son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi.

5ème étape : le revirement de jurisprudence - les arrêts de 1995

Le 1er décembre 1995, l’Assemblée plénière a eu l’occasion de rendre 4 arrêts fondateurs qui concernaient des contrats-cadre très divers : un contrat de location entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée (la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonnée seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur : n°91-15578) ; un contrat de location-entretien relative à l’installation téléphonique de bureaux (n°91-15999) ; un contrat d’installation téléphonique (la convention prévoyant que toute extension d’une installation initiale fera l’objet d’une plus-value de la redevance de location, déterminée par référence à la hausse des prix intervenue chez le fournisseur, depuis la dernière fixation ayant servi de base : n°93-13688) et un contrat de franchise (une clause du contrat faisait référence au tarif en vigueur au jour des commandes d’approvisionnement : n°91-19653).

Les solutions rendues par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation sont les suivantes :

Les enseignements des 4 arrêts rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation sont les suivants :

6ème étape : la consolidation du revirement de 1995

Les solutions de 1995 ont été appliquées à de nombreux contrats : contrats de location-gérance de fonds de commerce (Com. 10 févr. 1998, n°95-21.906) ; concession exclusive [3] ; contrat de franchise (Com. 27 janv. 1998, n°96-11.874) ; location de matériel (Com. 17 juill. 2001, n°99-13.553) ; dépôt-vente (Com. 25 avr. 2001, n° 98-13.101), etc.

La Cour de cassation est allée jusqu’à affirmer de manière générale que « l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix en toute matière » (à propos d’une clause prévoyant le remboursement anticipé d’un prêt : Civ. 1ère, 12 mai 2004, n°03-13847). En n’appliquant pas l’article 1129 du Code civil à la détermination du prix, la jurisprudence permet en réalité, sauf dispositions particulières, à l’une des parties de fixer unilatéralement le prix.

II - La détermination du prix : la consécration légale

S’agissant des contrats cadre, l’article 1164, alinéa 1er nouveau du Code civil dispose que :

« Dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation ».

Au sens du texte, deux conditions sont exigées :

L’obligation de motivation permet de protéger les intérêts du débiteur mais les modalités d’encadrement de cette obligation ne sont pas, pour le moment, précisées. Il s’agit d’une nouveauté comparativement à la jurisprudence de 1995.

L’article 1164, alinéa 2 nouveau du Code civil dispose que :
« En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat ».
Le mécanisme instauré permet donc de sanctionner l’abus dans la fixation du prix (reprise de la jurisprudence de 1995).

Dans les contrats de prestation de service, l’article 1165 nouveau du Code civil prévoit un mécanisme quasi-analogue :
« Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme envisagé supra , la faculté pour le créancier de fixer unilatéralement un prix dans le cadre d’un contrat de prestation de service n’est pas nouvelle. Ici, il s’agit de la consécration légale de la jurisprudence relative au contrat d’entreprise considérant que le prix n’est pas un élément essentiel de ce contrat. Rappelons qu’en cas de louage d’ouvrage, l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix [Civ. 1ère, 20 févr. 1996, n°94-14.074].

A l’instar de l’article 1164, alinéa 2 nouveau du Code civil, le créancier devra motiver le montant du prix fixé unilatéralement en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une seule demande en dommages et intérêts (et non d’une demande de résolution du contrat comme le prévoit l’article 1164, alinéa 2 et encore moins la fixation judiciaire du prix, comme le prévoyait le projet d’ordonnance). En outre, dans les contrats de prestation de service, le créancier ne peut fixer unilatéralement son prix qu’à défaut d’accord préalable entre les parties, ce qui n’est pas le cas pour les contrats-cadre de l’article 1164.

La qualification du contrat est donc capitale puisqu’elle conditionne la possibilité de fixer unilatéralement le prix, celle-ci n’étant offerte qu’à ceux figures contractuelles.

Avocat à la Cour | Docteur en droit | Droit économique (concurrence, distribution, consommation et commercial). [->guillaumemallenlaw @gmail.com]

[1Cette disposition est reprise dans l’ordonnance, l’article 1128 nouveau exigeant « un contenu licite et certain ».

[2Ce principe a été repris à l’article 1163 nouveau du Code civil : « L’obligation a pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable. La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire »

[3Com. 11 juin 1996, n°94-16866 : « Mais attendu que la clause d’un contrat de concession donnant au fournisseur la faculté de modifier unilatéralement le prix des produits que le distributeur s’est engagé à acheter n’affecte pas la validité de ce contrat, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation »

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