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Conciliation conventionnelle obligatoire préalable à la saisine du T.I adoptée par le Parlement : un pari risqué… Par Christophe M. Courtau, Juriste.
Parution : mardi 7 juin 2016
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« Accord vaut mieux que plaid » ?

Oui ont répondu les parlementaires qui ont adopté, en première lecture selon la procédure accélérée demandée par le gouvernement, le projet de loi n° 661 portant application des mesures relatives à la Justice du XXI siècle déposé le 31 juillet 2015, devant le bureau du Sénat et notamment son article 3 qui impose une tentative de conciliation conventionnelle par un conciliateur de justice préalablement à la saisine du T.I pour les litiges d’un montant inférieurs à 4.000 euros [1].

Ce projet de loi s’inscrit dans la suite logique de 2 autres textes importants : d’une part, le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends imposant à tout justiciable de justifier dans l’acte introductif d’instance, de « ses diligences aux fins de tentative de règlement amiable de son différend », formalité non prescrite à peine de nullité [2] ; d’autre part, le décret n° 2016-514 du 26 avril 2016 relatif à l’organisation judiciaire, aux modes alternatifs de résolution des litiges et à la déontologie des juges consulaires qui porte la durée de la mission du conciliateur de justice en cas de délégation judiciaire de 2 à 3 mois [3] et qui change la dénomination du médiateur en médiateur de justice [4], ce qui contribue à renforcer la confusion entre conciliateur de justice et médiateur, ce que déplorent certaines personnalités qualifiées comme Mesdames Guillaume-Hofnung et Lopez-Eychenié [5].

Le Parlement en profite pour confirmer la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2017 aux articles 3 et 54 de la loi sans supprimer les juges éponymes, consacrant les tribunaux d’instance comme juridiction de proximité « naturelle » mais aussi transférant, de facto, une partie de l’activité des juridictions de proximité gratuitement vers les conciliateurs de justice, auxiliaires de justice bénévoles et ainsi « désengorger » , à moindre coût, les T.I d’une partie de leur contentieux qualifié à tort, de « petits litiges ».

La tentative de conciliation conventionnelle obligatoire préalablement à la saisine du T.I pour les litiges de moins de 4.000 euros constitue un pari risqué notamment s’agissant les difficultés relatives à sa mise œuvre (A) mais pose aussi la question de la légitimité de son caractère contraignant s’agissant d’un mode de règlement amiable par nature non obligatoire (B) ainsi que de son domaine d’application, les « petits litiges du quotidien de moins de 4.000 euros », notion floue et ambigüe par excellence (C).

A/ La mise en œuvre de la conciliation conventionnelle obligatoire : un pari risqué faute de moyens matériels et de formation suffisants accordés aux conciliateurs mais aussi de son statut peu attractif.

Si le sénateur Yves Detraigne et le député Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs du projet de loi J21 devant le Sénat et l’Assemblée nationale louent le rôle « primordial de la médiation et de la conciliation » , ils émettent aussi des réserves s’agissant de la conciliation et du conciliateur de justice, notamment sur :

« (…) L’accroissement de la charge des conciliateurs de justice, soit une hausse de leur activité de 33 %, ces derniers au demeurant très mal répartis sur le territoire (de 3/100.000 habitants en moyenne). (...) Des difficultés à absorber cette nouvelle charge et s’interrogent aussi sur la capacité du ministère de la Justice à attirer de nouveaux candidats pour cette fonction bénévole et en manque de reconnaissance. En outre, l’absence de formation obligatoire des conciliateurs constitue un obstacle de plus à l’efficacité du dispositif proposé. Rappelons en effet qu’en 2014, seuls 762 conciliateurs ont suivi un module de formation dédié à l’école nationale de la magistrature (...) » [6]

Le rapport du Sénat et l’étude d’impact du projet de loi évoquent aussi :
« (…) L’âge des conciliateurs qui augmente, la moyenne d’âge se situe entre 66 et 70 ans, mais 17,5 % des conciliateurs ont plus de 76 ans ; L’absence de mixité des profils des conciliateurs, quasiment tous les conciliateurs sont retraités. Ce mode de recrutement ne favorise pas une mixité des profils, alors même que les contentieux exigent des compétences diversifiées. »

Enfin, des propositions de la Garde des Sceaux jugées insuffisantes pour susciter des vocations : « (...) Certes, une amélioration des conditions de leur défraiement, qui ne permettent pas actuellement de couvrir les frais engagés, ainsi qu’une amélioration de leurs conditions matérielles d’exercice, comme l’a annoncé Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, lors de son audition par votre commission, pourrait constituer une incitation à se porter candidat à ce type de fonctions, mais votre rapporteur doute que cela suffise. » [7].

Ce constat très sévère sur l’institution du conciliateur de justice appelle une réforme urgente de son statut afin de répondre aux nouvelles exigences de la loi J21 qui vont au-delà de la mission bénévole « de bonne volonté du conciliateur », mais aussi mettre un terme à la confusion entre conciliation et médiation conventionnelles proposées par différents intervenants privés et publics à l’accès gratuit ou payant, les justiciables ne sachant plus vers qui se tourner, le conciliateur de justice n’ayant plus le monopole de l’accès gratuit.

B/ La conciliation conventionnelle obligatoire préalable à la saine du T.I : une mesure contraire à la nature même de tout mode amiable fondée sur l’accord des parties.

Il convient de distinguer la conciliation conventionnelle (art. 1528 et 1530 du C.P.C) dont relèvera la conciliation préalable obligatoire de l’article 3 de la loi J 21 de la conciliation judiciaire déléguée par le juge à un conciliateur (art 128, 129, 834 et 845 du C.P.C) notamment au regard du rôle, de la posture et du statut du conciliateur de justice : concernant la première, le rôle du conciliateur se rapproche de celui du médiateur indépendant agissant plus comme un facilitateur que comme auxiliaire de justice placé sous l’autorité du juge, sans pouvoir d’injonction, ni de contrainte ni de conseil ou de proposition destiné à influencer les parties. Mais s’agissant de la seconde, le conciliateur de justice agit plus comme un auxiliaire de justice sous le contrôle du juge et moins comme un médiateur facilitateur indépendant et neutre.

Cette double compétence et rôle du conciliateur est la conséquence de son statut actuel hybride voire ambigu à savoir, auxiliaire de justice indépendant proche du médiateur pour la conciliation conventionnelle et auxiliaire de justice proche d’un juge de paix sous l’autorité judiciaire pour la conciliation judiciaire, statut qu’il conviendrait de clarifier.

Vouloir rendre obligatoire un processus conciliatoire conventionnel conduit par un tiers intervenant, le conciliateur, c’est-à-dire en dehors de tout cadre judiciaire, est non seulement, contraire à la nature même de tout processus amiable contractuel fondée sur le consentement libre et éclairé des parties en litige mais aussi peu efficace en terme de résultat comme l’atteste la conciliation préalable obligatoire devant le bureau de conciliation (rebaptisé bureau de conciliation et d’orientation) du CPH (environ 7 % de succès).

Il est à craindre que cette tentative préalable de conciliation devenant obligatoire avant toute saisine du tribunal d’instance ne devienne qu’une simple formalité vidée de toute sa substance pour certains justiciables ne souhaitant pas concilier. Cela est parfois déjà le cas pour le décret du 11 mars 2015 précité, certains justiciables saisissant le conciliateur en conciliation conventionnelle juste pour « obtenir, sur les conseils de leur avocat ou de leur protection juridique, un bulletin de non conciliation » afin de satisfaire à l’exigence issue de ce décret, de justifier dans l’acte de saisine de la juridiction, « de ses diligences aux fins de tentatives de règlement amiable de son différend ».

C/ La conciliation conventionnelle obligatoire pour « les petits litiges » : la confusion entre son faible montant, son ressenti par la victime et sa qualification juridique.

Le terme de « petit litige » ambigu et imprécis n’est pas utilisé par notre droit positif, l’article 1er du décret du 20 mars 1978 modifié en 1996 instituant les conciliateurs de justice, préférant celui de « règlement amiable des différends » sans utiliser l’adjectif « petit ».

Le C.P.C ne prend en compte le montant du litige uniquement pour déterminer d’une part, la compétence matérielle des juridictions civiles (jusqu’à 4.000 euros pour la juridiction de proximité, de 4.001 euros à 10.000 euros pour le tribunal d’instance et plus de 10.000 euros pour le tribunal de grande instance) et d’autre part, le recours ou non à la voie de l’appel (taux de ressort : plus de 4.000 euros en matière civile, commerciale et prud’homale).

Ensuite, un litige « petit » par son montant n’est pas toujours synonyme de « petit litige » sur un plan juridique, certains pouvant poser une question de droit difficile, notre droit positif (interne et européen) devenant de plus en plus complexe (règles de preuve, droit de la consommation, résolution/résiliation d’un contrat, reconnaissance de dette, inconvénient anormal de voisinage, responsabilité civile délictuelle, quasi contrat….) étant source de nombreuses difficultés ou pièges juridiques.

Enfin, un litige quel que soit son montant même minime, n’est jamais un « petit litige » pour le justiciable. Un litige qui paraît « dérisoire » à celui qui ne le subit pas, peut avoir des répercussions psychologiques et physiques désastreuses pour la ou les victimes. De même ce qui paraît « petit » pour un justiciable ne l’est pas pour un autre tout comme ce qui est équitable pour l’un ne l’est pas automatiquement pour l’autre.

Réserver les modes amiables aux « petits litiges » et donc à une solution en équité mise en œuvre par des auxiliaires de justice bénévoles peu formés et les « grands litiges » au règlement juridictionnel et à une solution en droit, repose non seulement sur des notions inexactes mais aussi pouvant conforter les justiciables dans l’idée d’une justice à « 2 vitesses ».

L’institution du conciliateur et de la conciliation, héritière des juges de paix de 1791, piliers de la justice de proximité citoyenne notamment au 1er janvier 2017, mérite mieux que son statut actuel. La création d’un conciliateur juge de proximité à compétence juridictionnelle limitée qui a été proposée dans le dernier rapport du ministère de la Justice [8], exprime une volonté de renouveau et de modernité de cette institution.

Enfin, le législateur et les juridictions peuvent-ils, faute de moyens suffisants attribués au service public de la justice, solliciter toujours plus les conciliateurs bénévoles retraités, en leur attribuant de nouvelles compétences relevant normalement des juges et auxiliaires de justice professionnels, sans les doter, enfin, d’un statut moderne, attractif et protecteur ?

Christophe M. COURTAU Diplômé d'études supérieures en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

[1Article 3 : « À peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ;
3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime. »

[2Articles 56 et 58 du C.P.C issus du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends.

[3Article 18 du décret n° 2016-514 du 26 avril 2016 modifiant l’art. 129-2 du CPC

[4Article 20 du décret n° 2016-514 du 26 avril 2016 modifiant l’alinéa 1 de l’art. 131-12 du CPC

[5Appel du 5 mai 2016, de Madame Guillaume-Hofnung à la mobilisation contre le flou terminologique sur la médiation in http://www.mediateurseuropeens.org/Texte-de-mobilisation-de-Madame-le-Professeure-Michele-Guillaume-Hoffnung_a219.html ; Alerte de Dominique Lopez-Eychenié du 17 mai 2017.

[7Rapport n° 121 du 28 octobre 2015 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle.

[8Rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires sur le développement des M.A.R.D d’avril 2015 (n°22-15) in www.justice.gouv.fr.

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