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La contrefaçon à l’ère du numérique. Par Blandine Poidevin, Avocat, et Christine Vroman, Elève-avocat.
Parution : mercredi 8 juin 2016
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La contrefaçon peut être définie comme la violation d’un droit de propriété intellectuelle. Elle désigne, notamment, le fait de reproduire, imiter, utiliser ou copier, de manière totale ou partielle, et sans autorisation : une marque, une invention protégée par un brevet, une création protégée par un dessin et modèle ou une œuvre protégée par un droit d’auteur ou par un droit voisin.

La contrefaçon représente, aujourd’hui, un marché considérable. En effet, le rapport publié conjointement par l’OCDE et l’EUIPO [1] le 18 avril dernier, estime la valeur mondiale des importations de biens contrefaits à 461 milliards de dollars en 2013, soit près de 2,5 % des importations mondiales et 5 % des importations de l’Union européenne.

Le commerce électronique apparaît comme un vecteur d’approvisionnement privilégié avec près de 1,5 millions de saisies réalisées dans le fret postal et express en France en 2013 [2], à la suite de commandes effectuées sur Internet.
En outre, le développement de l’Internet a suscité de nouvelles formes de contrefaçon. On peut citer la contrefaçon de marque par réservation d’un nom de domaine ou d’un mot-clé (Adwords), la contrefaçon de droits d’auteur par streaming ou téléchargement illégal et la contrefaçon de bases de données, de logiciels et d’œuvres multimédia (sites web, jeux vidéo, CD-Rom etc.).

Enfin, la contrefaçon ne se limite plus aux secteurs du luxe et du textile et touche, désormais, des produits tels que le tabac, les médicaments, les pièces automobiles ou encore les produits dits « high tech », que les consommateurs peuvent acheter sur Internet.
En conséquence, Internet apparaît comme un terrain propice à la contrefaçon, en ce qu’il offre des moyens de promotion significatifs, rend la contrefaçon difficilement détectable par les autorités et limite le risque d’identification du contrefacteur [3].
Néanmoins, les législations française et européenne ont mis en place divers mécanismes de lutte contre la cyber-contrefaçon.

Les moyens d’identification du contrefacteur

Afin de faciliter l’identification du contrefacteur, nécessaire à la mise en œuvre de toute action en justice, la loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) [4] permet au juge d’ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet et aux hébergeurs la communication des données d’identification qu’ils ont en leur possession.
Les fournisseurs d’accès à Internet et les hébergeurs ont, en effet, l’obligation de détenir et de conserver, pendant un an, les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont ils sont prestataires [5]. Il s’agit principalement des données et des identifiants de connexion ainsi que des informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou la création d’un compte [6].

Ainsi, sur le fondement de la LCEN, la victime d’une contrefaçon peut soumettre au juge compétent une requête motivée aux fins de communication des données d’identification. Si le juge fait droit à cette demande, il rend une ordonnance par laquelle il autorise la communication, par les intermédiaires, des données d’identification du contrefacteur.

La jurisprudence se montre sévère à l’égard des intermédiaires qui refusent de communiquer les données d’identification de l’auteur présumé d’une infraction. A titre d’exemple, Twitter a été contraint de communiquer les données d’identification de l’auteur de la création d’un faux profil sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; Google Ireland s’est vu imposer la communication des données d’identification de l’auteur d’un détournement de revenus publicitaires, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard et Bouygues Télécom, qui invoquait une impossibilité légale, a été condamné pour refus abusif [7].

En outre, conformément à la loi Informatique et Libertés (LIL) et au Code de la propriété intellectuelle [8], les agents assermentés représentant les sociétés de gestion collective des droits d’auteur peuvent effectuer des constats de téléchargements illicites. Dans ce cadre, ils sont habilités à collecter des adresses IP afin de localiser les fournisseurs d’accès à internet et de permettre l’identification ultérieure des contrefacteurs.

La Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) estime que la collecte des adresses IP par les agents assermentés constitue un traitement de données à caractère personnel relevant de la LIL et nécessitant une déclaration préalable. Or, la jurisprudence a considéré que ces constats ne sont pas des traitements de données à caractère personnel nécessitant une déclaration préalable à la CNIL puisque l’adresse IP matérialise l’infraction mais n’identifie pas le contracteur et que la collecte n’est pas automatique mais manuelle [9].

La responsabilité des intermédiaires de l’Internet

Dans l’hypothèse d’une contrefaçon en ligne, la responsabilité des intermédiaires de l’Internet peut être recherchée. Les intermédiaires de l’Internet sont les prestataires qui « mettent en contact des tierces parties ou facilitent des transactions entre elles, sur l’Internet. Ils rendent accessibles, hébergent, transmettent et indexent sur l’Internet des contenus, produits et services provenant de tierces parties ou fournissent à des tiers des services reposant sur l’Internet ». [10]

Il s’agit, notamment, des hébergeurs, des moteurs de recherche, des fournisseurs d’accès à internet, des services de paiement, des acteurs de la publicité en ligne ou des opérateurs de nommage, attribuant ou gérant les noms de domaine.

Le régime de la responsabilité des intermédiaires est prévu par la LCEN [11] qui distingue le statut d’éditeur de celui d’hébergeur. L’éditeur est celui qui a connaissance du contenu publié sur son site, exerce un contrôle sur ce contenu et intervient dans la création ou dans la sélection du contenu diffusé. En raison de son rôle actif, l’éditeur a une obligation de surveillance du site et est responsable de tout contenu illicite, y compris contrefaisant, qui y serait diffusé.

Au contraire, l’hébergeur n’a pas connaissance du contenu publié et assure simplement le stockage ou la mise à disposition du contenu. Ainsi, compte tenu de son rôle passif purement technique, l’hébergeur n’a pas d’obligation générale de surveillance et bénéficie d’un régime de responsabilité allégée. En effet, il est uniquement tenu d’agir promptement pour retirer ou rendre impossible l’accès au contenu illicite, dès lors qu’il en a connaissance à la suite d’une notification.

La principale difficulté consiste à identifier, parmi les intermédiaires de l’Internet, ceux qui relèvent du statut de l’éditeur et ceux qui bénéficient du régime de responsabilité allégée des hébergeurs. Selon la jurisprudence, Dailymotion, YouTube et Google Adwords sont des hébergeurs [12] alors que eBay et un éditeur de presse en ligne sont des éditeurs [13].

La responsabilité de l’hébergeur pourrait être amenée à évoluer prochainement en France. En effet, en 2014, le Conseil d’État a proposé d’abolir la distinction fondée sur le rôle passif et technique de l’hébergeur, par opposition au le rôle actif de l’éditeur, pour instaurer une distinction fondée sur l’objet (fourniture d’un accès organisé, hiérarchisé ou personnalisé des contenus mis à disposition).

En 2015, la ministre de la Culture a confié au Conseil supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) la mission de corriger les effets négatifs du régime de responsabilité particulier accordé aux prestataires techniques et de créer une nouvelle catégorie juridique pour les plateformes.
En 2016, la loi pour une République numérique envisage la création des « intermédiaires de plateformes en ligne ». Ces intermédiaires seront soumis à un devoir de diligence consistant à prendre toutes les mesures raisonnables, adéquates et proactives afin de protéger les consommateurs et titulaires de droits de propriété intellectuelle contre la promotion, la commercialisation et la diffusion de contenus et produits contrefaisants.

Le rôle des institutions et autorités administratives

En France, diverses institutions et autorités administratives sont chargées de lutter contre la contrefaçon sur Internet.

Il s’agit, notamment, de la cyber-douane et des cyber-gendarmes, dont les agents sont spécialisés en nouvelles technologies. Les cyber-douaniers sont habilités à acheter des marchandises sur Internet, sous une fausse identité, afin d’obtenir des informations sur le réseau et remonter les flux financiers. Les cyber-gendarmes peuvent, quant à eux, initier une action pénale suite aux plaintes des victimes de contrefaçon et saisir les biens du cyber-délinquant [14].

S’agissant plus particulièrement de la lutte contre la violation des droits d’auteur et droits voisins sur internet, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) [15] a mis en place une procédure dite « de réponse graduée » qui repose sur l’envoi, par courrier électronique puis par lettre remise contre signature, de plusieurs messages d’avertissement aux titulaires des abonnements Internet. Cette procédure vise à sanctionner les échanges illicites d’œuvres protégées et peut aboutir, après délibération, à la transmission du dossier au parquet pour négligence caractérisée dans la sécurisation de son accès Internet (amende de 1 500 euros).

Néanmoins, dans son rapport publié en octobre 2015, le Sénat a sollicité la suppression de la HADOPI, considérant qu’elle n’a pas apporté la preuve de son efficacité en tant que gendarme de l’Internet et que les moyens de luttes contre le piratage à travers le mécanisme de la réponse graduée sont inopérants.

Concernant la lutte contre la contrefaçon de marques, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) recherche et constate les infractions. Suite aux réclamations de professionnels ou de consommateurs, elle réalise des enquêtes sur la voie publique et dans tous lieux à usage professionnel. A cette occasion, ses agents peuvent exiger la communication de documents et saisir des échantillons de produits suspects.

L’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (AFNIC) est engagée dans la lutte contre la contrefaçon de marque sur Internet. A ce titre, elle peut geler ou bloquer un nom de domaine contrefaisant, à la demande du juge ou dans le cadre de la résolution amiable d’un litige. En outre, elle met à disposition des ayants-droits des procédures extra-judiciaires de résolution des litiges et reçoit les demandes de levée d’anonymat ou de vérification des données relatives aux titulaires des noms de domaine.

Des outils préventifs et précontentieux

Afin d’anticiper et de prévenir la contrefaçon, le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle peut effectuer une demande d’intervention auprès des douanes, fondée sur le Règlement UE 608/2013 ou sur le Code de la propriété intellectuelle français. Cette démarche donne aux douanes la possibilité de retenir les marchandises suspectées de porter atteinte aux droits du demandeur.
Le titulaire peut également marquer ses produits pour assurer leur traçabilité et prouver leur authenticité ou mettre en place une veille afin de déceler d’éventuelles contrefaçons [16].

Lorsque le titulaire d’un droit détecte une contrefaçon, il est recommandé, avant toute action en justice, d’envoyer une lettre de mise en demeure à l’auteur des faits, pour l’informer de l’existence de droits antérieurs et l’inciter à s’exécuter volontairement. Une mise en demeure peut donc permettre d’éviter un contentieux et de faire cesser la contrefaçon rapidement.

En tout état de cause, préalablement à toute action contentieuse, il convient de constituer une preuve de la contrefaçon. Pour cela, il est possible de recourir à la procédure de saisie-contrefaçon [17] ou de demander à un huissier de justice d’établir un constat d’achat.

Enfin, conformément à l’article 6.I.8 de la LCEN et l’article L 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, le juge peut ordonner toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser un dommage ou une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, occasionné(e) par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

Le critère de la matérialisation du dommage

Dans l’hypothèse d’une action en contrefaçon, la victime qui a subi un préjudice en France pourra saisir le juge français, alors même que les faits de contrefaçon ont été commis sur un site internet étranger non dirigé vers la France.
C’est la position adoptée par la Cour de Justice de l’Union Européenne en 2015. Dans une affaire C-441/13, la CJUE a, en effet, estimé que les juridictions autrichiennes étaient compétentes au titre du lieu de matérialisation du dommage alors même que la contrefaçon avait été commise sur un site internet allemand non destiné à l’Autriche [18].

Des sanctions dissuasives

La contrefaçon engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer intégralement le préjudice subi. Pour fixer les dommages et intérêts, le juge prend donc en considération les conséquences économiques négatives (dont le manque à gagner et la perte subie), le préjudice moral (atteinte à l’image ou à la réputation) et les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Il peut toutefois allouer une somme forfaitaire dont le montant ne peut être inférieur à celui des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser ce droit [19].

De surcroît, le juge peut prononcer la publication du jugement et ordonner la confiscation ou la destruction des produits contrefaisants aux frais du contrefacteur.
La contrefaçon est également un délit pénal qui expose le contrefacteur à une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (1 500 000 euros pour les personnes morales).

Enfin, la contrefaçon peut faire l’objet de sanctions douanières. Il s’agit de la confiscation des marchandises, moyens de transport et objets ayant servi à masquer la fraude, d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 fois la valeur de la marchandise et d’une peine d’emprisonnement de 3 ans.

Blandine Poidevin, Spécialiste des technologies de l’information et de la communication Christine Vroman Elève-Avocat Cabinet Jurisexpert www.jurisexpert.net

[1Rapport intitulé « Trade in Counterfeit and Pirated Goods : Mapping the Economic Impact », publié le 18 avril 2016 par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO)

[2Rapport des douanes françaises

[3« Internet et contrefaçon : Marques et droits d’auteur », rapport de la Chambre du Commerce et de l’Industrie de Paris, rapporteur Jérôme Frantz, décembre 2009.

[4Article 6 II de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Économie numérique

[5Article 6 II.3 de la LCEN et article 3 du décret n°2011-219 du 25 février 2011

[6Article 1 du décret n°2011-219 du 25 février 2011

[7TGI Paris, 4 avril 2013 (Twitter) ; Tribunal de Commerce Paris, 1er février 2013 (Google Ireland) et TGI Paris, 30 janvier 2013(Bouygues Télécom)

[8Article 9 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et article L 331-2 du Code de la propriété intellectuelle

[9CCASS Ch. Criminelle, 23 mars 2010, n°09-80787 ; Cour d’appel de Paris, 12ème chambre, Pôle 5, 1er février 2010 ; CCASS Ch. Criminelle, 13 janvier 2009, n°08-84088.

[10Rapport intitulé « Le rôle économique et social des intermédiaires de l’Internet », publié le 30 juin 2010 par l’OCDE.

[11Transposant la directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce électronique

[12TGI Paris, 28 mai 2012 (YouTube) ; Cour d’appel de Paris, 9 avril 2014 (Google Adwords) ; Cour d’appel de Paris, 2 décembre 2014 (Dailymotion)

[13CJUE, 11 septembre 2014 (Editeur de presse en ligne) ; CCASS, 2 mai 2012 (eBay)

[14« Contrefaçon et cyber-contrefaçon : quels sont les moyens de lutte pour les industries créatives ? », Compte-rendu du colloque du 8 juillet 2013 organisé par la DGCIS et animé par l’UNIFAB, Nadège Pollak, 7 août 2013

[15Créée par la loi n°2009-669 du 12 juin 2009

[17Procédure non-contradictoire nécessitant l’autorisation du juge et garantissant l’effet de surprise

[18CJUE, affaire C 441/13, 22 janvier 2015

[19Loi n°2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon