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Crédit immobilier hors mariage. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : vendredi 10 juin 2016
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La séparation d’un couple n’entraîne pas la fin d’un prêt immobilier souscrit à deux.
La souscription d’un contrat de crédit immobilier par des concubins crée des conséquences juridiques. Souscrire conjointement un crédit rend chaque concubin emprunteur, solidaire de son remboursement.
Mais quelle est la situation des ex-concubins, en cas de séparation ?

En pareil cas, chacun des emprunteurs est engagé pour la totalité du prêt vis-à-vis de la banque. Chacun d’eux est tenu de le rembourser jusqu’à son échéance ; ils peuvent, ensemble, décider d’effectuer un remboursement anticipé.
Le crédit immobilier hors mariage nécessite une information particulière des emprunteurs.

A la différence des époux, les concubins ne sont pas systématiquement solidaires du remboursement d’un crédit. La signature de l’un d’entre eux n’engage pas l’autre. Aussi, les crédits immobiliers octroyés aux couples en union libre sont généralement passés avec chaque concubin.

Pour autant, le bien immobilier est acquis en indivision, laquelle est précisée lors de l’acte d’acquisition. Ce dernier peut être complété d’une convention d’indivision.

Un député attire l’attention du gouvernement sur cette question des conséquences de la rupture du concubinage sur le remboursement d’un crédit immobilier.

Les concubins sont donc généralement co-emprunteurs (ou emprunteur et co-emprunteur, ce qui revient au même), puisque les offres bancaires sont configurées ainsi. En cas d’impayés, l’établissement de crédit peut donc exiger de l’un ou de l’autre des co-emprunteurs, le remboursement de l’intégralité du prêt.

Lorsque la vie du couple est régie par l’une des formules juridiques prévues, mariage ou PACS, la procédure juridique de séparation envisage le règlement de la situation pécuniaire des ex-conjoints.

Au contraire, la fin d’une union libre se fait en toute discrétion. Si aucune désolidarisation n’est engagée - et acceptée par la banque - les obligations de remboursement du prêt demeurent à l’égard de chaque ex-concubin ; l’un d’entre eux peut ainsi se voir contraint au remboursement de l’intégralité du crédit, quelle que soit, par ailleurs, le sort de l’immeuble financé.

Le député rappelle qu’un ex-concubin qui ne remplirait pas son obligation contractuelle de remboursement peut même se retrouver « fiché » au fichier des incidents de paiement (FICP). Il souhaite qu’une solution soit prévue pour définir le sort du crédit des concubins, en cas de séparation.

La réponse ministérielle (question n°78228, réponse du 17 mai 2016) écarte toute innovation et rappelle simplement le droit existant.

La conséquence de la solidarité dans le remboursement d’un crédit engage chacun des emprunteurs pour la totalité du remboursement du prêt.

Même en cas de séparation, les ex-concubins doivent continuer à rembourser le prêt. Ils peuvent vendre le bien et effectuer un remboursement anticipé. Si l’un des deux emprunteurs souhaite conserver le bien immobilier, les deux co-emprunteurs peuvent demander la désolidarisation du crédit immobilier. La banque peut, discrétionnairement, accepter ou refuser cette désolidarisation. En cas de désolidarisation, l’un de ex-concubin-emprunteur est délié et l’autre devient seul emprunteur et seul responsable du remboursement du crédit.

Le ministre précise que « le gouvernement ne prévoit pas actuellement d’apporter des modifications à l’engagement des emprunteurs en concubinage pour le remboursement d’un crédit en cas de séparation ».
Il rappelle au passage que « contracter un crédit constitue un engagement dont les conséquences doivent être pleinement mesurées ».

Rappelons qu’un concubin qui rembourse seul un emprunt destiné à financer un bien immobilier acquis en indivision, ne peut réclamer à l’autre la part des sommes acquittées seulement par lui.

Il ne peut prétendre à aucun remboursement de l’autre concubin, en cas de séparation. La Cour de cassation y a d’abord vu une donation. « Une telle donation emportait nécessairement renonciation du concubin à se prétendre créancier de l’indivision au titre des remboursements du prêt effectué par lui seul, jusqu’à la séparation du couple » (Cour de cassation, Civ. 1ère du 2 avril 2014 n°13-11.025). Puis, elle a considéré, avec le même résultat pratique, qu’il s’agissait d’une contribution aux charges courantes du ménage (Cour de cassation, Civ. 1ère du 13 janvier 2016 n°14-29.746, confirmant la décision de la cour d’appel).

La constitution d’une société civile immobilière (SCI) par les concubins, en vue de l’achat et de son financement par le crédit, apporte une meilleure réponse juridique à la question des conséquences de la séparation. Elle est plus souple et davantage prévisible que l’indivision installée par défaut lors de l’achat. Elle peut également présenter des avantages en matière successorale.

Le 1er juillet 2016, les nouvelles dispositions juridiques du crédit immobilier entrent en vigueur.

Elles prévoient notamment que « le crédit n’est accordé à l’emprunteur que si le prêteur a pu vérifier que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ce contrat.
A cette fin, avant de conclure un contrat de crédit, le prêteur procède à une évaluation rigoureuse de la solvabilité de l’emprunteur. Cette évaluation prend en compte de manière appropriée les facteurs pertinents permettant d’apprécier la capacité de l’emprunteur à remplir ses obligations définies par le contrat de crédit
 » (nouvel article L. 313-6 du Code de la consommation).

Non seulement le professionnel bancaire doit réaliser cet examen de solvabilité, au titre de son obligation d’explication ou comme préalable à son obligation de mise en garde, mais, désormais, il doit également en apporter la preuve.

Cette preuve de l’évaluation de la solvabilité suppose de prendre finement en considération la situation de couple des candidats à l’emprunt. Les facultés individuelles de remboursement de chaque conjoint peuvent être aussi importantes que leur capacité de remboursement globale. Sinon, que vaudrait la solidarité d’un emprunteur incapable de rembourser ?

Il revient aux professionnels bancaires, établissements de crédit-prêteurs ou IOBSP-distributeurs, d’aider les emprunteurs concubins à prendre pleinement conscience de l’étendue de leur(s) engagement(s) respectifs. La situation juridique du couple, ici, l’union libre, produit un impact lors de l’évaluation des capacités d’endettement et de remboursement des emprunteurs. La possibilité et les conséquences d’une séparation sont alors utilement précisées.

Dès la conclusion du crédit, les banques pourraient développer davantage, et aisément, l’information des co-emprunteurs concubins quant aux possibilités et surtout quant aux modalités pratiques de désolidarisation. Le caractère discret et discrétionnaire de cette faculté, pourtant essentielle, ne correspond plus aux standards actuels de protection des consommateurs.

Les obligations d’information précontractuelles sont au centre des obligations professionnelles de distribution bancaire. Les modalités d’entrée dans un contrat de crédit sont aussi importantes que les différents chemins pour en sortir.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires www.endroit-avocat.fr Intervenant à l'ISFI / Formations bancaires (www.isfi.fr) www.droit-distribution-bancaire.fr
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