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Le fait de « spoiler » constitue-t-il une violation du droit d’auteur ? Le cas de la série « The Walking Dead ». Par Johanna Bacouelle, Docteur en droit.
Parution : mercredi 22 juin 2016
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La question du droit d’auteur à l’ère numérique déchaîne souvent les passions. Un nouveau cas de figure se pose avec la pratique répandue sur internet du « spoiler » qui consiste à divulguer tout ou partie de l’intrigue d’une œuvre de fiction et le possible conflit entre la liberté d’expression et le droit d’auteur qui en découle.

La pratique du spoiler [1] concerne généralement des films ou séries américains. C’est le cas de la série « The Walking Dead » dont la communauté de fans « The spoling dead fans » partage leurs prédictions sur le contenu des épisodes futurs en se basant notamment sur des photographies de tournage. Les éléments fournis par les fans s’avèrent très précis et parfois exacts. C’est pourquoi, la chaîne AMC qui diffuse la série tente de faire cesser cette pratique en invoquant une violation du droit d’auteur. Dans une lettre du 7 juin 2016, les représentants de la firme vont jusqu’à menacer de poursuivre les auteurs de spoiler en justice. Devant le coût d’un éventuel procès, les administrateurs du site ont préféré ne plus diffuser d’informations sur la prochaine saison.

Les représentants de la chaîne s’appuient sur une jurisprudence de 1993 selon laquelle le fait de révéler des détails précis de l’intrigue d’une œuvre de fiction constitue une atteinte au droit d’auteur [2]. En l’espèce, les auteurs d’une série télévisée avaient obtenu gain de cause contre l’éditeur de plusieurs livres qui en reprenaient l’intrigue. La Cour avait considéré que les faits litigieux n’entraient pas dans le cadre du fair use, c’est-à-dire une utilisation légitime de l’œuvre. Les deux affaires nous semblent toutefois différentes dans la mesure où les auteurs de spoiler agissent à des fins non commerciales et parfois « avant » même la diffusion de l’œuvre. La firme cherche donc de manière excessive à interdire un fait qui intervient avant la divulgation de l’œuvre et non seulement après, autrement dit une simple supposition.

À l’aune du droit français, il est peu probable que de tels faits s’analysent en une atteinte au droit de reproduction au sens de l’article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle ou du droit de divulgation au sens de l’article L. 121-2 puisque par définition les faits incriminés portent sur une œuvre dont le public n’a pas connaissance.
Certes, en droit d’auteur, la mauvaise foi du prévenu est souvent présumée. La mauvaise foi peut-être caractérisée dans notre exemple si le prévenu se base sur des informations confidentielles pour dévoiler l’intrigue de l’œuvre. En dehors de cette hypothèse, l’élément moral du délit de contrefaçon semble faire défaut. On est en quelque sorte dans une situation de rencontre fortuite. Les ressemblances entre les prédictions des internautes et l’œuvre future peuvent de surcroît provenir d’une source d’inspiration commune, la bande dessinée sur laquelle est basée la série.

En plaidant l’interdiction de spoiler et plus particulièrement celle d’imaginer, les producteurs de la série « The Walking Dead » portent atteinte à la liberté d’expression des internautes. Ce type de dérive participe de la crise de légitimité que connaît plus largement la propriété littéraire et artistique. Cela est d’autant plus contestable lorsque la menace de procès est dirigée à l’encontre de fans qui contribuent au succès de l’œuvre…

Docteur en droit & Artiste Auteur d’une thèse : « La condition juridique de l’artiste-interprète », Paris I, 2015. Pour me suivre : https://twitter.com/johannabackwell

[1En français : gâcher.

[2Affaire Twin Peaks Productions v. Publications International, 996 F.2d 1366 (1993).