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Brexit : les conséquences juridiques. Par Ladislas Skura, Avocat.
Parution : jeudi 23 juin 2016
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Le grand référendum promis par David Cameron a eu lieu le 23 juin. D’aucuns s’accordent pour expliquer qu’une sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne sera lourde de conséquences pour l’économie et la diplomatie britannique. S’agissant du droit et des considérations d’ordre juridique, le Brexit emmènera l’Europe entière vers une complexe et inédite situation de renégociation et d’incertitude juridique.

La culture juridique de la dérogation

Dans la courte histoire de l’Union européenne, la Grande-Bretagne a très tôt occupé une place particulière basée sur une conception dérogatoire du droit de l’Union européenne. Les négociateurs britanniques ont pu arracher tout au long de la construction européenne des systèmes dits d’ « opt-out » qui permettent au pays insulaire d’avoir une intégration personnalisée et façonnée à leur particularisme. La conception communautaire que l’on connait en France ou en Allemagne n’a jamais été appliquée avec similitudes outre-manche : la Grande-Bretagne qui n’a ni adoptée l’euro ni l’espace Schengen bénéficie d’un système dérogatoire en matière d’espace de liberté, de sécurité et de justice et n’est pas pleinement soumis à la Charte européenne des droits fondamentaux perçue comme usurpatrice de la Magna Carta arrachée en 1215 par les barons anglais au roi Jean sans Terre.

Cet euroscepticisme a pris une ampleur plus importante ces dernières années aussi bien dans la classe dirigeante britannique que dans l’opinion publique, au point que l’Europe a été présentée comme coupable parfaite d’une société en recomposition.

La procédure de retrait d’un État membre

Les traités qui régissent la communauté de l’Union européenne n’ont pas nécessairement été pensés et fabriqués dans l’hypothèse d’un départ d’un État membre. L’article 50 du Traité sur l’Union européenne précise qu’un « État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. […] Il [cet accord] est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen ». A l’issue de cette étape, les traités cessent de s’appliquer dans l’État demandeur « à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai ».

En cas de Brexit, le caractère effectif de la sortie se réalisera sur plusieurs années, au moins deux ans voire plus en cas de prorogation. L’économie ainsi qu’une part importante du système normatif de la Grande-Bretagne sont si imbriqués dans l’Union européenne qu’un départ ne serait possible qu’à l’échéance d’une longue et nécessaire période de négociation.

Quel statut juridique pour la Grande-Bretagne ?

En cas de Brexit, la Grande-Bretagne devra choisir et négocier le statut qu’elle souhaite avoir avec le vieux continent. L’histoire du droit des relations internationales de l’Union européenne laisse présager quatre hypothèses :

Le système « Norvégien »
La Grande-Bretagne pourrait suivre le modèle norvégien en rejoignant l’Espace économique européen (l’EEE) et l’Association européenne de libre-échange (l’AELE). Ce système permet à un pays de bénéficier de la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux au sein du marché intérieur en contrepartie d’une participation financière importante. L’adoption par la Grande-Bretagne de ce système serait contraire à son souhait initial de sortir de l’Union européenne puisqu’elle devra respecter la législation communautaire relative au marché intérieur et s’acquitter d’un tribut financier important tout en ayant une faible influence sur l’élaboration du contenu de ces normes.

Le système « Suisse »
La Suisse entretien une relation très particulière avec l’Union européenne. Faisant fi de tout partenariat approfondi avec l’Union européenne, elle utilise le droit international public classique comme base d’approche. Ce sont ainsi plus d’une centaine de contrats commerciaux sectoriels bilatéraux qui ont été conclus avec l’Union européenne. L’élaboration de ces contrats est le fruit de longues négociations qui offrent une documentation technique et lourde. Aucun mécanisme de contrôle juridictionnel des contrats n’est prévu. Certains contrats bilatéraux contractés par la Suisse n’ont aucune incidence économique sur le pays. D’autres sont purement et simplement violés du fait de leur nature inopérante. Ce modèle est l’archétype de ce que les Britanniques ne souhaitent pas.

Le système « OMC »
La Grande-Bretagne pourrait fonder ses relations commerciales avec l’Union européenne sur la base des règles du droit du commerce international de l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC). Cette solution ramènerait la Grande-Bretagne à un statut utilisé par des pays comme le Brésil, la Chine ou la Russie. Elle devrait négocier chacun de ses accords commerciaux de visu. La Grande-Bretagne serait contrainte de se plier aux nombreuses contreparties que l’Union européenne lui imposerait : réduction et suppression de barrières tarifaires, adaptation du droit du travail, de la santé et de la consommation, soumission au contrôle de la Commission européenne etc. Ce système aurait pour conséquence de réduire la Grande-Bretagne à un statut qu’elle ne souhaite pas s’imposer.

Le système « Turc »
Enfin, la Grande-Bretagne pourrait, à l’instar de la Turquie, négocier avec l’Union européenne un accord d’association douanière avec une obligation de se soumettre aux règles et décisions de l’Union européenne en matière de douane. Cette solution qui pourrait paraitre consensuelle ne laisserait toutefois pas la Grande-Bretagne avoir accès au marché intérieur qui requiert de lourdes contreparties financières et juridiques.

Un droit interne fragilisé

La sortie de l’Union européenne signifierait le retrait du droit de l’Union européenne dans le droit interne britannique. Sauf accord de négociation contraire, les règlements, décisions et autres traités internationaux conclus entre l’Union européenne et ses partenaires étrangers n’auront plus de valeur contraignante en Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne se retrouverait dénuée d’une part importante de son ordonnancement juridique actuel et devrait dans l’urgence légiférer afin de pallier les nombreux vides juridiques. Ce sont des pans entiers de l’économie britannique qui se retrouveraient fragilisés par des règles incomplètes notamment en matière de droit de la santé, de l’environnement, de la consommation, de la concurrence et du travail.

Droit des marchés financiers : inquiétude et incertitude

La recherche d’une architecture harmonieuse de la régulation financière et du droit des services financiers en Europe a été la grande conquête européenne du dispositif « Lamfalussy » dans les années 80. L’hypothèse d’une sortie de l’Union européenne de la Grande-Bretagne aurait pour effet de détruire des décennies de travail et de négociation. En la matière, l’impact d’un éventuel Brexit est très largement redouté par la City de Londres. Toutes les institutions financières britanniques (banques, fonds d’investissement, intermédiaires financiers, assureurs etc.) ont une pratique transfrontalière en Europe. Or, le socle financier européen que constitue la place londonienne est majoritairement de source normative européenne. Par exemple, le passeport européen qui régit la majorité des modèles économiques des grands opérateurs financiers et qui permet de faciliter l’activité des opérateurs de marché dans l’ensemble du marché intérieur pourrait disparaître. En cas d’échec des négociations à ce sujet, de nombreuses firmes, fleurons de l’industrie financière britannique, se verraient contraintes de revoir leur modèle de développement en Europe en implantant des filiales ou en délocalisant leurs sièges sociaux dans les pays de l’Union européenne.

Ladislas SKURA