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La justice restaurative, un outil pour la justice pénale.
Parution : mardi 15 novembre 2016
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La justice restaurative est pratiquée avec succès depuis une bonne trentaine d’années dans plusieurs parties du monde. Cette forme de justice en matière pénale n’ a été introduite en France qu’en 2014 par la Loi du 15 août 2014 (article 10) relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Une circulaire du 15 mars 2017 est venue en préciser la mise en oeuvre.
Poussée par les professions juridiques, la France prend progressivement conscience de l’importance de cette pratique de la justice en matière pénale qui participe pleinement à la modernisation de la Justice. Plusieurs projets d’expérimentation en ce domaine ont été mis en place un peu partout en France pour apporter la preuve de l’efficacité d’un tel processus de réparation et de restauration du lien social.
Pour favoriser sa diffusion en France l’Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR) a vu le jour en 2013 [1].

Le Village de la Justice s’est entretenu avec Maître Laurence Junod-Fanget, ancienne Bâtonnière du Barreau de Lyon, afin qu’elle nous explique l’importance la justice restaurative et nous présente l’expérimentation en cette matière (en phase pré-sententielle) mis en place par le Barreau de Lyon en collaboration avec les magistrats en 2016.

I. Définition de la justice restaurative.

La justice restaurative, que l’on appelle aussi justice réparatrice est inspirée des pratiques ancestrales de régulation des conflits des Maoris en Nouvelle-Zélande ou des Amérindiens ou encore de la palabre dans les sociétés traditionnelles africaines.
Cette forme de justice est pratiquée en matière pénale, avec succès, depuis de nombreuses années par bons nombres de pays tels le Canada, la Suisse, la Belgique ou encore l’Afrique du Sud.

Elle met l’accent sur la gestion concrète des conséquences matérielles et relationnelles de l’infraction. Le principe est de rétablir les relations entre la victime (ou ses proches en cas de décès de cette dernière) et l’auteur de l’infraction. Cela se fait par une écoute attentive, privilégiée et confidentielle des parties par un tiers indépendant. Ce dernier est formé pour guider les échanges basés sur la base du volontariat de chacun.
La justice restaurative est un procédé par lequel les mots atténuent les maux. Elle permet aux victimes de se reconstruire et évite aux auteurs d’infractions de récidiver.

Le code de procédure pénale français prévoit que la justice restaurative s’effectue dans le cadre d’un processus structuré mis en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou à sa demande, de l’administration pénitentiaire.
Mesure parallèle à la procédure judiciaire, elle peut être entamée à tous les stades de la procédure, et ce quelle que soit l’infraction pénale, à la demande des parties et après la délivrance d’une information loyale et appropriée.
Pour favoriser la large appropriation de ce dispositif par les professionnels, une circulaire du 15 mars 2017 est venue en préciser la mise en oeuvre. Cette circulaire a pour objectif de clarifier l’articulation entre la justice pénale et la justice restaurative, de préciser le cadre normatif, et enfin de définir les principes et conditions de mise en œuvre de la mesure de justice restaurative ; au premier rang desquels la liberté totale pour les parties de demander et/ou de consentir à la mesure, sans que la procédure judiciaire parallèle soit modifiée.

Cette autre façon de faire vivre la justice pénale participe pleinement à la modernisation de la Justice française.

Laurence Junod-Fanget, Bâtonnière du Barreau de Lyon.

II. Entretien avec Laurence Junod-Fanget, Bâtonnière du Barreau de Lyon.

Pour quelles raisons le Barreau de Lyon s’est-il emparé de ce projet de justice restaurative ?

"Ce projet de justice restaurative est pluridisciplinaire ; c’est un véritable travail d’équipe !"

Laurence Junod-Fanget : "Le Barreau de Lyon a tout de suite souhaité piloter un projet de justice restaurative car il a toujours été novateur dans les domaines de résolution et de régulation des conflits adossés au système classique de justice (développement des MARD, Centre de justice amiable,…) [2].

Il croit beaucoup en la justice participative et souhaite avoir un rôle actif en faveur du rétablissement du lien social. Il promeut des initiatives en faveur d’une justice rénovée, plus accessible dont l’objectif est de promouvoir le vivre ensemble.

Force est de constater que la justice restaurative s’inscrit dans cet effort de responsabiliser l’auteur d’une infraction , de lui offrir une possibilité de réintégrer la société et de permettre à la victime de s’exprimer. La justice restaurative permet donc de restaurer des relations interrompues et de rétablir la paix sociale.
C’est donc naturellement que le Barreau s’est emparé de la justice restaurative.

Le Barreau de Lyon ne s’est pas lancé seul dans ce projet, l’expérimentation est née d’une parfaite collaboration entre les magistrats du TGI et le barreau de Lyon via son association d’avocats honoraires, tiers-indépendants [3].
Ce projet de justice restaurative est pluridisciplinaire ; c’est un véritable travail d’équipe !"

Au sein de ce projet, comment se mettent en place les relations de travail entre les différents professionnels du droit ?

"Les acteurs fluidifient les relations de travail pour l’ensemble des professionnels concernés."

"Concrètement, les acteurs sont tous parties prenantes et fluidifient donc les relations de travail pour l’ensemble des professionnels concernés."

Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de la justice restaurative en phase pré-sententielle ?

"Il y a tout d’abord une présélection des dossiers par les juges.
Puis le tiers-indépendant propose aux parties et à leurs avocats de passer par le processus de justice restaurative.
Après acceptation par les deux parties, le processus est mis en place. Pour que ce processus fonctionne, il faut que l’auteur de l’infraction ait reconnu les faits qui lui sont reprochés.

Le tiers-indépendant rencontre, de façon indépendante et confidentielle, chacune des parties accompagnées par leur(s) avocat(s). Cette rencontre se déroule dans un lieu agréable, sans décorum excessif. A Lyon ces échanges se font au sein de la bibliothèque du Palais de Justice. Le choix du lieu est important car l’objectif est que la victime ou l’auteur de l’infraction se sentent à l’aise, libres de pouvoir s’exprimer. Libres de pouvoir exposer leur ressenti aussi infime et intime soit-il et cela sans être jugés.
Lors de ces rencontres, le tiers-indépendant, en quelque sorte, instruit le dossier de chacune des parties.

Un des aboutissement du processus est que la victime et l’auteur de l’infraction puissent se rencontrer et échanger. Mais, même sans cette rencontre entre les parties, le processus est probant dès lors que chacune d’entre-elles a pu faire entendre son ressenti, sa souffrance ; dès lors que les relations entre la victime et l’auteur de l’infraction sont apaisées."

Cette expérimentation apporte t-elle déjà des enseignements ?

Il en ressort un réel bénéfice pour l’auteur de l’infraction, la victime et les professionnels impliqués dans le processus.

"L’expérimentation lyonnaise est encore jeune, mais il en ressort déjà un réel bénéfice pour l’auteur de l’infraction et la victime. Les personnes ayant participé à notre expérimentation de justice restaurative ont quasiment toutes affirmé que cette expérience était « constructive ». Elles sont prêtes à la recommander à d’autres.

L’on constate également des audiences apaisées, puisque les échanges entre les parties et le tiers-indépendant permettent l’expression des sentiments, l’évacuation de l’animosité et une discussion le cas échéant sur le préjudice. Tous ces éléments vus en amont de l’audience participent à l’apaisement de cette dernière, le travail du juge en est ainsi facilité. Du fait de cet apaisement, on constate également que les peines sont plus adaptées et individualisées.

"La justice restaurative est une réponse à la crise de la Justice."

Autre bénéfice ressenti, c’est la réduction de l’aléa judiciaire pour les avocats (accord en amont, question des dommages et intérêts évacuée,…).
Les professionnels ayant participés à l’expérimentation ont tous saisi l’importance de la justice restaurative et la nécessité de s’impliquer dans ce dispositif."

Quelles évolutions pour ce projet et sa diffusion prévoyez-vous ?

"Premièrement nous souhaitons que cette expérimentation soit renouvelée pour l’année 2017. A cet effet nous prévoyons une nouvelle formation des tiers indépendants.
Les juridictions lyonnaises souhaitent pouvoir organiser une audience par mois de dossiers ayant bénéficié de la justice réparatrice, nous allons donc recruter plus de tiers-indépendants.
Enfin, le comité de pilotage, envisage d’étendre la mesure à tous les stades de la procédure."

Plus généralement, quelle est la place de la justice restaurative dans le processus pénal français ?

"La justice restaurative n’est pas là pour remplacer la justice pénale."

"Précisons que la justice restaurative n’est pas là pour remplacer la justice pénale.
Reposant sur le caractère volontaire, libre et éclairé des participants, la justice restaurative tend vers la complémentarité entre la réponse de droit et la prise en compte des personnes. La justice restaurative ne remplace pas la réponse pénale, mais elle apporte une réparation morale. Elle replace l’humain au centre du procès.

Elle s’inscrit dans une approche plus globale ; tournée vers la responsabilisation des parties, le rétablissement des relations rompues, la réintégration des personnes dans l’espace social, la prévention de nouvelles infractions et le rétablissement de la paix sociale.

Enfin, la justice restaurative est une réponse à la crise que traverse la Justice (cristallisation de la réponse pénale, engorgement des tribunaux, manque de moyens nécessaire à la mise en œuvre des missions de service public,…). En mettant en place la justice restaurative, les magistrats et avocats répondent à une véritable attente des justiciables.

Plus que l’expérimenter, il faut donc développer la justice restaurative !"

Propos recueillis par Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.

[1L’Institut Français pour la Justice Restaurative réunit des chercheurs et des praticiens, experts de la justice restaurative, intervenant aux côtés de professionnels de la chaîne pénale. Le 21 septembre 2018, une nouvelle organisation de l’IFJR a été votée à l’Assemblée Générale Extraordinaire donnant naissance à un Conseil Scientifique dirigé par le Professeur Robert Cario.

[2Dans les années 1990, les professionnels du droit lyonnais ont joué un rôle précurseur dans la médiation pénale, comme mode alternatif aux poursuites.

[3Les différentes phases de la mise en place du projet d’expérimentation de la justice restaurative à Lyon : Forte de l’expérience menée en Belgique concernant la justice restaurative depuis les années 1990 et du fait de l’introduction de cette dernière dans la loi française en août 2014, l’expérimentation lyonnaise est née d’une parfaite collaboration entre les magistrats du TGI et le barreau de Lyon via son association d’avocats honoraires, tiers-indépendants.
Tout commence en octobre 2014, lorsque le barreau de Lyon organise un colloque sur « la place de la victime dans la justice restaurative » réunissant tous les acteurs de la justice restaurative lors d’ateliers-échanges.
S’en suit un travail collectif qui s’est structuré avec en juin 2015 la création d’un comité de pilotage composé de magistrats, d’avocats, de membres de l’administration et d’associations d’aide aux victimes.
En décembre 2015, l’association AVHONOR (Association des avocats honoraires de justice restaurative) est créée. Elle a pour objet de promouvoir le processus de justice restaurative. Ses membres, formés pour guider les échanges, interviennent en tant que tiers-indépendants dans le processus.
En février 2016, le projet d’expérimentation de la justice restaurative en phase pré-sententielle est lancé.
En mai 2016 a lieu la première audience ayant bénéficié du processus de justice restaurative en amont. Trois dossiers étaient concernés.
D’autres audiences ont eu lieu depuis, une en juillet 2016 (3 affaires concernées), une en octobre 2016 (3 dossiers concernés). Une prochaine audience aura lieu en décembre 2016.

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