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Salariés, évitez la démission, rédiger une prise d’acte de rupture de votre contrat de travail. Par Frédéric Matcharadzé, Avocat.
Parution : mercredi 29 juin 2016
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De nombreux moyens juridiques existent, pour rompre le contrat de travail qui lie le salarié à son employeur. Lorsque c’est l’employeur qui prend l’initiative de cette rupture, il s’agira du licenciement, quel qu’en soit le motif (pour faute, pour inaptitude, pour motif économique, etc.). Mais contrairement aux idées reçues, le salarié dispose, quant à lui, de plusieurs moyens très différents pour faire rompre son contrat de travail ; il n’est absolument pas limité par la seule démission.

Très généralement, lorsque le salarié aura le souhait de quitter son emploi, il le fera par l’intermédiaire d’une lettre de démission, en se basant sur un modèle de courrier très facile à trouver sur Internet.

Mais si le salarié souhaite rompre son contrat de travail en raison d’une faute commise par son employeur, ce mode de rupture est à proscrire impérativement. Dans un tel cas, il appartient au salarié d’envoyer non pas une lettre de démission, mais une lettre de prise d’acte de la rupture de son contrat de travail.

Par un tel courrier, le salarié va mettre fin immédiatement au contrat de travail, sans préavis (même si le salarié peut proposer dans son courrier d’effectuer son préavis).

Le salarié ne bénéficiera d’aucune indemnité lors de son départ, et notamment pas de l’indemnité de licenciement. Il ne pourra pas non plus percevoir d’indemnisation chômage. En pratique, il sera donc dans la même situation qu’un salarié démissionnaire.

Mais cependant, le courrier de prise d’acte lui permettra de saisir le juge prud’homal afin de contester les conditions dans lesquelles la rupture du contrat est intervenue. Il appartiendra alors au juge d’apprécier les manquements reprochés à l’employeur. Si le juge estime que les manquements reprochés à l’employeur sont suffisamment graves, la rupture du contrat de travail produira les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et permettra au salarié de percevoir les indemnités correspondantes (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement et indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse) (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 25 juin 2003 n° 01-43578).
L’employeur sera par ailleurs condamné à transmettre une nouvelle attestation Pôle Emploi, mentionnant comme motif de rupture un « licenciement », ce qui permettra au salarié de bénéficier d’un rappel d’allocations d’aide au retour à l’emploi auprès de Pôle Emploi, au titre de l’indemnisation chômage à laquelle il a droit.
Si le juge estime que les manquements ne sont finalement pas assez graves, le salarié sera considéré comme démissionnaire.

Dans sa rédaction, le courrier de prise d’acte diffère peu du courrier de démission ; il suffit d’écrire les termes de « prise d’acte de la rupture du contrat de travail », et d’expliquer dans le courrier les manquements reprochés à l’employeur, manquements qui sont suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat.

S’agissant de ces manquements, par principe, c’est au juge qu’il appartiendra d’apprécier leur gravité. Il faut rappeler qu’aucune règle de formalisme particulière ne s’impose dans la rédaction du courrier de prise d’acte : ce qui signifie que le juge devra analyser l’ensemble des manquements qui seront évoqués plus tard lors de l’audience, et qu’il ne peut pas se limiter aux faits qui sont mentionnés dans la lettre de rupture (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 9 avril 2008 n° 07–40668).

C’est au salarié de rapporter la preuve, devant le juge, des manquements qu’il invoque ; si un doute subsiste sur la réalité des faits, il va profiter à l’employeur.

Si les manquements sont suffisamment graves, la rupture va produire les mêmes effets qu’un licenciement abusif ; si le juge estime qu’ils ne le sont pas, la rupture du contrat sera analysée comme une démission (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 30 mars 2010 n° 08–44236). Par ailleurs, la prise d’acte produira les mêmes effets qu’un licenciement nul si les manquements de l’employeur consistent en un harcèlement moral ou une discrimination.

La jurisprudence donne plusieurs exemples de manquements graves :

Mais certains manquements seront automatiquement considérés comme graves, sans que le juge n’ait à les apprécier. Il en va ainsi dès lors que l’employeur porte atteinte à la rémunération, dans son montant, ou dans sa structure, c’est-à-dire dans le mode de calcul du salaire (par exemple : arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 13 juillet 2005 n° 03–45247). Et ce, même si cette modification est faite dans un sens plus favorable au salarié (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 5 mai 2010 n° 07–45409).

Toute décision de l’employeur qui entraîne une modification de la rémunération peut constituer un manquement. Par exemple, la modification du secteur géographique dans lequel le salarié effectue ses missions, laquelle va entraîner une modification de la rémunération variable (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 15 février 2012 n° 09–70632) ; ou alors l’absence de paiement du complément de salaire pendant un arrêt de travail consécutif à un accident du travail, alors que la convention collective obligeait à payer ce complément (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 12 décembre 2012 n° 10–26324).

Bien entendu, l’absence de paiement d’heures de travail, par exemple d’heures supplémentaires, constitue un manquement grave dès lors qu’il est démontré (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 24 octobre 2012 n° 11–30387).

Le paiement du salaire est en effet une obligation fondamentale de l’employeur. Tout comme le fait de donner un travail à exécuter. Ainsi, l’employeur commet un manquement grave lorsqu’il ne donne aucun travail à faire à son salarié ; et la Cour de cassation précise en outre que c’est à l’employeur qu’il appartient de prouver qu’il a rempli son obligation, et qu’il a donné un travail à effectuer (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 15 mai 2012 n° 10–25721).

Il faut préciser par ailleurs que le juge dispose également d’un pouvoir pour apprécier les conditions dans lesquelles une démission a été donnée. Si le salarié a employé des termes de « démission » et n’a pas mentionné dans son courrier de reproches particuliers à l’encontre de son employeur, cette démission peut tout de même être considérée comme une prise acte de la rupture du contrat de travail, en fonction du contexte et des circonstances. La démission sera alors considérée comme étant équivoque.

Tel sera le cas, par exemple, lorsque le salarié avait réclamé par courrier recommandé le paiement d’heures supplémentaires quelques jours auparavant (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 26 septembre 2012 n° 11–17134), ou lorsque la démission est donnée dans une période pendant laquelle l’employeur n’a pas payé les salaires (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 7 novembre 2011 n°09–71651), ou lorsque le salarié avait, avant de démissionner, saisi le juge prud’homal pour solliciter par exemple des rappels de salaires (arrêt Ch. soc. de la Cour de cassation 18 janvier 2011 n° 09–41073).

Mais il faut également préciser que ces règles, même si elles ont été posées par la Cour de cassation, ne sont pas nécessairement appliquées par le Conseil de Prud’hommes ou par la cour d’appel. Régulièrement, le juge auquel l’affaire est soumise va décider de ne pas remettre en cause la démission dès lors que la lettre de démission ne mentionne aucun reproche fait à l’employeur.

S’agissant de la procédure devant le Conseil de prud’hommes, l’article L 1451-1 du Code du travail précise que «  l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine ». Mais ce délai prévu par la loi n’est que très rarement respecté en pratique. En effet, chacune des parties au procès doit disposer d’un délai suffisant pour prendre connaissance et analyser les pièces et les arguments de son adversaire : il s’agit du principe du contradictoire, qui est essentiel pour toute procédure. Or ce délai d’un mois est bien souvent insuffisant pour permettre le respect de ce principe. Ce d’autant plus lorsque l’affaire en question est complexe, au regard du nombre de manquements reprochés à l’employeur et au regard de leur gravité.

Un autre mode de rupture possible est le fait, pour le salarié, de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Dans un tel cas, le salarié va saisir le Conseil de Prud’hommes en demandant à celui-ci de rompre le contrat, en raison des graves manquements commis par son employeur, et qui rendent impossible, selon le salarié demandeur, la poursuite du contrat de travail. Une procédure classique aura alors lieu, avec notamment une tentative de conciliation préalable devant le bureau de conciliation et d’orientation ; puis en cas d’échec de cette tentative, une audience de plaidoirie devant le bureau de jugement du Conseil de Prud’hommes. La difficulté est que pendant toute cette procédure, le contrat de travail continuera à courir : il appartient au salarié de continuer à travailler pour son employeur, jusqu’à ce que le juge ait statué.

Et ce dernier n’a le choix qu’entre deux décisions possibles, après avoir examiné les arguments et les pièces de chacune des parties :

En conclusion, sur un plan stratégique, la demande de résiliation judiciaire va permettre de « forcer » l’employeur à modifier son comportement afin que les manquements reprochés par le salarié n’existent plus lorsque le juge statuera. Mais bien entendu, ce résultat dépend de la bonne volonté de l’employeur.

Quant à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, elle constitue un moyen très efficace de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié. Dans l’immédiat, après avoir envoyé son courrier, celui-ci se retrouve exactement dans la même situation que s’il avait envoyé une lettre de démission : pas de paiement d’indemnité de départ, pas de droit, en principe, à l’indemnisation chômage, etc. Mais cependant, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail va permettre au salarié de contester, par la suite, devant le Conseil de Prud’hommes, les conditions dans lesquelles la rupture du contrat de travail est intervenue. Si le salarié a pris sa décision en raison de manquements graves de l’employeur, il pourra obtenir des indemnités importantes, qui répareront son préjudice.

Frédéric Matcharadzé. [->f.matcharadze@saric-avocats.fr]
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