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Le défaut d’efficacité juridique du nouvel article définissant le viol incestueux. Par Thibaud Claus, Avocat.
Parution : mercredi 6 juillet 2016
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Initialement mis en place par une loi du 8 février 2010, puis abrogé par le Conseil constitutionnel le 16 septembre 2011, le viol incestueux a de nouveau été codifié par une loi du 14 mars 2016 toujours au sein de l’article 222-31-1 du Code pénal.

Cependant, ce retour de la qualification d’inceste semble peu efficace et fragile juridiquement.

I. La difficile répression des viols incestueux.

Pour rappel, le viol est une agression sexuelle lors de laquelle un acte de pénétration sexuelle a été effectué.

Cet acte de pénétration sexuel sur la victime, femme ou homme, doit avoir été effectué sans son consentement.

Le viol d’un ascendant sur un descendant pose, juridiquement, deux difficultés majeures.

a. La première est relative à la caractérisation du défaut de consentement de la jeune victime d’un viol.

En effet, un enfant n’a pas nécessairement conscience du caractère anormal d’avoir une relation sexuelle avec un parent si cela ne lui a jamais été appris.

Ainsi, un parent ayant une emprise sur un descendant peut obliger un enfant à avoir une relation sexuelle avec lui, sans menace, ni violence, ni contrainte physique.

Il faut avoir été éduqué à l’interdit pour pouvoir opposer une réponse négative à un acte sexuel.

Après des décisions ayant pu être interprétées comme des hésitations jurisprudentielles au sein desquelles le défaut de consentement ne pouvait être retenu du seul jeune âge de la victime (« en l’état de ces motifs, qui déduisent la surprise, malgré la répétition des faits, du seul âge des victimes, la chambre d’accusation n’a pas donné de base légale à sa décision » - Cass Crim 1er mars 1995 N° 94-85393), la Cour de cassation retient aujourd’hui que le très jeune âge de la victime puisse caractériser une contrainte (« que l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » - Cass Crim 07 décembre 2005 N° 05-81316).

Cette caractérisation de la contrainte morale a été renforcée par la loi du 8 février 2010 introduisant textuellement la contrainte morale pour les infractions sexuelles par l’article 222-22-1 du Code pénal : « La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

Si la caractérisation du viol sur les jeunes enfants ne semble plus poser de difficulté juridique, il perdure la problématique des enfants en âge de comprendre leur geste mais qui n’ont pas opposé de refus à la relation sexuelle entreprise par un parent.

La contrainte morale étant caractérisée au cas par cas, celle-ci semblerait être exclue pour un adolescent en âge de comprendre et capable de refuser une relation sexuelle.

Cependant, un tel acte sexuel reste parfaitement contraire aux valeurs sociales protégées par le droit pénal.

Une infraction a donc été créée pour répondre à cette difficulté juridique ; l’atteinte sexuelle sur mineur : « Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende » (article 2227-25 du Code pénal).

Cette infraction est aggravée lorsqu’elle est commise par un ascendant (article 227-26 du Code pénal) et reste punie de 3 ans d’emprisonnement lorsque l’ascendant commet une atteinte sexuelle sur un mineur âgé de 15 ans ou plus (article 2227-27 du Code pénal).

Il sera cependant observé que cette infraction est moins sévèrement punie que le viol par un ascendant et ne constitue ainsi pas un crime mais un délit.

Enfin, les causes d’aggravation ne concernent que les ascendants. Cette restriction a ainsi incité à la définition du viol incestueux.

b. La seconde difficulté est relative à la définition de l’inceste.

Mis en place par une loi du 8 février 2010 par l’article 222-31-1 du Code pénal, l’inceste était défini tel que suivant :
« Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

Cependant, cette définition souffrait d’un grand manque de clarté et de précision, ce qui est contraire au principe constitutionnel du droit répressif.

Le texte a logiquement fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité et le Conseil constitutionnel a décidé le 16 septembre 2011 (QPC N° 2011-163) que « s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».

L’ancien article 222-31-1 du Code pénal a donc été abrogé.

En conséquence, le législateur a mis en œuvre un nouveau texte par la loi du 14 mars 2016 codifiant de nouveau l’inceste.

II. Une codification du viol incestueux peu efficace.

Le nouvel article 222-31-1 du Code pénal prévoit :
« Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par :
1° Un ascendant ;
2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait. »

Ce nouveau texte ne laisse plus de doute sur les personnes visées et ne souffre donc plus de défaut de clarté et de précision.

Cependant, il doit être observé que la définition de l’inceste ne constitue pas une cause d’aggravation du viol, ni une infraction autonome.

A l’exception des ascendants, déjà inclus dans la circonstance aggravante du viol, les viols incestueux ne sont donc pas aggravés.

L’article 222-31-1 du Code pénal n’a ainsi pas d’effet juridique direct.

Il n’est repris que concernant la peine de retrait de l’autorité parentale, cependant cette peine complémentaire ne se fonde pas sur la définition de l’inceste mais sur celle de l’autorité parentale.

L’abrogation de l’article 222-31-1 du Code pénal avait d’ailleurs été sans effet sur la peine de retrait de l’autorité parental qui avait perduré.

Les seules utilités de la définition de l’inceste reposent, en pratique, sur la reconnaissance pour la victime du caractère incestueux de l’infraction subie et sur l’éventuelle évaluation chiffrée du nombre d’infractions sexuelles incestueuses.

Ces deux conséquences ne sont cependant pas prises en compte par le droit répressif.

Ainsi, se pose juridiquement la question du caractère non normatif du nouvel article 2222-31-1 du Code pénal, par l’absence de conséquence juridique de la définition de l’inceste.

Or, faute d’être normatif, un texte est inconstitutionnel. En effet le Conseil constitutionnel doit abroger une disposition législative qu’il juge « manifestement dépourvue de toute portée normative » (DC 21 avr. 2005, N° 2005-512).

En conséquence, si l’inceste est de nouveau présent dans le Code pénal, il ne pourra qu’être relevé sa portée limitée et son caractère potentiellement inconstitutionnel.

Thibaud CLAUS Avocat au Barreau de Lyon Spécialiste en droit pénal www.claus-avocat-lyon.com