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Au secours du travail dissimulé… Par Kamel Yahmi, Avocat.
Parution : vendredi 22 juillet 2016
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Au Moyen-Age, dans les premiers temps de l’organisation des métiers et des corporations, la réglementation du travail prévoyait qu’il ne pouvait être réalisé que de jour. Néanmoins, le désir d’optimiser les profits aura raison d’un certain nombre de salariés qui se verront imposer le travail de nuit avec pour seule lumière, celle de leurs torches et chandelles. C’est ainsi que l’appellation « travail au noir » vit le jour.

Aujourd’hui l’activité de nuit n’est plus synonyme de travail illégal, l’évolution de la société moderne a donc amené le législateur à revoir cette appellation anachronique, même si celle-ci n’a pas totalement disparue du langage courant.

Quant à l’arsenal juridique, il a été renforcé, même si cela a pris du temps. Le délit travail dissimulé n’est apparu qu’à partir de 1985, jusque là l’infraction était contraventionnelle [1].

Face à un modèle inquisitoire et peu onéreux, le juge pénal pourrait séduire pour venir en aide aux victimes, mais la longueur de la procédure peut en dissuader plus d’un. Il restera la juridiction prud’homale, qui, quoi qu’on le dise, applique strictement le droit positif, au détriment d’une efficacité de la justice.

I) L’élément intentionnel de l’infraction : appréciation critique

Le travail dissimulé est entendu par le législateur par une dissimulation d’activité ou une dissimulation d’emploi salarié.

Si l’on s’arrête sur le deuxième point, il s’agit pour tout employeur :
- Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l’embauche ;
- Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie [2].

L’argument de défense soulevé le plus fréquemment par l’employeur est celui de l’activité bénévole. Ainsi, dans l’hôtellerie ou la restauration, l’employeur soutiendra ainsi que le serveur est un ami de la famille qui est venu rendre service un week-end.
Après le faux bénévole, il y a le faux mandataire social ou encore le faux stagiaire [3].

Bien entendu, les contrôleurs et inspecteurs du travail ne s’arrêtent pas à la rédaction de statuts ou de contrats pour mettre fin à leur enquête, un faisceau d’indices leur permet de démontrer la réalité du travail accompli.

Une autre forme de travail dissimulé que l’on pourrait qualifier de sournoise est appelée plus communément « travail au gris ». Il s’agit d’une dissimulation d’une partie de l’activité, c’est le cas d’un certain nombre d’heures supplémentaires non déclarées par l’employeur, ou encore d’une embauche à temps partiel alors que le salarié travaille à temps plein.

Quelque soit le cas retenu et contrairement à ce que l’on pense, les juridictions prud’homales ne condamnent pas systématiquement l’entreprise ou l’entrepreneur.

Les juges du fond rejettent souvent la demande du salarié car celui-ci n’apporte pas la preuve de l’élément intentionnel de l’infraction.

Ainsi, l’animateur commercial qui a effectué un certain nombre d’heures supplémentaires en grande surface et qui soutient que le travail dissimulé est constitué par d’importants remboursements de frais professionnels non justifiés, se verra tout de même débouté de sa demande d’indemnité au titre du travail dissimulé [4].

Un agent de sécurité qui démontre devant le Conseil de prud’hommes que l’employeur a déclaré une partie des heures effectuées par le salarié sur une autre entreprise, verra sa demande au titre du travail dissimulé rejetée, au motif que l’élément intentionnel n’est pas rapporté. Cette décision qui fait l’objet d’un recours au moment de la rédaction du présent article, peut être qualifiée de pittoresque en ce sens où le Conseil de prud’hommes a tout de même accordé le paiement des heures supplémentaires revendiquées. Pour autant, le fait de détourner une activité salariée sur une autre société, n’est-il pas la preuve de l’élément intentionnel ? [5]

Que dire également lorsque le salarié sollicite avant tout contentieux le paiement d’un certain nombre d’heures de travail. Le silence de l’employeur n’est-il pas un aveu de culpabilité, ce d’autant que l’infraction perdure. Ici encore, les juges du fond hésitent.

Comment convaincre le juge alors que la charge de la preuve est partagée ?

Si l’on prend le cas d’une personne qui n’a jamais fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche, d’aucune remise de contrat de travail, bulletin de paie ou autre document de l’employeur, celui-ci se heurtera à une première difficulté, qui n’est pas des moindre : démontrer qu’il existe un contrat de travail.

Présenter des témoignages ne sera visiblement pas suffisant, car le lien de subordination, élément essentiel à l’existence d’une relation employeur-salarié, fera défaut.
A supposer que l’existence du contrat de travail n’est pas contestable, l’élément matériel de l’infraction peut dans certain cas, être assez facile à démontrer, mais l’élément intentionnel dans tout cela ?

L’absence de déclaration des heures supplémentaires sur une durée de plusieurs semaines, n’est-il pas fait volontairement ?

Comment peut-on concevoir qu’une salariée qui remplace le gérant d’un magasin durant ses absences, et de ce fait, accompli un nombre d’heures supplémentaires sur des périodes de plusieurs jours correspondant à des périodes de congés notamment, répétées dans le temps, ne soit pas analysé comme un acte illégal et délibéré de l’employeur ?

On voit bien la difficulté qui peut exister, celle-ci ne se place peut être pas dans la définition même du travail dissimulé, mais visiblement dans la charge de la preuve. Si l’on admettait que l’employeur devait apporter la preuve qu’il n’avait pas agi intentionnellement, le débat judiciaire serait plus équilibré.

A l’instar du harcèlement, le salarié n’aurait qu’à apporter un commencement de preuves laissant présumer l’infraction et l’employeur aura à sa disposition tous les éléments qui lui permettront d’apporter au juge sa bonne foi.

L’élément matériel et intentionnel étant caractérisé, l’infraction n’est pas automatique, car la dissimulation d’emploi salarié nécessite une rupture préalable de la relation contractuelle, ce qui peut apparaître injuste pour la victime.

II) La rupture, préalable « nécessaire »

Quand bien même la preuve est rapportée, le juge ne pourra condamner car le contrat n’est pas rompu.

Chacun l’aura compris, on se placera essentiellement sur le terrain de la résiliation judiciaire qui aura été refusée par la juridiction prud’homale, nonobstant l’infraction constatée. Or, la procédure de résiliation judiciaire peut être extrêmement longue et la présence du salarié au sein de l’entreprise dans un tel contexte est problématique.
En outre, cette situation est difficilement concevable dans un contexte où l’employeur perdure à ne pas régulariser la situation du salarié, outre la limite que lui impose la prescription.

Si l’on se situe sur le terrain de la rupture, le salarié est également lésé face à l’employeur récalcitrant qui usera de tous les artifices judiciaires pour faire traîner la procédure.
Il ne restera qu’une solution au salarié pour que le calvaire cesse, c’est de prendre acte de la rupture de son contrat pour ensuite faire requalifier la rupture aux torts de l’employeur.

Il est vrai que dans ce cas, le législateur a imposé une procédure accélérée, mais la réalité judiciaire est toute autre. Dans ces conditions, le profane comprendra les propos de Montaigne lorsqu’il soutient que la loi a du crédit non pas parce qu’elle est juste mais parce qu’elle est loi ! [6]

En attendant que le Conseil de prud’hommes statue sur son cas, le salarié sera livré à lui-même, ne bénéficiant d’aucun secours de la société, le Pôle Emploi n’indemnise toujours pas les prises d’actes, alors même que certains dossiers sont parfaitement recevables compte tenu des circonstances du litige opposant l’employé à son patron.

L’application du droit stricto sensu est une conséquence qui cache une réalité non avouée, celle de la volonté du juge à ne pas condamner sans apprécier.

III) Une sanction disproportionnée

Selon l’article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le Conseil constitutionnel a précisé que l’indemnité de l’art. L. 8223-1 ne constitue pas une sanction ayant le caractère d’une punition, elle a pour objet d’assurer une réparation minimale du préjudice subi par le salarié du fait de la dissimulation du travail, le caractère forfaitaire de cette indemnité est destiné à compenser la difficulté, pour le salarié, de rapporter le nombre d’heures accompli [7].

Ce raisonnement appelle plusieurs observations.

Tout d’abord sur la nature même de l’indemnité. Dire qu’il ne s’agit pas d’une punition, alors qu’elle viserait à réparer un préjudice lié à une infraction, nous semble critiquable.

Par ailleurs, si le travail dissimulé ne concerne qu’une courte période de quelques jours, comment peut on justifier une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaires bruts et a fortiori, justifier le raisonnement du Conseil constitutionnel ?

Enfin, l’analyse du Conseil constitutionnel est discutable compte tenu de la réalité judiciaire. A quoi bon compenser la difficulté du salarié dans la recherche de la preuve si les condamnations judiciaires en la matière sont plutôt rares.

La sanction forfaitaire peut expliquer une certaine réticence des juges à condamner au titre de l’indemnité pour travail dissimulé, ce d’autant que l’indemnité forfaitaire peut se cumuler avec les indemnités de toute nature avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail [8].

Il est vrai que le pouvoir d’appréciation du juge s’en trouve amoindri par cette sanction « aveugle ».

Aussi, chaque cas doit être apprécié en fonction de différents critères, qui pourraient être notamment l’ancienneté de la période litigieuse et le montant des sommes dissimulées, encore faut-il que le salarié soit de bonne foi.

IV) Le salarié, toujours victime ?

Selon l’article L8223-1 du Code du travail, le salarié peut obtenir des agents de contrôle les informations relatives à l’accomplissement par son employeur de la déclaration préalable à l’embauche le concernant.

Un salarié peut donc interroger les services de l’URSSAF pour savoir s’il a été régulièrement déclaré.
Le fait de régulariser un contrat de travail et de recevoir un bulletin de paie tous les mois peut expliquer que le salarié n’ait jamais sollicité les services compétents.
En revanche, le salarié qui travaille à mi temps officiellement alors qu’il accomplit un travail à temps plein, peut il se prévaloir des dispositions précitées ? En l’état du droit, la réponse est affirmative, mais est elle toujours appropriée ?
Comment expliquer également que le salarié puisse saisir la justice et soutenir qu’il a travaillé durant plusieurs années sans avoir reçu le moindre contrat, le moindre bulletin de paie, sans plainte préalable ?
L’employeur s’il est reconnu coupable ou responsable, assumera, mais ne comprendra pas que le salarié ne soit pas un instant inquiété, si celui-ci a accepté clairement la situation durant une période plus ou moins longue.
Le salarié ne peut se considérer toujours victime sans apporter un minimum de bonne foi. Pour équilibrer le débat judiciaire s’il a lieu, il pourrait être envisageable de responsabiliser chacune des parties, cela aura pour avantages dans une certaine mesure de lutter contre l’augmentation du travail illégal.

Rappelez vous ce que nous disait Corneille : « A force d’être juste, on est souvent coupable ». Malgré la volonté du législateur à durcir le ton, les chiffres explosent, le Ministère de la justice a même été montré du doigt par la Cour des comptes, c’est dire s’il y a lieu de revoir le texte pour une justice équitable [9].

Kamel YAHMI

[1Loi n° 85-772 du 25 juillet 1985.

[2Article L 8221-5 du Code du travail.

[3Cass. crim.22 février 2000, n°99-84643, Cass. crim. 21 juin 1999, n°98-88103,
Cass. crim 26 mai 2010, n°09-86095.

[4Jugement du Conseil de prud’hommes d’Argenteuil en date du 20 mai 2014 M. S.H / Sté O.

[5Jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny en date du 16 octobre 2014 M. H / Sté S.

[6Article L 1451-1 du Code du travail.

[7Cons. const. , QPC, 25 mars 2011 : RSC 2011. 404, note Cerf-Hollender.

[8Cass. soc. 06 fév. 2013, n°11-23738.

[9« Travail au noir au Ministère de la justice », RMC, 02.09.2015.

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