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Foulon et Bouvet c. France : la CEDH approuve la "vente d’enfants" et leur placement dans une structure relationnelle où la différence sexuelle fait défaut. Par Andreea Popescu, Ancien juriste de la CEDH.
Parution : samedi 23 juillet 2016
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La Cour européenne des droits de l’homme approuve la vente d’enfant et le placement des enfants dans une structure relationnelle où la différence sexuelle fait défaut. Toutefois, elle affaiblit en même temps le pouvoir des États membres d’adopter les sanctions les plus efficaces et effectives pour dissuader leurs ressortissants à recourir à la GPA à l’étranger. Cela mènera finalement à la légalisation de la GPA.

Le 21 juillet 2016, la Cinquième Section de la CEDH a rendu public l’arrêt dans les affaires Foulon et Bouvet c. France (nos 9063/14 et 10410/14) concernant le refus des autorités françaises de transcrire l’acte de naissance, reconnaissant ainsi la filiation biologique établie en Inde entre les requérants et leurs enfants nés à la suite d’une convention de gestation pour autrui (GPA), pratique interdite en France par l’article 16 § 7 du Code civil.

Dans ces affaires, avec un raisonnement qui tiennent en trois paragraphes, la Cour a trouvé à l’unanimité une violation du droit à la vie privée des enfants et une non violation du droit à la vie familiale des requérants (article 8 de la Convention) (§§ 55-58).

Si cette issue était prévisible, compte tenu des arrêts Mennesson et Labasse c. France rendus le 26 juin 2014, il faut mentionner que la situation de ces deux affaires était différente. M. Bouvet qui avait commandé ses deux fils en Inde est en partenariat civil avec un autre homme. Quant à M. Foulon, qui a introduit une demande de transcription du certificat de naissance de sa fille avec la mère indienne, il avait acheté l’enfant pour 1.500 euros, comme l’ont fait remarquer les tribunaux français (§ 15) : « la somme versée par le père (…) 1.500 euros », « il ne s’agit pas seulement en l’espèce d’un contrat de mère porteuse prohibé par la loi française, mais encore d’un achat d’enfant, évidemment contraire à l’ordre public ».

Ainsi, la Cour approuve le placement des enfants dans une structure relationnelle où la différence sexuelle fait défaut (les privant de leur mère) et l’achat d’enfant.

Il est surprenant que la Cinquième Section, non seulement a joint les deux affaires qui étaient communiquées séparément par la Cour (peut être pour faire passer mieux l’affaire Bouvet), mais qu’elle s’était dépêchée d’adopter cet arrêt contre la France, sans attendre que la Grande Chambre se prononce sur le sujet dans l’affaire Paradisso et Campanelli c. Italie qui concerne notamment la question de la vente d’enfants nées par GPA à l’étranger.

Pour rappel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur ce sujet, le 26 juin 2014, dans les affaires Mennesson et Labasse c. France, concernant le refus de reconnaître en droit français une filiation légalement établie aux États-Unis entre des enfants nées d’une GPA et les couples commanditaires de nationalité française et vivant en France, la Cinquième Section de la Cour a conclu à la violation du droit des enfants au respect de leur vie privée et à la non violation du droit des requérants à leur vie familiale. Tout en affirmant la légitimité de l’État d’interdire la pratique de la GPA (§§ 62, 79 et 99), elle a obligé la France à délivrer aux enfants des certificats de nationalité, à reconnaître leur lien de filiation avec leur père biologique et leur qualité d’héritiers de leurs parents (§§ 96-102). Ainsi, elle a interdit à la France de sanctionner cette pratique par la non-reconnaissance de la filiation des enfants en droit français. La France n’a pas demandé le renvoi à la Grande Chambre et on verra plus tard pourquoi.

Le 8 juillet 2014, la deuxième Section de la Cour a jugé l’affaire D. et autres c. Belgique, relative à la séparation temporelle de 3 mois et 12 jours entre les requérants-commanditaires et leur fils né par GPA en Ukraine. Les autorités belges avaient refusé de délivrer un laissez-passer à l’enfant pour qu’ils puissent retourner en Belgique, décision qui était contesté en justice par les requérants. Jugeant l’affaire, la Cour a considéré le grief des requérants manifestement mal fondé. Elle a estimé que la période de séparation n’était pas déraisonnablement longue (§ 58) et qu’elle était imputable aux requérants (§ 62).
Ensuite, elle a apprécié que « la Convention ne saurait pas obliger les États parties à autoriser l’entrée sur leur territoire d’enfants nés d’une mère porteuse sans que les autorités nationales n’aient pu préalablement procéder à certaines vérifications juridiques pertinentes » (§ 59). En outre, la Cour a indiqué que « les requérants pouvaient raisonnablement prévoir la procédure à laquelle ils seraient confrontés afin de faire reconnaitre la filiation et afin de faire venir l’enfant en Belgique » car ils avaient fait appel à un avocat ukrainien et les juridictions belges s’étaient déjà prononcées dans des affaires semblables (§ 60).
Enfin, la Section a mentionné que « l’État belge ne saurait être tenu pour responsable de la difficulté, pour les requérants, de séjourner en Ukraine plus longtemps, voire pendant toute la période pendant laquelle la procédure était pendante devant les juridictions belges » (§ 61).

Le 27 janvier 2015, la Deuxième Section de la Cour a jugé l’affaire Paradisso et Campanelli c. Italie, relative au refus des autorités italiennes d’enregistrer un certificat de naissance délivré en Russie concernant un enfant née par GPA et à l’enlèvement de l’enfant du couple commanditaire, aucun d’eux n’étant le parent biologique de l’enfant. L’arrêt de Section, procédant à un constat de violation du droit à la vie privée du couple commanditaire, en raison de l’enlèvement de l’enfant et de son placement pour adoption (§§ 71- 87), avait franchi un nouveau pas vers la légalisation de la GPA. Cet arrêt avait élargie la notion de « vie familiale » à une situation illégale et contraire à l’ordre public, car la vie familiale de facto existante entre le couple commanditaire et l’enfant crée par la GPA était le résultat d’une vente internationale d’enfant pour 49 000 euros (§ 69). Or, la Convention ne peut pas protéger une situation, en absence d’un droit conféré par une loi.
En outre, en sanctionnant les décisions des tribunaux italiens, par lesquelles l’enfant leur a été enlevé, la Cour a nié la légitimité du choix de l’État de ne pas reconnaitre d’effet à la gestation pour autrui sur son territoire. Toutefois, la Deuxième Section a indiqué dans ses conclusions que le constat de violation de la Convention n’implique pas une obligation pour l’État de remettre l’enfant au couple (§ 88). Ainsi, il est à noter que le constat de violation ne change en rien la situation des requérants. Il ne concerne pas des vraies violations des droits de l’homme que les requérants auraient souffert. Ainsi, ce jugement aurait servi strictement au lobby pro GPA, car sa seule conséquence sera le changement de législation en Italie pour permettre l’intégration dans une famille en Italie d’un enfant acheté à l’étranger. Mais, l’Italie avait demandé le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre pour un nouvel jugement et un arrêt définitif est attendu.

Une autre affaire contre la France est à présent pendante devant la CEDH concernant la GPA : Laborie et autres (n° 44024/13), l’enjeu étant la reconnaissance de la filiation entre un enfant née par GPA en Ukraine et le parent commanditaire se trouvant en couple de sexe différent.
Il est à noter que toutes ces affaires ont comme but d’obliger les États membres du Conseil de l’Europe, par la CEDH et en abusant du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, à adopter une législation pour reconnaître la filiation entre l’enfant née par GPA et le couple commanditaire (qu’il soit de sexe différent ou de même sexe) par la transcription des actes de naissance, fait qui est interdit dans ces pays. Ainsi, ces pays se voient privés de leurs sanctions les plus efficaces pour dissuader leurs ressortissants à recourir à la GPA à l’étranger. Cela mènera finalement à la légalisation de la GPA.
S’il est vrai qu’entre les pères biologiques commanditaires et leurs enfants nées par GPA il y a une vie familiale, il faut observer que les requérants ne sont pas des victimes d’une violation de leurs droits de l’homme, car ils se sont mis de manière volontaire dans une situation d’illégalité et de fraude à la loi en recourant à la GPA à l’étranger pour avoir des enfants.

La question qui se pose est de savoir quelle sanction effective et efficace pourra prendre le législateur d’un pays membre du Conseil de l’Europe pour dissuader le recours à la GPA à l’étranger.
Muriel Fabre-Magnan avait indiqué lors de l’adoption des arrêts Mennesson et Labasse quelques unes :
« Une solution mesurée était et est concevable entre le tout (accorder la transcription à l’état civil français comme si la GPA était parfaitement légale) et le rien (que l’enfant n’ait aucun statut juridique) : plusieurs instances étaient en train de travailler la question. La voie raisonnable consisterait à sanctionner les parents plus que les enfants, sur le plan pénal en créant des sanctions symboliques (car mettre en prison les parents d’intention n’aurait pas de sens, et les condamner à une amende pourrait être interprété comme un prix supplémentaire à payer pour obtenir ces enfants) et surtout précisément sur le plan civil. Il existe en droit des statuts juridiques qui permettent d’établir un lien entre un couple et un enfant qui ne soit pas la filiation (tutorat, mandat d’administration légal ou judiciaire, etc.) : le couple commanditaire pourrait ainsi être tenu de toutes les obligations des parents (éduquer l’enfant, l’entretenir, etc.) si bien que l’enfant serait juridiquement protégé ; en revanche le couple demandeur serait privé de certains des droits découlant de la parenté (par exemple en matière successorale). La Cour européenne des droits de l’homme nous oblige en revanche à des choix radicaux. »

Aude Mirkovic avait aussi touché au sujet :
« Cette condamnation ne nous oblige pas à légaliser la GPA, mais seulement nous interdit de sanctionner le recours à la GPA en refusant de transcrire les actes de naissance établis en exécution du contrat de GPA. Il reste encore une marge de manœuvre pour une décision politique. Mais encore faudrait-il qu’existe une volonté politique en la matière. Car, en dépit des déclarations mélodramatiques de François Hollande sur le fait qu’il n’y aura pas de GPA sous son quinquennat, le gouvernement ne prend aucune mesure pour lutter contre la GPA. En témoigne, par exemple, le fait que les sociétés étrangères démarchent en France en toute impunité des clients potentiels en vue de leur vendre des GPA. Il est hélas tout à fait probable que, rapidement, les biens pensants de l’hypocrisie ambiante vont invoquer la nécessité de soustraire la GPA aux règles du marché américain ou indien, qui sont ouvertement celles du profit, pour organiser en France une GPA dite éthique. »

S’agissant des affaires françaises sur la question de la GPA, il est inquiétant que ce soit le Gouvernement français qui incite à la légalisation de la GPA. D’une part, par son renoncement de demander le renvoi des affaires Mennesson et Lanasse à la Grande Chambre, et d’autre part, par son engagement, auprès du Comité des Ministres, d’aller au-delà de ce que lui requiert l’exécution de ces arrêts. Si ces arrêts lui demandent la délivrance des certificats de nationalité française aux enfants nées par GPA à l’étranger, la reconnaissance de leur lien de filiation avec leur père biologique, ainsi que leur reconnaissance en tant qu’héritiers de leurs parents, le Gouvernement français s’engage d’avantage.
Il indique dans son plan d’action du 26 mars 2015, pg. 3, adressé au Comité des Ministres que « l’exécution de l’arrêt nécessite des mesures supplémentaires », « notamment celles de la retranscription automatique des actes de naissance dressés à l’étranger sur les registres de l’état civil » et « inclure sur l’acte d’état civil français la mention de la mère d’intention alors même qu’elle n’a pas accouché de l’enfant concerné ».
En outre, il souhaite étendre les effets de ces arrêts aux affaires déjà jugées par les juridictions françaises, donc pour le passé et qui certainement sont en dehors du délai de six mois pour être soumises au contrôle de la CEDH : « Se pose également la question des effets de l’arrêt en cause à l’égard de personnes qui ont déjà fait l’objet d’une décision juridictionnelle définitive leur refusant la transcription. Il convient de se demander si les arrêts de la Cour leur ouvrent le droit à formuler une demande de réexamen ou si l’autorité de chose jugée fait obstacle à une telle demande ». Ces affirmations n’étaient pas contredites par le plan d’action mis à jour le 14 avril 2016.

Ainsi, le Gouvernement français utilise le mécanisme de la Convention européenne des droits de l’homme pour avancer son agenda, en méprisant la volonté de ses citoyens qui sont contre la légalisation de cette pratique. Cela est très grave, car l’État qui est le garant du bien commun et de la protection des droits de l’homme, s’engage à des actes qui violent les droits de l’homme, notamment ceux des femmes et des enfants, et qui encouragent le trafic et l’exploitation des êtres humains.

Andreea Popescu, ancien juriste à la CEDH
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