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De l’inefficience de la signature électronique (ou du moins de ce que l’on vous présente comme tel). Par Gildas Neger, Docteur en droit.
Parution : jeudi 4 août 2016
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Depuis le 1er juillet 2016, la signature électronique est recevable légalement dans et entre tous les États membres (règlement européen eIDAS - identification électronique et services de confiance).

Pour autant, et en l’état, la question de l’efficience (c’est-à-dire l’optimisation des outils mis en œuvre pour parvenir à un résultat, sachant que l’efficience se mesure sous la forme d’un rapport entre les résultats obtenus et les ressources utilisées. [1]) de cette « signature » est juridiquement déterminante. Étymologiquement, la signature est l’action d’écrire son « nom » à la fin d’une lettre, d’un contrat.

Certains y voient des avantages tels que : expédier des tâches quotidiennes pour s’assurer un meilleur taux de transformation, améliorer sa productivité, faciliter l’accès aux services, rendre une image moderne et respectueuse de l’environnement, gérer les transactions par-delà les frontières… (Pascal Colin, La nouvelle signature électronique entrera en vigueur en juillet 2016) [2].

Mais cette « signature » électronique est-elle vraiment valable ? La question semble aller de soi vu les encadrements juridiques de ce nouveau procédé. Pour autant il serait stupide d’agréer sans réflexions ni critiques. Vous l’aurez compris, je suis de ceux qui considèrent que ce procédé n’a aucune valeur légale !

Et de nous en expliquer.

Au niveau national, la législation définissant la signature électronique a été introduite en droit par la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique. L’article 1316 du Code civil la définit comme « la preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ».

Aujourd’hui donc l’écrit sous forme électronique est reçu comme preuve au même titre que l’écrit sur support papier. Sous réserve toutefois que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité.

Si les législateurs français et européens ont envisagé la signature électronique comme un moyen indispensable au développement du commerce en ligne, force est de constater que ce n’est, après 16 ans d’expérience, pas le cas. En effet, si vous êtes amené à acheter sur internet, vous donnez vos références de CB mais… vous ne signez jamais...

Si l’on se réfère aux textes existants, l’article 1316-4 alinéa 2 du Code civil nous précise que « lorsqu’elle est électronique, [la signature électronique] consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ».

Le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l’application de l’article 1316-4 du Code civil pose les conditions techniques selon lesquelles un dispositif de signature électronique est présumé fiable en exposant que la fiabilité est présumé s’il existe un dispositif sécurisé de création de signature électronique et que la vérification de cette signature repose sur l’utilisation d’un certificat électronique qualifié.

Un certificat électronique qualifié doit donc être délivré au signataire par un Prestataire de Services de Certification Electronique (PSCE) conformément l’arrêté du 26 juillet 2004.

L’article 3 de l’annexe de cet arrêté précise que : « la vérification de l’identité de la personne à laquelle le certificat électronique qualifié est destiné est effectuée en sa présence sur présentation d’un document officiel d’identité comportant une photographie (notamment carte nationale d’identité, passeport, carte de séjour) par le prestataire de services de certification électronique ou par un mandataire qu’il désigne et qui s’engage auprès de lui par contrat ».

Donc, pour disposer d’une signature électronique présumée fiable, il est impératif de vérifier l’identité du signataire « en sa présence ».

A ce stade, vous devez commencer à comprendre le titre de l’article.

Puisqu’il est impossible d’identifier « en sa présence » un signataire avant de lui remettre son certificat électronique, a été mis en place que l’on nomme un certificat électronique « à la volée ».

C’est ainsi que, par exemple, nombreux sont les courtiers en assurances qui vendent, à tour de bras, des mutuelles et autres contrats arguant que le retour d’un code envoyé par SMS vaut signature avec toutes conséquences de droit.

Le principe est simple : le vendeur fournit à l’acheteur (sans pouvoir vérifier de son identité réelle) un « certificat électronique » (très souvent un simple code de 4 chiffres) et ce dernier le renvoi à l’acheteur pour confirmer son achat. Sans d’ailleurs, très souvent, connaître des conséquences du simple renvoi d’un SMS… Et contester sa signature électronique constitue le nouvel argument phare dans un contentieux de recouvrement.

Or dès lors qu’une contestation de signature est soulevée, le juge doit vérifier si la signature remplit les conditions exigées par les articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil relatives à l’écrit et la signature électroniques. Donc si :

On l’a compris, les dispositions légales sont loin, très loin d’être respectées. L’identification du signataire est impossible.

Et pourtant ce genre de pratique tend à se à se développer très vite et certains tribunaux se prononcent même en faveur de la validité de ce type de certificats.

Ainsi par exemple la cour d’appel de Nancy dans son arrêt du 14 février 2013 a retenu la validité de la signature électronique en ligne d’un avenant à un contrat de crédit avec certificat à la « volée » et ce, sans démontrer que c’était bien le défendeur qui avait signé le contrat en ligne ! N’importe qui ayant possession de son équipement informatique pouvait le faire !

Dans une autre affaire de 2014, le juge de proximité du TGI de Nantes a retenu la validité de la signature électronique au motif que signature en question « a reçu la certification » du PSCE, « conforme au décret du 30 mars 2011, permettant de lui conférer la même force probante que la signature papier, en application des articles 1316-3 et 1316-4 du Code civil et d’assurer l’identité du signataire ». Aberration juridique puisque le prestataire a bien généré un certificat pour une personne déclarant son identité mais non pas l’identité de la personne disposant du certificat en cause…

Tout un chacun comprendra qu’il est aisé de contracter en se servant du téléphone de son alter-ego sans que ce dernier soit au courant du fait qu’il est considéré comme co-contractant et alors même qu’il ignore tout de la transaction qui s’est effectuée à son insu.

En avril 2016, la Cour de cassation a confirmé la légalité d’un contrat d’assurance en ligne que le prétendu assuré démentait avoir souscrit. Le procédé de signature électronique utilisé par l’assureur était fourni et mis en œuvre par une société prestataire de service.

Or, la vérification d’identité était strictement impossible lors de la délivrance du certificat électronique qui avait délivré à son titulaire « à la volée ». Dans cette affaire, le juge de proximité a benoitement présumé que la signature électronique était néanmoins fiable.

Il apparaissait d’évidence que la cassation s’imposait compte tenu de l’erreur évidente d’application des dispositions de l’article 1316-4 du Code civil par le juge de proximité… Las.

Cette décision ne fera pas jurisprudence. Aucun juriste sérieux ne saurait consacrer cet arrêt d’espèce.

Ainsi donc nous confirmons, malgré l’arrêt précité de la Cour de cassation, que ces certificats « à la volée », sont dénués de toute valeur juridique.

Aujourd’hui, ils font les beaux jours des cabinets d’assurances qui vendent, sans vergogne, des contrats par SMS.

Je gage que d’ici quelques mois la Cour de cassation aura repris raison et exigera, comme l’impose la loi, que le client signataire soit dûment identifié.

Gildas Neger Docteur en Droit Public
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