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L’information préalable du Banquier avant tout rejet d’un chèque : responsabilité de la Banque sous l’angle des articles L131-73 et L312-1-7 du Code monétaire et financier. Par Sandra Karen Morin, Avocat.
Parution : mercredi 10 août 2016
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L’article qui suit s’intéresse à l’obligation d’information préalable imposée au banquier d’informer le titulaire d’un compte du rejet imminent d’un chèque émis par ses soins pour provision insuffisante, et des conséquences d’un tel rejet, en application des articles L131-73 et L312-1-7 du Code monétaire et financier (CMF).

Article mis à jour par son auteure en janvier 2023.

Que nous nous situions en plein cours d’un contrat bancaire ou à l’issue de celui-ci, la Banque est tenue à l’égard de ses clients actuels ou passés (ayant clôturé leur compte dans le cadre du libre exercice de la mobilité bancaire) de respecter les obligations que lui impose le Code.

Ces obligations procèdent, d’une part, de la Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (JO du 12 décembre 2001) (désignée ci-après « Loi MURCEF ») et, d’autre part, de la Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (dite « loi Hamon », du nom de Benoît Hamon, alors ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire et à la consommation).

Ces deux lois ont comme dénominateur commun de traiter de plusieurs aspects sectoriels à caractère économique, financier et social et surtout de renforcer les droits des consommateurs, qui ne sont plus de simples cocontractants mais des usagers dépendants d’un système bancaire dont les droits doivent être renforcés.

L’apport de la Loi MURCEF.

L’article 15 de la Loi MURCEF [1], a ainsi permis de pallier les insuffisances de l’ancien Décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux cartes de paiement [2]. L’article 65-3 dudit Décret-Loi se limitait à prévoir l’envoi d’une lettre d’injonction, sans imposer la moindre obligation formelle au banquier d’aviser, de manière précise, son client du rejet imminent d’un chèque [3].

Le premier alinéa de l’article L. 131-73 du Code monétaire et financier prévoit désormais que « le banquier tiré peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante » [4].

L’apport de la Loi Hamon complété par le dispositif de la Loi Macron.

Aussi, par son article 53, la Loi Hamon [5] a créé l’article L.312-1-7 du Code monétaire et financier (complété par le dispositif de l’article 43 de la Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Loi Macron » [6]), facilitant ainsi (quoique tardivement) l’ouverture à la concurrence et le libre exercice de la mobilité bancaire, en faveur d’usagers jusqu’alors réticents de changer de banque en raison des difficultés auxquelles ils sont susceptibles d’être exposés dans le cadre d’un changement de coordonnées bancaires.

Le même article prévoit un dispositif d’aide à la mobilité bancaire incitant les usagers des établissements de crédits à recourir plus librement à la concurrence, en passant d’un établissement de crédit à l’autre, sans avoir à craindre de la lourdeur des opérations consécutives à un tel changement ni d’incidents de paiement aux conséquences désastreuses, voire d’éventuelles représailles de la banque de départ.

En effet, la banque d’origine peut ne plus montrer beaucoup d’intérêt pour le sort d’un ancien client, quoique fidèle et sans histoire, lequel, en confiant la gestion de ses actifs bancaires à un nouvel établissement de crédit, aurait dans le même temps oublié par mégarde un chèque non encore débité, qui exige de la banque de départ une obligation d’information en temps opportun, pour ne pas mettre à néant l’objectif de la loi sur la libre mobilité bancaire…

L’obligation d’information doit être réelle et réalisée par tous moyens. À cet égard, les établissements de crédit disposent d’outils dématérialisés efficaces, tels que des messages électroniques dans l’espace client, l’usage de courriels, SMS, notifications par téléphone « push » en temps réel, auxquels ils sont prompts à recourir de manière permanente dans le cadre de la gestion de forfaits bancaires, qui recueillent le consentement des clients.

Ces mêmes établissements de crédit se montrent plus réservés, voire réticents, à les emprunter pour prévenir un client actuel ou passé d’un risque de défaut de paiement dont ils savent que la réalisation est pourtant imminente… De fait, le client actuel ou passé se trouve ainsi empêché de corriger une situation, qui aurait autrement été rapidement traitée par ses soins, s’il avait pu être adéquatement informé, en temps opportun.

Dans le cadre du Bilan de la réforme de la mobilité bancaire du mois de juin 2018, le Comité Consultatif du Secteur Financier (« CCSF ») reconnaît que « tous les établissements conservent dans leur base les coordonnées fournies par le client et lui écrivent en cas d’incident (chèques ou prélèvements) arrivant sur le compte pendant les 13 mois après la mobilité, [notamment] en cas de présentation d’un chèque, [au moyen] d’une lettre dite Murcef, [en vue d’obtenir] la régularisation. Certains établissements adressent un courrier spécifique au moment de la mise en œuvre de la mobilité demandant les coordonnées à jour ou envoient des notifications par téléphone « push » ou sms. [Toutefois] Globalement, la voie postale est privilégiée » [7].

De surcroît, une augmentation sensible des contestations a incité l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de la Banque de France [8] à réaliser en 2021 une enquête par questionnaire auprès de 14 établissements (10 banques de réseau et 4 banques en ligne) détenant plus de 50 % des comptes de dépôt ouverts en France, pour dresser un état des lieux des pratiques de marché sur la période de 2019 à 2020 [9].

L’enquête parue en 2022 révèle que le taux d’utilisation du dispositif de mobilité bancaire demeure relativement faible et tendait même, entre 2019 et 2020, à régresser légèrement. Une difficulté a été observée en matière de clôture du compte d’origine dont les délais sont souvent dépassés. Si certains retards peuvent être expliqués, des mauvaises pratiques ne peuvent être éludées.

En outre, il a été souligné que des efforts devaient être encore déployés pour que les établissements de crédit s’acquittent de leur obligation d’informer systématiquement le titulaire du compte, dans le respect de la réglementation applicable en matière d’opérations de clôture de compte et de transfert du solde auprès d’un autre établissement de crédit.

Ainsi, dans le contexte d’une importante dématérialisation de l’information, permettant d’éviter un usage intempestif de l’interdit bancaire, couplé d’un fichage auprès de la Banque de France, l’on ne peut qu’appeler de nos vœux à voir la double obligation d’information du banquier, prescrite par les articles L.131-73 et L.312-1-7 du Code monétaire et financier, être érigée au rang d’obligation d’ordre public afin de contrecarrer avec plus de force une pratique parfois abusive.

I. L’obligation d’information préalable avant le rejet d’un chèque.

Article L. 131-73 du Code monétaire et financier.

L’un des principaux objectifs de la Loi MURCEF était d’améliorer la relation entre les banques et leur clientèle, en renforçant de manière significative le devoir d’information du banquier, en assurant notamment une meilleure gestion des incidents de paiement.

L’apport de cette loi a, entre autres, été de renforcer le cadre juridique d’une relation commerciale entre les établissements de crédits et leurs clients (relation particulière au regard du statut de consommateurs de ces derniers), en contribuant à rendre cette relation plus transparente et à aménager le régime des frais bancaires relatifs aux chèques sans provision.

La Loi MURCEF s’inscrit dans le cadre de la réforme initiée par la Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, mieux connue sous la « Loi NRE ». L’article 23 de la Loi NRE avait déjà, à titre de rappel, réduit le délai légal maximal de l’interdit bancaire de dix à cinq ans, tel que nous le connaissons depuis [10].

Les parlementaires avaient déjà été saisis du caractère parfois démesuré des sanctions, susceptibles d’être infligées sans discernement, pour un chèque sans provision, dont le montant était nettement inférieur aux frais d’incident de paiement de toute nature.

Ces frais bancaires, dont le montant était librement déterminé par chaque établissement de crédit, pouvaient notamment comprendre des frais de rejet, des frais relatifs à la lettre d’injonction (sous pli recommandé avec demande d’avis de réception), des frais de déclaration à la Banque de France, des frais de délivrance du certificat de non-paiement, des frais de provision … Il va sans dire que le montant de ces frais bancaires était bien souvent (et demeure parfois encore) nettement plus élevé que le montant du malheureux chèque rejeté.

Les conséquences du rejet et leur « effet domino » peuvent parfois s’avérer démesurées, plus particulièrement lorsque le chèque rejeté est d’un montant modique (par exemple, 50 à 60 euros). Le tireur (émetteur du chèque) se trouve contraint, dans le même temps, de rembourser sa dette et payer les frais bancaires de toute nature.

Fort heureusement, le tireur n’a plus à s’acquitter de la pénalité libératoire due à l’État (de 5 euros pour un chèque d’un montant inférieur à 50 euros, puis de 22 euros par tranche de 150 euros) depuis l’entrée en vigueur de l’article 36 de la Loi Lagarde précitée. Par ailleurs, la référence au paiement de pénalités libératoires a été définitivement supprimée des articles du Code monétaire et financier [11].

Aussi, en consacrant l’article L.131-73 du Code monétaire et financier, le législateur a voulu encadrer les frais de toute nature perçus par l’établissement bancaire et en plafonner le montant. Ils sont désormais limités par arrêté à 30 euros pour les chèques inférieurs ou égaux à 50 euros, puis à une somme de 50 euros pour les chèques rejetés d’un montant supérieur à 50 euros, conformément à l’article D.131-25 CMF [12].

Mais l’ensemble de ces mesures n’a de réelle portée que si l’objectif d’information de la loi, destiné à protéger les consommateurs, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, s’impose concrètement à la Banque. Ainsi, à compter de la Loi MURCEF et de l’adoption de l’article L.131-73 CMF, le banquier a l’obligation d’informer son client du rejet imminent de tout chèque émis par ses soins, en cas d’absence ou d’insuffisance de provision.

Cette information préalable vise à permettre au client en défaut d’approvisionner son compte en conséquence, ou, éventuellement, d’obtenir de son banquier une autorisation exceptionnelle de découvert, dans un esprit de transparence.

L’article L131-73 du Code suppose donc qu’à défaut de s’être acquittée de son obligation, la Banque est censée voir sa responsabilité engagée à l’égard du titulaire du compte. Les conséquences d’un rejet de chèque pouvant s’avérer désastreuses, la loi entendait instaurer un certain rééquilibrage des relations entre les établissements financiers, partie forte en tant que professionnels du crédit, et leurs clients, parties faibles.

Néanmoins, ce devoir d’information n’étant pas clairement identifié comme une obligation d’ordre public, le contentieux relatif au rejet du chèque persiste et demeure substantiel.

En application de l’article L. 131-73 du Code monétaire et financier, le banquier ne peut « refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante » qu’« après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision ».

Le premier alinéa de l’article L. 131-73 est clair. Il impose une obligation d’information préalable, qui pèse sur le banquier tiré, d’informer le titulaire d’un compte débiteur qui a émis un chèque, malgré l’insuffisance de provision, des conséquences de ce défaut de provision. Il ne peut refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante qu’après avoir dûment informé le titulaire du compte.

À défaut de s’être acquittée de son obligation, la Banque peut voir sa responsabilité engagée à l’égard du titulaire du compte.

Or, on ne peut que déplorer que le législateur ne soit pas allé jusqu’à conférer à l’article L. 131-73 le même caractère d’ordre public que celui accordé à l’article L.131-82 du même Code [13].

L’arrêt rendu le 14 juin 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, publié au bulletin [14], bien que précisant le contour de l’obligation préalable et des conséquences graves liées à l’inobservation par la Banque de son devoir d’information préalable [15], n’a pas incité le législateur à renforcer les impératifs de la loi.

Pourtant, qualifier d’ordre public l’obligation d’information préalable limiterait le contentieux relatif au rejet du chèque, renforcerait l’obligation de loyauté de la Banque à l’égard de sa clientèle, et permettrait de déployer des efforts concrets et adaptés, en temps suffisamment opportun, pour justifier de la réalité de cette obligation.

Les modalités de l’information préalable.

La notification préalable, adressée par la Banque au titulaire du compte, doit l’informer des conséquences du défaut de provision, en l’invitant à approvisionner son compte au plus vite. Elle doit être communiquée par tout moyen approprié et constituer un avertissement précis au sujet du ou des chèques rejetés.

Aussi, non seulement l’obligation d’information, qui s’impose à la Banque, consiste en un avertissement préalable au rejet, comme l’a encore récemment rappelé la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 28 mars 2018 [16]. Mais l’avertissement préalable, que doit adresser le tiré au tireur consiste, tel que l’avait déjà souligné ladite Chambre dans un arrêt du 31 mai 2005, en « un avertissement précis », de sorte que chacun des chèques litigieux doit être spécifiquement visé [17]. Cette position a été réaffirmée par la même Chambre dans un arrêt du 18 janvier 2011 dans lequel la Cour énonce qu’un « avertissement doit être adressé préalablement à leur rejet pour tous les chèques concernés  [18].

La jurisprudence de la Chambre commerciale est nette et constante. Elle se refuse depuis longtemps à considérer qu’un établissement de crédit s’affranchisse de son obligation, en se contentant de se prévaloir de ses conditions générales. Par un arrêt du 14 mars 2006, la Chambre commerciale a sanctionné la Cour d’appel de Versailles, au motif qu’en « considérant, en l’espèce, que La Poste aurait rempli cette obligation en adressant [à son client], lors de l’ouverture de son compte courant, un courrier l’informant des conditions générales d’utilisation de l’autorisation de découvert qui lui était accordée, la Cour d’appel a violé l’article L. 131-73 du Code monétaire et financier [19] ».

En conséquence, la Banque ne saurait se prévaloir d’un simple courrier adressé à l’occasion de l’ouverture du compte, quand bien même ce courrier mentionnerait-il les conditions générales de l’autorisation de découvert et des conséquences attachées à son respect, pour justifier du bon respect de son obligation préalable. L’information générale, fournie indépendamment de tout incident, n’est donc pas satisfaisante.

Par ailleurs, il est également admis que la connaissance éventuelle par le client de l’insuffisance de provision du chèque et le fait qu’il ait eu connaissance des conséquences juridiques de son fait n’ont pas d’incidence sur la responsabilité de la Banque. Ainsi, en toutes circonstances, le Tireur, quelle que soit sa qualité, quand bien même serait-il le salarié d’une banque, doit recevoir un tel avertissement.

L’absence de délai de prévenance légal et la difficulté à justifier de la réalisation de l’obligation d’information en temps opportun.

En ce qui concerne le moment de la notification faite au titulaire du compte, la lettre d’information préalable prévue à L. 131-73 du Code monétaire et financier doit être adressée immédiatement au Tireur.

Cependant, et on peut le regretter, les dispositions du premier alinéa dudit article ne prévoient pas de délai de prévenance fixe.

À cet égard, si un délai minimum de deux jours avait été évoqué dans le cadre des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la Loi MURCEF, ce point a ensuite été mis de côté, la jurisprudence étant ainsi appelée à trancher au cas par cas.

Toutefois, en pratique, les banques respectent un délai de prévenance de 24 à 48 heures avant le rejet effectif du chèque concerné. Néanmoins, à défaut de justificatif valable, il est parfois impossible pour le tireur de dater précisément la réalisation d’une telle obligation.

Enfin, au lieu d’aller dans le sens d’une preuve tangible et fiable devant être supportée par la Banque pour justifier de son obligation d’information préalable, la jurisprudence a plutôt allégé le fardeau de preuve qui lui incombe, au détriment du consommateur susceptible de s’en trouver lésé.

Ainsi, comme l’a énoncé la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 novembre 2013 [20], « [i]l incombe seulement à l’établissement de crédit de prouver, lorsqu’il délivre par courrier l’information requise par l’article L. 131-73 du code monétaire et financier, qu’il l’a adressée au tireur avant le rejet du chèque ».

Ainsi, non seulement, le tireur ne bénéficie pas de l’assurance du fait que l’obligation d’information préalable a été remplie en temps opportun, à défaut de pouvoir se fier à un justificatif d’envoi incontestable. Mais en plus, l’article L. 131-73 ne fixe aucune obligation au banquier d’établir que le client a effectivement reçu les courriers contenant l’information préalable requise.

Cela signifie qu’en application des principes généraux prévus par l’article 1315 du Code civil, il reviendra au client de démontrer, si tant est que cette preuve puisse être rapportée, que les courriers ne lui sont pas parvenus avant le rejet des chèques.

Un important volet du contentieux MURCEF réside dans le fait que le courrier d’information préalable n’a jamais été reçu par le client ou ne l’a été que très tardivement après avoir été annoncé…Un tel débat ne devrait pas avoir lieu. En effet, il devrait appartenir à la Banque de justifier, seule, du respect de son obligation d’information préalable et de manière effective.

Dans un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence du 8 février 2018, n° 16/14954 [21], la Cour rappelle qu’ « il incombe à l’établissement bancaire d’établir par tout moyen qu’il a délivré l’information prévue par la loi avant le refus de paiement d’un chèque par défaut de provision ». Cette obligation perdure « alors même que le compte sur lequel le chèque ou les chèques ont été tirés a été clôturé. Cette obligation cesse à l’issue d’un délai d’un an à compter de la date de clôture de compte ».

En l’état, comme le rappelle l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, la jurisprudence applicable retient que :

« [même en produisant] un duplicata d’un courrier (…) qui aurait été adressé [au tiré], mais qui n’est pas corroboré par des éléments démontrant l’envoi de la lettre d’avertissement (…) la banque est défaillante à rapporter la preuve du respect de son obligation d’information » [22].

Cette obligation d’information préalable s’est concrétisée, à l’issue d’une réunion du 1er juillet 2005 du CCSF (Comité Consultatif du Secteur Financier), au moyen de la généralisation d’une lettre d’avertissement autrement désignée « lettre MURCEF ».

Or, une banque qui n’est pas en mesure d’apporter la preuve tangible de l’envoi effectif d’un courrier d’avertissement propre à démontrer le respect de son obligation d’information, doit être considérée comme ayant agi avec une légèreté fautive, à l’égard de son client, dans le cadre de la procédure d’interdiction bancaire.

En effet, dans de telles circonstances, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a statué que « la banque a agi avec une légèreté fautive, dans le cadre de l’information de son client et du déclenchement à l’égard de celui-ci de la procédure d’interdiction bancaire, s’agissant qui plus est d’un compte clôturé qui ne devait plus fonctionner [et que] ses manquements sont de nature à engager sa responsabilité ».

De fait, le simple envoi d’un duplicata du courrier, six mois après la mesure d’interdiction bancaire, malgré d’incessantes relances du client à cet effet, doit être appréhendé comme un cas de défaillance, dans lequel la Banque fait défaut de « rapporter la preuve du respect de son obligation d’information » [23].

Dans une telle circonstance, la responsabilité civile de la Banque ne peut être qu’engagée.

Par ailleurs, force est de relever que le seul dépôt du chèque ne suffit pas à démontrer l’existence d’une faute ou d’une négligence grave du tireur, qui n’a pas reçu l’information adéquate en temps opportun.

La responsabilité de la Banque peut également trouver sa source dans le fait qu’elle dispose généralement de plusieurs moyens pour informer le tireur en temps opportun et lui épargner un malencontreux incident de paiement.

La dématérialisation des moyens de communication et des flux recommandés se généralisant de plus en plus dans le secteur bancaire et financier, il est tout à fait possible d’anticiper un incident de paiement, en notifiant au débiteur l’information par voie dématérialisée ou électronique (courrier électronique, messages instantanés (SMS), alertes…).

Il est parfaitement possible de rechercher, dans un contexte préventif, le consentement du tireur, en vue de lui épargner des désagréments significatifs. Cela permettra d’accélérer et de simplifier une procédure dans laquelle le tireur peut s’avérer désavantagé s’il n’a aucun moyen de prouver que le courrier, reçu très tardivement, ne lui a pas été adressé par la Banque en temps opportun.

L’usage de l’envoi recommandé électronique permet d’obtenir un suivi du courrier d’avertissement, de son envoi jusqu’à sa réception. La délivrance instantanée d’un tel courrier sur la boîte aux lettres électronique du tireur, pourrait permettre à ce dernier de réceptionner plus rapidement le courrier d’information préalable. L’obtention du consentement du destinataire peut être recommandée pour s’assurer de la bonne adresse. Le consentement doit être obtenu dans le respect de l’article L.100 du Code des postes et des communications électroniques, pour tout envoi électronique recommandé [24].

Les conséquences préjudiciables pour le client.

S’agissant des conséquences de la violation de l’article L.131-73 du Code monétaire et financier, elles consistent essentiellement pour le client de la banque réfractaire en la perte de la chance d’échapper aux conséquences résultant du rejet du chèque.

Ce principe, posé par la Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 2 novembre 2006 [25], a été clairement consacré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 juin 2016 [26].

Le préjudice résultant du défaut de délivrance de l’information préalable consiste, pour le titulaire du compte, en la perte de la chance d’approvisionner son compte en temps opportun pour couvrir les chèques émis et échapper aux conséquences désastreuses qui résultent du rejet du chèque dont le montant est parfois minime.

Dans son arrêt du 14 juin 2016 précité, la Chambre commerciale a censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Douai du 20 mars 2014, rendu sur renvoi après cassation [27]. La Cour d’appel de Douai s’était, en effet, limitée à retenir que la Banque avait engagé sa responsabilité « en adressant des avertissements n’identifiant aucun des chèques concernés à sa cliente qui est fondée à obtenir réparation du préjudice né du rejet indu des chèques en cause ».

Mais, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt, en soulignant que le défaut de délivrance de l’information requise « ne se confond pas avec le rejet fautif du chèque ». Le défaut d’information est sanctionnable en lui-même car il « consiste en la perte de la chance, pour le titulaire du compte, d’approvisionner celui-ci pour couvrir les chèques émis et échapper aux conséquences qui résultent du refus de paiement du chèque ».

En l’espèce, la Banque avait rejeté toute une série de chèques (au nombre de 32) pour défaut de provision, après s’être contentée d’adresser à sa cliente des avertissements n’identifiant aucun des chèques concernés, indiquant seulement que « la position du compte ne permettait pas d’effectuer le règlement d’un chèque ».

Naturellement, le client ne peut prétendre à une indemnisation que s’il est en mesure d’établir que le respect par la Banque de son obligation d’information lui aurait permis d’approvisionner, en temps utile, le compte débiteur des sommes correspondant aux chèques ainsi rejetés. À défaut, les chances de succès de l’action s’annoncent vaines.

Rappelons enfin qu’outre les pénalités, commissions et frais facturés par la Banque à son client en conséquence du rejet du chèque, la simple perspective d’une interdiction bancaire, avec la stigmatisation d’un fichage auprès du fichier central des chèques impayés, peut s’avérer lourde de conséquences pour le tireur, qui aurait pu, avec le concours du tiré, éviter les difficultés en chaîne qui en résultent.

L’incident donnera lieu à un signalement auprès de la Banque de France et à l’inscription du titulaire au fichier central des chèques (FCC), information qui sera communiquée aux autres établissements de crédit (voir art. L. 131-85, R. 131-43 C. mon. et fin.).

Ainsi, non seulement le banquier qui a refusé le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante doit-il demander au titulaire du compte visé de ne plus émettre de chèques et de remettre toutes les formules de chèques en sa possession, mais cette obligation s’applique également à tout banquier qui a été informé de l’incident de paiement par la Banque de France.

À compter de l’incident de paiement, aucun établissement de crédit ne doit plus remettre de formules de chèques sur quelque compte que ce soit appartenant au titulaire du compte en défaut, et ce jusqu’à régularisation, ou à défaut, jusqu’à l’expiration d’un délai de 5 ans (v. art. L. 131-73, art. R. 131-15 et art. R. 131-46 C. mon. et fin.).

Le titulaire du compte se retrouve donc rapidement frappé de l’interdiction d’émettre des chèques par tous les établissements bancaires auprès desquels il détient des comptes courants. De même, le tireur risque de faire les frais d’une mauvaise cotation auprès des établissements financiers.

Tous les éventuels cotitulaires du compte, en cas de compte joint ou collectif, sont également affectés par la mesure.

L’interdiction bancaire est susceptible d’entraîner le retrait ipso facto de tous moyens de paiement usuels ainsi que la suspension des facilités de caisse sur les comptes (autorisations de découvert). Elle affecte nécessairement le droit au renouvellement de ses cartes bancaires.

D’une situation bancaire éventuellement saine, le titulaire du compte (ainsi que son conjoint ou tout autre cotitulaire du compte) peut être rendu destinataire de lettres de « fragilité bancaire » et se voir retirer les modalités d’opérations par carte à débit différé, devenues toutes à débit immédiat (sous réserve de provision suffisante). Les plafonds d’achat et de retrait accordés dans le cadre des forfaits bancaires s’en trouvent également réduits. L’ensemble des projets d’investissement et de refinancement est interrompu jusqu’à régularisation.

En somme, le défaut d’obligation préalable d’information consiste en une dégradation de la relation avec les banques, sans compter celle du quotidien et les conséquences inavouables sur le plan moral, tout cela pour un rendez-vous manqué que la Banque aurait pu fixer en temps opportun…

L’inscription au fichier central des chèques (FCC), qui recense les interdits bancaires, sans avoir respecté la procédure applicable, peut entraîner un préjudice pour le tireur dont l’honneur et la réputation peuvent être atteints, notamment dans ses relations avec les banques, mais également avec certains tiers.

L’ensemble de ces mesures constituent autant de conséquences préjudiciables qui peuvent être évitées si, dans le respect de son obligation de loyauté et des dispositions de l’article L131-73, la Banque respecte son obligation d’information préalable ainsi qu’un délai de prévenance raisonnable pour la mettre en œuvre. Une mention relative au caractère d’ordre public d’une telle obligation permettrait de désengorger les tribunaux du volet du contentieux se rapportant au manquement de l’information préalable.

II. L’obligation d’information préalable dans le cadre de la mobilité bancaire.

Article L312-1-7 (IVe) du Code monétaire et financier

L’article L312-1-7 (IVe) prévoit, plus spécifiquement qu’en cas de clôture du compte dans l’établissement de départ, celui-ci fournit gratuitement, durant une période de treize mois à compter de la date de clôture du compte, par tout moyen approprié et dans un délai de trois jours ouvrés, au titulaire du compte clôturé ayant bénéficié du service d’aide à la mobilité défini au III toute information relative à :

1° La présentation de toute opération de virement ou prélèvement sur compte clos. Cette information est faite au moins une fois par émetteur impliqué ;
2° La présentation d’un chèque sur compte clos. L’ancien titulaire du compte clôturé est également informé par l’établissement de départ qu’il a l’obligation de refuser le paiement du chèque et des conséquences de ce refus, ainsi que des conditions dans lesquelles il peut régulariser sa situation.
L’établissement de départ transfère sur le compte ouvert auprès de l’établissement d’arrivée tout solde positif éventuel du compte, à la date indiquée dans l’accord formel du client.

L’ensemble de ces mesures sont destinées, entre autres, à contrecarrer les conséquences préjudiciables du manque de traçabilité des chèques entre le moment de leur établissement et celui de leur dépôt.

Par ailleurs, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II, a maintenu la durée de validité d’un chèque à un an et huit jours, à compter de la date d’émission du chèque par le débiteur, pour les chèques émis en métropole française, en application des articles L131-2 et L131-59 al. 2 du Code monétaire et financier.

Il en résulte, que toute mesure destinée à faciliter la mobilité bancaire des consommateurs implique pour l’ancienne banque du tireur (la banque de départ) de retracer toutes les formules de chèques non utilisées et d’informer son ex-client des opérations de débit d’un chèque se présentant dans ce délai de 13 mois, à partir de la date de fermeture du compte.

L’information communiquée en temps opportun et de manière adéquate, selon les procédés numériques dont la Banque dispose pour éviter des conséquences préjudiciables à son ex-client, est un objectif de l’article L. 312-1-7 (IVe), qui a justement pour finalité d’assurer le libre exercice de la mobilité bancaire.

L’obligation d’information préalable prévue à l’article L. 312-1-7 (IVe) se veut un rempart au risque de représailles de l’ancien établissement de crédit (appréhendé par l’ancien client), en cas de clôture de compte. Elle est destinée à ce que ce la Banque ne se désintéresse pas du sort de l’ex-client qui a manifesté son désir de poursuivre sa relation bancaire avec un autre établissement de crédit (bénéficiant d’un mandat bancaire), en s’abstenant de l’informer d’opérations susceptibles de le mettre en péril.

Le but est également que les titulaires de compte puissent exercer plus sereinement leur libre droit à la mobilité bancaire, ceux-ci étant auparavant plus réticents à quitter des établissements de crédit avec lesquels ils partageaient une relation commerciale de plusieurs années.

Le désintérêt du Banquier à l’égard de son ancien client peut pourtant se manifester dans un contexte de clôture de compte. Or, il pourrait constituer un acte déloyal grave, dès lors que ce manquement s’inscrit dans le prolongement d’une longue relation bancaire de plusieurs années, sans que le moindre incident, y compris de paiement, n’ait jamais été constaté.

Définir comme étant d’ordre public l’obligation d’information prévue à l’article L. 312-1-7 (IVe), permettrait de limiter les craintes de représailles éventuelles de l’ancienne banque ainsi que les cas d’inobservation de l’obligation d’information en temps opportun mise à la charge du banquier, à l’issue de la clôture du compte.

Sandra Karen Morin Avocat - Membre des barreaux de Paris et du Québec (Montréal) Associée gérante SK.M Cross Borders - Avocats smorin@skm-crossborders.com www.skm-crossborders.com

[1Modifié par l’article 1 de l’Ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base et dont la version en vigueur remonte au 23 juin 2017.

[2Abrogé par l’Ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie Législative du code monétaire et financier entrée en vigueur au 1er janvier 2021.

[3Décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux cartes de paiement – Article 65-3.

[4Dans sa rédaction issue de la Loi MURCEF, telle que modifiée par l’article 36 (V) de la Loi n°2010-737 du 1er juillet 2010, puis par l’article 1 de l’Ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (dont la version en vigueur remonte au 23 juin 2017).

[5En vigueur au 19 mars 2014.

[6Ainsi que son décret d’application, le Décret n° 2016-73 du 29 janvier 2016 (modifiant l’article R312-4-4 du Code monétaire et financier), et modifié dans sa version en vigueur par l’article 16 de l’Ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017 relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier, en vigueur depuis le 1er avril 2018, conformément à son article 29.

[7Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF), p.5, Réforme de la mobilité bancaire, Le Bilan, juin 2018.

[8L’ACPR est une institution intégrée à la Banque de France, chargée de la surveillance de l’activité des banques et des assurances en France. Ancienne autorité administrative indépendante, son statut a été modifié en application de la Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes (loi du 20 janvier 2017).

[9Publication de mars 2022 de la Revue de l’ACPR « Les enseignements de l’enquête par questionnaire menée par l’ACPR sur la mobilité bancaire ».

[10Article 23 de la Loi n° 2001-419 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, autrement désignée « Loi NRE » ramenant de dix à cinq ans le délai légal de l’interdit bancaire (Journal officiel du 16 mai 2001), modifié par l’article 36 (V) de la Loi n°2010‑737 du 1er juillet 2010 (désignée comme Loi LAGARDE dont l’objectif est de lutter contre le surendettement) et consacré par l’article L.131-78 du Code monétaire et financier en vigueur.

[11Article R131-46 du Code monétaire et financier - Version en vigueur depuis le 07 mars 2011, modifié par l’article 1(12°) du Décret n°2011-243 du 4 mars 2011.

[12Modifié par l’article 1 du Décret n°2007-1611 du 15 novembre 2007 relatif au plafonnement des frais bancaires applicables aux incidents de paiement- JORF du 16 novembre 2007, en vigueur le 16 mai 2008.

[13Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à l’article L. 131-82 dudit Code, qui édicte que « [l]e tiré doit payer, nonobstant l’absence, l’insuffisance ou l’indisponibilité de provision, tout chèque établi sur une formule délivrée par lui d’un montant égal ou inférieur à 15 euros », pour autant que la difficulté de paiement du chèque se rapporte à une absence ou une insuffisance de provision. Le dernier alinéa dudit article énonce que « [l]es dispositions du présent article sont d’ordre public ».

[14Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 juin 2016, 14-19.742, Publié au bulletin.

[15Voir notamment : Cass. com., 31 mai 2005, pourvoi n° G 03-15.659, D. 2005, AJ p. 1693, obs. Delpech ; RTD com. 2005, p. 813, obs. Cabrillac ; JCP E 2005, n° 36, p. 1412, note Krimmer ; RD banc. fin. 2005, n° 121, obs. Crédot et Gérard ; Banque et Droit, sept. -oct. 2005. 68, obs. Bonneau ; Cass. com., 16 juin 2009, n° 08-17.319 ; Cass. com., 18 janv. 2011, n° 10-10.259, n° 18 F - P + B.

[16Arrêt rendu sur le pourvoi d’un arrêt contre la Cour d’appel de Douai. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 mars 2018, 16-24.114.

[17Cass. com., 31 mai 2005, précité.

[18Cass. com., 18 janv. 2011, précité.

[19Cass. com., 14 mars 2006, Bull. civ. IV, n° 64, 14-03-2006, n° 04-16.946 (n° 372 FS-P+B).

[20Cass. com., 19 novembre 2013, 12-26.253 (publié au bulletin), Bulletin 2013, IV, n° 166, décision attaquée Cour d’appel de Fort-de-France, 6 juillet 2012, 10/00540.

[21Cour d’appel d’Aix en Provence, 8 février 2018, n° 16/14954.

[22Ibid.

[23Ibid.

[24Article L. 100 du Code des postes et des communications, issu de l’article 93 de la LOI n°2016-1321 du 7 octobre 2016 - en vigueur depuis le 09 octobre 2016.

[25CA Lyon, 2 novembre 2006, SFAL c. LYONNAISE DE BANQUE, BICC 15 février 2007, n° 347.

[26Cass. com., 14 juin 2016, 14-19.742, publié au bulletin précité.

[27Ibid, Cass. com., 14 juin 2016, 14-19.742 sur renvoi de l’arrêt de chambre commerciale, financière et économique, 27 novembre 2012, pourvoi n° 11-25.628, Bull. IV n° 214.

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