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La démocratisation du dialogue environnemental selon l’ordonnance n°2016-1060 du 3 août 2016. Par Robin Plasseraud, Étudiant en droit.
Parution : vendredi 26 août 2016
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Entre les droits conférés au public, les possibilités de saisir la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), la modernisation de l’enquête publique, procédure aval, et le renforcement de la concertation préalable en amont, l’ordonnance du 3 août 2016 réforme la participation du public en droit de l’environnement sans bouleverser cette matière pour autant. En voici un bref exposé.

Cette ordonnance a pour but de « faire en sorte que le processus d’élaboration des projets soit plus transparent et l’effectivité de la participation du public à cette élaboration mieux assurée » [1]. Elle résulte des propositions de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique (CNTE) sur la démocratisation du dialogue environnemental formalisées dans le rapport intitulé « Démocratie environnementale : débattre et décider », remis le 3 juin 2015 par le sénateur Alain Richard à la ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, Ségolène Royal. Elle doit entrer en vigueur à une date fixée par décret ou, au plus tard, le premier janvier 2017. Répondant en grande partie à un avis motivé de la Commission européenne de mars 2015 qui estimait que la liste de plans et programmes soumis à évaluation environnementale, incomplète et fermée, n’était pas conforme au droit de l’Union, elle permet également de transposer la directive 2014/52/UE relative à l’évaluation environnementale des projets [2]. Une autre ordonnance [3], également du 3 août et relative au dialogue environnemental appliqué au plan et programme, permet à 10 000 citoyens de saisir la Commission nationale du Débat public (CNDP) pour un débat public ou une concertation ; et à 500.000 citoyens ou 60 sénateurs ou 60 députés de demander un débat public national, également par saisine de la CNDP.

La réforme menée par l’ordonnance n°2016-1060 est plus large. Le rapport au président de la République [4] présente les principaux axes de modification du dialogue environnemental. Elle vise tout d’abord à démocratiser le dialogue environnemental en renforçant les procédures destinées à assurer l’information et la participation du public [5]. Il est notamment affirmé que la participation confère des droits au public. Ensuite, un renforcement de la participation est opéré en amont du processus décisionnel. Enfin la procédure classique de concertation en aval se modernise.

Un chapitre préliminaire définit les objectifs de la participation du public aux décisions ayant un impact sur l’environnement (article L. 120-1, I du Code de l’environnement). La participation du public doit permettre d’assurer la préservation d’un environnement sain, améliorer et diversifier l’information environnementale et même éduquer à la protection de l’environnement. Ce dernier objectif est surprenant car la sensibilisation et l’éducation à la protection de l’environnement devrait logiquement être un préalable à la participation du public, le dialogue environnemental a donc autant une fonction passive (informative) qu’active.
Enfin, le dialogue environnemental doit améliorer la qualité de la décision publique et contribuer à sa légitimité démocratique. Cet objectif fait évidemment écho aux difficultés rencontrées par les grands projets ayant donné lieu à une forte opposition tels que la ligne à grande vitesse Lyon-Turin ou l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
La CNDP établit une liste nationale de garants de la participation qui, logiquement, devront répondre à des exigences de neutralité et d’impartialité en plus de conditions d’incompatibilité assez larges [6].

La notion de « public » est plus large que celle d’administré ou de citoyen, ce terme devrait donc renvoyer à « toute personne » comme c’est le cas avec l’article L. 110-1, II, 5° du Code de l’environnement. Pourtant en ce qui concerne la faculté de saisine de la CNDP, la nouvelle rédaction des articles L. 121-8 et L. 121-10 du Code de l’environnement [7] n’offre cette prérogative qu’aux ressortissants majeurs de l’Union européenne et résidant en France en ce qui concerne les personnes physiques n’exerçant pas une fonction parlementaire.
Le nouveau chapitre préliminaire [8] dispose que « la participation confère le droit pour le public :
1° D’accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective ;
2° De demander la mise en œuvre d’une procédure de participation dans les conditions prévues au chapitre Ier ;
3° De disposer de délais raisonnables pour formuler des observations et des propositions ;
4° D’être informé de la manière dont il a été tenu compte de ses observations et propositions dans la décision d’autorisation ou d’approbation
 »

L’accès aux informations pertinentes est un préalable nécessaire à la bonne participation du public et renforce le principe d’accès aux informations de l’article L. 110-1, II, 4° du Code de l’environnement. De même, la disposition de délais raisonnables pour le public est une nécessité pratique, elle devient un droit. Ces délais sont généralement compris entre 15 jours et 3 mois, sachant que le public doit être informé au moins 15 jours à l’avance d’une procédure de participation. La simple « prise en compte » des observations et propositions ne rompt pas avec l’esprit du dialogue environnemental déjà existant. L’association France Nature Environnement déplore ce manque d’ambition [9], le bilan de la participation du public est laissé à la libre appréciation de l’administration.

L’absence de compétence liée de l’administration aux propositions et remarques résultant de la participation du public doit toutefois être nuancée par le renforcement du débat sur l’opportunité du projet dans l’article L. 121-1 alinéa 2 du Code de l’environnement. En effet, cette discussion de l’opportunité, si elle existait déjà, est confortée en ce que la participation « permet, le cas échéant, de débattre de solutions alternatives, y compris, pour un projet, son absence de mise en œuvre. » Cette discussion n’est possible que pour les projets et pas pour les plans et programmes portés par les pouvoirs publics. Les grands projets inutiles et imposés (GP2I) ne seront donc pas supprimés par ce renforcement du débat sur l’opportunité [10]. De même, en matière de débat public, la lettre du texte est plus fermée – et inchangée - puisque le débat aboutit par la publication d’un acte faisant le bilan « du principe et des conditions de la poursuite du plan, du programme ou du projet » [11].

La concertation préalable sort fortement renforcée par l’ordonnance, son champ d’application et sa mise en œuvre vont très certainement en faire un outil phare du dialogue public environnemental. La concertation préalable peut concerner les projets mentionnés à l’article L. 121-8 du Code de l’environnement pour lesquels la CNDP a demandé une concertation préalable en application de l’article L. 121-9, elle peut également concerner les autres projets assujettis à évaluation environnementale en application de l’article L. 122-1 et les plans et programmes également soumis à évaluation environnementale mais ne donnant pas lieu à saisine de la CNDP. Un garant est désigné afin d’organiser cette concertation [12], il transmettra notamment les avis recueillis aux organismes consultatifs qui connaîtront de la demande d’autorisation à venir. Si elle peut logiquement être engagée par la CNDP [13] ou imposée par une décision motivée de l’autorité compétente pour autoriser le projet [14], le maître d’ouvrage peut aussi prendre l’initiative d’organiser une concertation préalable [15].

En effet, certains projets dépassant un seuil fixé par décret en Conseil d’État devront faire l’objet d’une déclaration d’intention [16], celle-ci comporte notamment des précisions sur les communes affectées par le projet, les motivations et raisons d’être de celui-ci ainsi que ses potentielles incidences sur l’environnement. La déclaration d’intention permet d’exercer, devant le représentant de l’État et dans les deux mois de la déclaration d’intention, un droit d’initiative en vue de l’organisation d’une concertation préalable. Ce droit d’initiative appartient à 20% des ressortissants de l’Union, majeurs et résidant dans le périmètre des communes comprises dans la déclaration d’intention ou, de même, à 10% de la population à l’échelle du département. Il peut aussi être exercé par un conseil régional, départemental ou municipal ou l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale, ou encore une association agréée au niveau national, ou deux associations ou une fédération d’association agréé(e)s dans le cadre de la région ou du département correspondant à celui de la déclaration d’intention [17]. Le préfet n’a pas une compétence liée par le droit d’initiative, il décide de l’opportunité de la concertation préalable dans une décision motivée et rendue publique [18].

Il s’agit donc d’une procédure de participation plus souple que celle du débat public. Elle permet d’associer le public à l’élaboration du projet, plan ou programme et donne la possibilité au porteur de projet de tirer les enseignements de celle-ci en vue du dépôt d’autorisation et de l’enquête publique à venir [19]. Les dépenses relatives à l’organisation matérielle de la concertation préalable sont à la charge du maître d’ouvrage. Le bilan de la concertation est rendu public.
Cette procédure doit être rigoureusement suivie car la demande d’autorisation du projet sera recevable seulement si la déclaration d’intention a été réalisée, si les délais pour l’exercice du droit d’initiative ou pour l’obtention de la réponse du représentant de l’État sont expirés, et si les modalités de concertation préalable annoncées dans la déclaration d’intention ou, le cas échéant, celles définies aux articles L. 121-16 et L. 121-16-1 ont été respectées par le porteur de projet [20]. Toutefois, le nouvel article L. 121-21 prévoit qu’aucune irrégularité de l’article L. 121-20 ne peut être invoquée lorsqu’à la suite de l’exercice du droit d’initiative, le préfet n’a pas jugé opportun d’organiser une concertation préalable du projet. De même, afin de garantir une certaine sécurité juridique des autorisations, l’article L.121-22 enferme dans un délai de 4 mois à compter de la décision d’autorisation du projet, l’exception d’illégalité pour vice de forme ou de procédure prise en application du chapitre premier.

Le chapitre III du titre II est modifié en vue de moderniser et de dématérialiser l’enquête publique [21]. Ainsi, est développée la possibilité de consultation et de participation en ligne tout en maintenant le côté « présentiel » de l’enquête publique. Il est précisé que le principe est une information dématérialisée même si l’affichage et, selon l’importance du projet, la publication locale demeurent obligatoires. Cela devrait permettre d’éviter certains problèmes liés à la continuité de l’affichage. Le public pourra consulter le dossier sur internet, pendant toute la durée de l’enquête, et faire parvenir ses observations par ce moyen. Les points et horaires de consultation du dossier sur un poste informatique en libre accès doivent être précisés dans l’arrêté d’ouverture, ce qui permet de prendre en compte la fracture numérique touchant certains territoires. Un dossier et un registre sur support papier doivent toutefois être accessibles en un ou plusieurs lieux.

Le commissaire enquêteur reste la pierre angulaire du dispositif. Son rapport et ses conclusions sont rendus publics par voie dématérialisée sur le site internet de l’enquête publique et par support papier et pourront être consultés.
Une réunion de restitution du rapport et des conclusions peut être organisée dans un délai de deux mois, en présence du maître d’ouvrage, pour permettre notamment à celui-ci de répondre aux éventuelles réserves ou d’indiquer comment il a prévu de prendre en compte les recommandations du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête [22].

Ainsi, l’enquête publique est modernisée par une dématérialisation accrue qui facilite la participation de plus de citoyens et allège sa réalisation. Les modalités des enquêtes publiques sont simplifiées comme la réduction de leur durée minimale et de leur prolongation possible. Le recours à des enquêtes publiques uniques est favorisé [23].

Si elle ne révolutionne pas le droit de participation du public, l’ordonnance rationalise le dialogue environnemental et donne un cadre juridique à la démocratie environnementale. En effet, le public dispose de nouvelles armes permettant de faire infléchir un projet, alors que les porteurs de projet vont pouvoir bénéficier, de façon plus encadrée, de retours rapides sur la situation locale et non plus après une ou plusieurs années de développement au moment – parfois fatidique- de l’enquête publique. La mise en place de procédures nouvelles, parfois complexes, est également accompagnée de restrictions, sur la plan contentieux, des illégalités procédurales apportant ainsi une forme de sérénité pour le maître d’ouvrage.

Robin Plasseraud, étudiant

[1Article 106, I, 3° de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques habilitant le Gouvernement à « réformer les procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de projets, plans et programmes et de certaines décisions afin de les moderniser et de les simplifier, de mieux garantir leur conformité aux exigences constitutionnelles ainsi que leur adaptabilité aux différents projets, de faire en sorte que le processus d’élaboration des projets soit plus transparent et l’effectivité de la participation du public à cette élaboration mieux assurée »

[2Adrien Pouthier, Démocratie environnementale et transition énergétique : les ordonnances publiées au Journal Officiel, (en ligne) Le Moniteur.fr, consulté le 08/08/16

[3ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes

[4Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, NOR : DEVD1614801P

[5article L.110-1, II, 5° du Code de l’environnement

[6nouvel article L. 121-1-1, III Code de l’environnement

[7art. 2 ordonnance n°2016-1060

[8art. L. 120-1 Code de l’environnement

[9M. Charpentier, Dialogue environnemental : la réforme est (presque) actée, (en ligne), http://www.actu-environnement.com

[10Remarque : a contrario, le contrôle du juge administratif sur la déclaration d’utilité publique semble s’être renforcé – T. Turchet, Le Conseil d’État fait dérailler la LGV Poitiers-Limoges, (en ligne) Village de la justice, posté le 18/04/16

[11article L.121-13 Code de l’environnement

[12L. 121-16, I Code de l’environnement

[13art. L. 121-9

[14art. L. 121-17, II

[15art. L121-17, I

[16art. L121-18

[17art. L121-19, I

[18art. L. 121-19, II

[19L. 121-16 Code de l’environnement

[20art. L. 121-20

[21articles L. 123-1 à L. 123-18

[22art. L. 123-15

[23art. L.123-6