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Aggravation de la situation d’un accusé devant la cour d’assises d’appel. Par Jamel Mallem, Avocat.
Parution : vendredi 9 septembre 2016
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Quid de l’examen par la Cour de cassation de l’aggravation de la situation d’un accusé jugé devant la cour d’assises d’appel ?

Cass. Crim. 27 janvier 2016 N°14-85490

Un accusé déclaré coupable de viols et délits connexes d’agressions sexuelles aggravées par une cour d’assises décide de faire appel ainsi que le ministère public. Seules les paries civiles n’interjettent pas appel des dispositions civiles pour lesquelles il a été condamné à verser à trois parties civiles la somme de 60.000 euros et pour la dernière la somme de 10.000 euros.

Par arrêt en date du 25 juin 2014, la cour d’assises d’appel des Pyrénées-Orientales confirme sa culpabilité et le condamne aux peines suivantes :

Aux termes de son arrêt du même jour, la cour le condamne à payer à chacune des parties civiles la somme de 66.000 euros.

3 points sont soulevés devant la Cour de cassation.

1er point :

L’article 310 du Code de procédure pénale prévoit que Le président de la cour d’assises est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut, en son honneur et en sa conscience, prendre toutes mesures qu’il croit utile pour découvrir la vérité.

Dans cette affaire instruite à l’audience, le président de la cour d’assises d’appel demande au procureur général et aux parties (avocats des parties civiles et avocats de l’accusé) s’il y avait des lectures des pièces de la procédure qu’ils souhaitaient entendre.
Les avocats ne formulent aucune demande.

En revanche, à la demande de l’avocat général, la lecture de procès verbaux d’auditions de cinq témoins est faite par le président.

Sur la base du texte cité plus haut, les avocats de la défense reprochent alors au président d’avoir délégué son pouvoir discrétionnaire en soumettant aux parties la possibilité de formuler leur demande de lecture d’auditions contenues dans la procédure et lui reprochent de ne pas avoir fait un usage régulier de ses pouvoir en accédant à la demande du procureur général.

Ainsi, pour les avocats de la défense, c’est au président seul qu’il lui appartiendrait le choix des lectures et la décision de les ordonner.

Dans son arrêt du 27 janvier 2016, la Cour de cassation considère au contraire que le président a bien fait un usage régulier de son pouvoir discrétionnaire qu’il tient de l’article 310, puisque non seulement il a pris l’initiative de consulter le ministère public et les parties dans l’intérêt de la manifestation de la vérité et le respect du principe du contradictoire mais encore il conservait un pouvoir d’appréciation sur la suite à donner aux demandes dont il pouvait être saisi.

Cette solution doit être approuvée, car dans le cadre même de ces dispositions, tant la partie civile que la défense pouvait demander qu’il soit fait lecture de telle audition contenue au dossier, et une telle possibilité, permise par le président, pouvait justement permettre soit à l’une soit à l’autre partie soit aux deux de donner connaissance d’un témoignage établi en faveur de leurs clients respectifs. Une solution différente serait venue au contraire limiter toutes possibilités d’exploitation des auditions lors de l’instruction de l’affaire.

2ème point :

Les avocats de l’accusé soulèvent ensuite la critique de la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire et la critique concernant la durée de 5 années d’emprisonnement encouru en cas d’inobservation des obligations résultant du suivi socio-judiciaire, prononcée par la cour d’assises d’appel.

Les avocats de la défense soulèvent plusieurs arguments :

1er argument : Tout d’abord, ils soulevaient que les faits de viol et les faits de délits connexes d’agressions sexuelles avaient été commis par l’accusé entre 2006 et avant l’entrée en vigueur de la loi n°98-468 du 17 juin 1998 (voire jusqu’au 31 octobre 2009) et que dès lors, la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire n’était donc pas applicable à l’époque.

2ème argument : Ensuite, ils soulevaient le fait que si le suivi socio judiciaire devait être considéré comme applicable, la durée de l’emprisonnement encouru n’aurait pas dû être de 5 ans mais de 3 ans.

Le raisonnement (tant concernant le 1er et le 2nd argument soulevé) n’est pas tout à fait juste.

Concernant le 1er argument soulevé par la défense :
Si les faits étaient commis avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, effectivement, l’accusé ne pourrait pas être condamné à une peine de suivi socio-judiciaire, puisque cette peine complémentaire nouvelle devrait être considérée comme étant plus sévère.

En effet, en application de l’article 112-1 du Code pénal, les lois nouvelles ne s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur que si elles sont moins sévères que les dispositions des lois anciennes.

Ainsi, si la loi nouvelle institue une peine plus sévère ou une nouvelle peine qui n’existait pas au moment de la commission de l’infraction, ces peines ne peuvent pas être appliquées.

L’objectif pour la défense était donc d’indiquer que le suivi socio-judiciaire ne pouvait pas être prononcé à l’encontre de l’accusé compte tenu du fait que les infractions avaient été commises à une période où cette peine nouvelle n’existait pas.

Néanmoins, le raisonnement soulevé présente une véritable faiblesse : il a été évoqué par la défense que les faits auraient été commis jusqu’au 31 octobre 2009.

Mais si tel est le cas, la loi du 17 juin 1998 (instituant le suivi socio-judiciaire de l’article 131-36-1 du Code pénal) est donc parfaitement applicable en cas de condamnation pour un seul des délits d’agressions sexuelles, commis après elle 18 juin 1998 et le 31 octobre 2009.

En conséquence, il convient de considérer que la peine de suivi socio-judiciaire est parfaitement applicable à l’accusé.

Aux termes de son arrêt du 27 janvier 2016, la Cour de cassation ne semble pas suivre l’argumentation de l’antériorité des faits par rapport à l’entrée en vigueur de la Loi du 17 juin 1998 concernant l’article 131-36-1 du Code pénal relatif au suivi socio-judiciaire et n’annule donc pas la peine de condamnation au suivi socio-judiciaire.

Bien qu’aucune explication concrète ne ressort de la lecture de cet arrêt, il est légitime de penser que la Cour de cassation a bien constaté que les délits ont bien été commis lors d’une période où la peine de suivi socio-judiciaire était bien prévue par les textes.

Dans ce cas, la Cour de cassation n’a fait qu’application du principe selon lequel peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle l’infraction a été commise (article 112-1 alinéa 2 du Code pénal).

Concernant le second argument soulevé par la défense :

Rappelons que la défense soulevait le fait que si la peine de suivi socio-judiciaire devait être applicable (ce qui est le cas), la durée maximum de l’emprisonnement encouru doit être de 3 ans et non de 5 ans comme l’a décidé la cour d’assises d’appel.

La Cour de cassation va donc suivre l’argumentation de la défense.

Cependant, sur la base de ce texte 131-36-1 modifié par la Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 (texte actuel concernant le suivi du socio judiciaire), la Cour de cassation constate que la durée maximum de l’emprisonnement encouru par le condamné en cas d’inobservation des obligations imposées ne peut pas dépasser 3 ans en cas de condamnation pour délit.

C’est ainsi que la Cour de cassation annule l’arrêt de la cour d’assise d’appel et fixe donc à trois ans la durée de cet emprisonnement.

En effet, la cour d’assises d’appel ne pouvait pas prononcer une peine de 5 ans puisque le texte ne le prévoit pas. La réduction de la durée de cette peine est logique au regard des principes du droit, car l’article 111-3 du Code pénal prévoit que nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi.

En revanche, il est étonnant que les avocats n’aient pas pensé à solliciter la durée maximum de 2 ans de l’emprisonnement issue de cette loi du 17 juin 1998.

En effet, si les faits commis par l’accusé se sont arrêtés au 31 octobre 2009, comme la défense le faisait valoir, ce n’est pas l’article 136-36-1 de la loi de 2004 qui aurait dû être appliqué, mais bel et bien l’article 136-36-1 issu de la loi de 1998.

Entre le 18 juin 1998 et le 10 mars 2004, l’ancien article 136-36-1 du Code pénal prévoyait que la durée maximum de l’emprisonnement encouru ne pouvait dépasser 2 ans en cas de condamnation pour délit. Ce n’est que le 11 mars 2004 que cette durée a été portée à 3 ans maximum.

Ainsi, si les faits, tels qu’invoqués par la défense, étaient bien antérieurs au 10 mars 2004, l’accusé pouvait prétendre à un maximum de 2 ans d’emprisonnement et non au maximum 3 ans d’emprisonnement prévu par le texte actuel, et qu’invoquaient les avocats, durée validée par la Cour de cassation.

Si l’accusé a bénéficié d’une réduction d’une durée de 2 ans (3 ans en lieu et place de 5 ans), il est fort possible qu’il aurait du bénéficier d’une réduction d’une année supplémentaire.

3ème point :

Comme il a été rappelé plus haut, seul l’accusé et le ministère public ont frappé d’appel l’arrêt de la cour d’assises.

Seules les paries civiles n’interjettent pas appel des dispositions civiles pour lesquelles l’accusé a été condamné à verser à trois parties civiles la somme de 60.000 euros et pour la dernière la somme de 10.000 euros.

En appel, par arrêt en date du 25 juin 2014, la cour d’assises d’appel des Pyrénées-Orientales le condamne à payer à chacune des parties civiles la somme de 66.000 euros.

Les avocats de la défense critiquent l’augmentation des dommages et intérêts servis aux parties civiles et rappellent à bon droit le principe énoncé à l’article 380-6 du Code de procédure pénale, qui prévoit que la cour d’assises statuant en appel sur l’action civile ne peut, sur le seul appel de l’accusé, aggraver le sort de l’appelant.

En conséquence, il n’était pas possible pour la cour d’assises d’appel d’allouer des dommages et intérêts plus conséquents aux parties civiles puisque seul l’accusé avait fait appel des dispositions civiles.

Par son arrêt du 27 janvier 2016, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt civil et restitue les condamnations à dommages et intérêts intervenues lors de la première cour d’assises.

Si la partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune nouvelle demande, elle peut en revanche solliciter une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la première décision.

Ainsi, au lieu de solliciter le bénéfice de montants différents de dommages et intérêts, les parties civiles, qui n’ont pas fait appel, auraient dû faire valoir un préjudice distinct de manière à faire valoir une augmentation de leurs dommages et intérêts.

Jamel MALLEM Avocat au Barreau de Roanne www.mallem-avocat.com https://www.facebook.com/jamel.mallem.1 https://twitter.com/mallemavocat SELARL Mallem-Kammoussi-Christophe
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