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La loi travail diminue-t-elle le taux de majoration des heures supplémentaires ? Par Eric Slupowski, Avocat.
Parution : lundi 5 septembre 2016
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Est-ce que la loi travail (loi du 8 août 2016) aboutit à une baisse de la majoration des heures supplémentaires ? Il s’agit d’éclaircir une question qui a fait polémique entre partisans et opposants à la loi travail.

Tout d’abord, il convient d’étudier les dispositions législatives applicables avant la publication de la dite loi.

L’article 3122-22 du Code du travail (introduit par la loi du 17 janvier 2003 dans sa version antérieure à la loi travail disposait :
« Les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l’article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.
Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir un taux de majoration différent. Ce taux ne peut être inférieur à 10 %. »

Ainsi, il résulte de ce texte qu’ en l’absence d’accord collectif, la loi prévoyait un taux de majoration de 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires (dans le cas général, celles effectuées au-delà de 35 heures et jusqu’à la 43e heure hebdomadaire incluse) et de 50 % au-delà (dans le cas général, celles effectuées au-delà de la 43e heure hebdomadaire. Cependant, une convention ou un accord de branche étendu ou un accord d’entreprise ou d’établissement pouvait fixer d’autres taux de majoration, avec un minimum de 10 %. Ainsi, il était donc d’ores et déjà possible de prévoir par accord collectif des taux inférieurs à 25 % et 50 % avant la publication de la loi du 8 août 2016.
En réalité, la question majeure posée était celle de savoir s’il était possible qu’un accord d’entreprise puisse déroger en moins favorable par rapport à un accord de branche et de prévoir ainsi un taux de majoration inférieure à ce que prévoyait un accord de branche.

L’article L 2253-3 du Code du travail introduit par la loi du 4 mai 2004 dans sa version antérieure à la loi travail disposait : « En matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale et de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ne peut comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels.
Dans les autres matières, la convention ou l’accord d’entreprise ou d’établissement peut comporter des stipulations dérogeant en tout ou en partie à celles qui lui sont applicables en vertu d’une convention ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord en disent »
.

Ainsi, il était possible depuis la loi du 4 mai 2004 qu’un accord d’entreprise puisse prévoir un taux de majoration inférieure à ce que prévoyait un accord de branche.

Toutefois, l’article L2253-3 du Code du travail dans sa rédaction issu de la loi du 4 mai 2004 prévoyait la possibilité pour l’accord de branche de « verrouiller » par des clauses dits « de verrouillage » et d’interdire un taux de majoration inférieur à l’accord de branche à l’accord d’entreprise. De plus, pour les accords de branche conclus avant la loi du 4 mai 2004, il était impossible d’y déroger dans un sens moins favorable aux salariés au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, à moins que l’accord de branche en dispose autrement (loi 2004-391 du 4 mai 2004, art. 45 ; circ. DRT 2004-9 du 22 septembre 2004, fiche 2, § 2).

Selon l’étude d’impact joint avec le projet de loi travail (page 24 et page 25), il en résulte les choses suivantes : la primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail posée par les lois du 4 mai 2004 et du 20 août 2008 n’a pas concerné les dispositions relatives à la fixation des taux de majoration des heures supplémentaires prévues à l’article L. 3121-22.
En effet, aujourd’hui, une entreprise ressortissant d’une branche ayant verrouillé le taux de majoration des heures supplémentaires ne peut prévoir un taux de majoration inférieur à celui prévu par la branche (celui-ci ne pouvant être en tout état de cause inférieure à 10 %). Ce n’est que si l’accord de branche n’a pas verrouillé la possibilité de fixer un taux inférieur par accord d’entreprise que celui-ci peut prévoir un taux inférieur à celui déterminé dans l’accord de branche. Dans les faits, peu de branches offrent aujourd’hui aux entreprises la possibilité de prévoir un taux de majoration inférieur à celui de la branche, soit qu’elles ont explicitement verrouillé cette possibilité, soit qu’elles n’ont pas renégocié d’accord sur ce thème depuis la loi du 4 mai 2004. Ainsi, si l’on se concentre sur les 50 branches les plus importantes en termes d’effectifs (celles suivies dans le cadre du Pacte de responsabilité), on constate que la quasi-totalité de celles-ci n’ont pas négocié ou renégocié d’accord portant sur le taux de majoration depuis 2004, empêchant de facto toute dérogation par accord d’entreprise. Seules cinq branches ayant conclu un accord sur les heures supplémentaires après mai 2004 n’ont pas prévu de clause de verrouillage. Cela signifie que seules les entreprises de ces cinq branches peuvent donc aujourd’hui négocier un taux de majoration inférieur au taux prévu par l’accord de branche.

Quelles sont les nouvelles dispositions législatives résultant de la loi du 8 août 2016 ?

Le nouvel article 3121-36 du Code du travail prévoit : « A défaut d’accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée à l’article L. 3121-27 ou de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %. »

Le nouvel article L3121-33 du Code du travail dispose : « I.-Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche :
1° Prévoit le ou les taux de majoration des heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale ou de la durée considérée comme équivalente. Ce taux ne peut être inférieur à 10 % ; »

Ainsi, la loi travail n’a pas modifié les taux de référence, tant au niveau légal que conventionnel.
Les taux de majorations « par défaut », applicables en l’absence d’accord collectif sur le sujet, restent fixés à 25 % et 50 % (article 3121-36 du Code du travail).

Il est toujours possible de prévoir d’autres taux par accord collectif, avec un minimum de 10 % (article L3121-33 du Code du travail).

Le nouvel article 2253-3 du Code du travail à la suite de l’article 24 de la loi du 8 août 2016 prévoit : « En matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier de la quatrième partie, d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnée à l’article L. 2241-3 et de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ne peut comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels.
Dans les autres matières, la convention ou l’accord d’entreprise ou d’établissement peut comporter des stipulations dérogeant en tout ou en partie à celles qui lui sont applicables en vertu d’une convention ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement »
.

Un nouvel article article 2232-5-1 du Code du travail introduit par l’article 24 de la loi du 8 août 2016 dispose « La branche a pour missions : 1. De définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les entreprises relevant de son champ d’application, notamment en matière de salaires minimas, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale, de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier de la quatrième partie du présent code et d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnée à l’article L. 2241-3 ; 2. De définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords d’entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, à l’exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l’accord d’entreprise. »

Ainsi, comme le nouvel article L3121-33 du Code du travail prévoit la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires et cela avec l’application combiné des nouveaux articles 2253-3 et 2232-5-1 du Code du travail , il en résulte que l’accord d’entreprise pourra déroger à l’accord de branche concernant le taux de majoration des heures supplémentaires et que l’accord de branche ne pourra plus verrouiller le taux de majoration des heures supplémentaires.

Toutefois, il se pose une question importante est ce qu’un accord d’entreprise pourra déroger à un accord de branche qui comportait une clause de verrouillage du taux de majoration des heures supplémentaires avant la publication de la loi du 8 août 2016 et prévoir ainsi un taux de majoration des heures supplémentaires moindre par rapport à un accord de branche comportant une clause verrouillage antérieur à la publication de la loi ?

La loi ne traite pas de manière expresse ce point.

Toutefois, le Conseil constitutionnel dans sa décision en date du 4 août 2016 relative à la loi travail en statant sur l’article 27 concernant le droit à indemnisation des organisations syndicales a rappelé le principe constitutionnel de ne pas porter atteinte aux conventions légalement formées sur le fondement des articles 4 et 7 de la déclaration de 1789.

De plus, le conseil constitutionnel a pu aussi faire application de ce principe constitutionnel de ne pas porter atteinte aux conventions légalement formées dans sa décision en date du 13 janvier 2000 (DC 99-423, loi relative à la réduction négociée du temps de travail).

Ainsi, il semble en vertu de ce principe constitutionnel de ne pas porter atteinte aux conventions légalement conclues que les accords d’entreprises ne pourront déroger à l’accord de branche concernant le taux de majoration des heures supplémentaires dans les 45 branches les plus importantes qui avaient verrouillé le taux de majoration des heures supplémentaires avant la publication de la loi travail.

Le nouvel article L2132- 12 du Code du travail issu de l’article 21 de la loi du 8 août 2016 subordonnant un accord d’entreprise notamment sur le sujet du taux de majoration des heures supplémentaires à la signature d’un accord avec un délégué syndical à compter du 1er janvier 2017, soit signature par des syndicats ayant obtenu plus de 50 % des voix exprimés en faveur de syndicats représentatifs au 1er tour des dernières élections professionnelles, soit si l’accord est signé par des syndicats n’ayant obtenu « que » plus de 30 %, possibilité pour ces syndicats de demander à faire valider l’accord par référendum auprès des salariés.

Ainsi, eu égard à tous ces éléments, la loi travail ne prévoit pas de baisse générale du taux de majoration des heures supplémentaires et les cas de baisse du taux de majoration des heures supplémentaires seront très marginaux.

Par Eric SLUPOWSKI Avocat au Barreau de Paris Titulaire du Certificat de spécialisation en droit du Travail délivré par le Conseil National des Barreaux Avocat Spécialiste en Droit du Travail Chargé d'enseignement en Droit du Travail dans la filière AES à l'Université de Paris 10 NANTERRE
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