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Nullité du licenciement pour faute grave d’un directeur du CRE RATP pour violation de la liberté d’expression et pour harcèlement moral. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 12 septembre 2016
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Monsieur X a été embauché à compter du 1er novembre 1993, sous contrat à durée indéterminée, en qualité de directeur de maison de vacances, statut cadre.
Le 1er février 2012, il a été nommé directeur de la culture et des loisirs.
Le 26 novembre 2013, il a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande d’annulation une sanction disciplinaire (un blâme en date du 18 octobre 2013) et d’une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Par une lettre en date du 3 avril 2014, il s’est vu notifier son licenciement pour faute grave, alors que son salaire moyen s’élevait à 5.384 euros.

(CPH Bobigny 26 août 2016, Départage)

1) Jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny du 26 août 2016 (Encadrement - départage)

Le Conseil de Prud’hommes condamne le CRE RATP à verser à l’intéressé les sommes suivantes :
-  100.000 euros à titre d’indemnité de licenciement nul ;
-  7.167 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;
-  716 euros au titre des congés payés afférents ;
-  32.306 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
-  3.230 euros au titre des congés payés afférents ;
-  29.471 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
-  30.000 euros au titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
-  5.000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat ;
-  1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au total, le salarié obtient 209.390 euros bruts et le CRE RATP doit aussi rembourser les allocations chômage dans la limite de 6 mois de salaire.

1.1) L’annulation du blâme du 18 octobre 2013

Le juge départiteur, annule le blâme aux motifs qu’ « il résulte de ces éléments que Monsieur X. a fait l’objet d’une sanction alors qu’il dénonçait des agissements qu’il imputait, aux côtés de trois de ses collègues, membres de l’équipe de direction, à la direction générale, usant, par-là, de sa liberté d’expression, et dénonçant une atteinte aux conditions de travail, sans mauvaise foi de sa part ou intention de nuire à quiconque » ;
« Loin de porter atteinte à son obligation de loyauté ou encore de dénigrer la direction, Monsieur X. a exposé les éléments qu’il considérait comme étant d’une gravité suffisante pour être dénoncés et appeler une recherche de solution » ;
« Au vu de ces éléments le blâme porte une atteinte grave à la liberté d’expression du salarié, en ce qu’il vise à faire empêcher toute dénonciation en lien avec le mode de gouvernance, sera annulé »
.

1.2) Le CRE RATP condamné à 30.000 euros pour harcèlement moral

Le juge départiteur relève que « Monsieur X produit un certificat médical en provenance de son médecin traitant et en date du 23 mai 2014, qui indique qu’il lui a prescrit un traitement anti dépresseur en septembre 2013, suite à une dégradation de son état en lien avec ses difficultés professionnelles et qu’il est à ce jour encore sous traitement.
Il ressort du PV de réunion de l’équipe de direction du 1er octobre 2013, que 4 de ses membres, sur 5 personnes présentes, en dehors du directeur général mis en cause, ont dénoncé les méthodes de management en lien avec la nouvelle gouvernance mise en place par ce dernier.
Le dépôt du communiqué par ces 4 membres de l’équipe de direction a engendré le prononcé d’un blâme à l’encontre de Monsieur X, le 18 octobre 2013, tel que ci-dessus évoqué et portant une atteinte grave à la liberté d’expression de Monsieur X.
Une mention au registre spécial « danger grave et imminent » a été porté le 5 décembre 2013 par les membres du CHSCT indiquant que suite à la dénonciation de Monsieur X et des alertes de plusieurs salariés, est constatée une dégradation de son état mental. Il est demandé une visite médicale à son retour de congés. (…) »
.

Au titre du contexte, Monsieur X produit une lettre de l’inspection du travail, du 25 avril 2012, faisant état de pratiques managériales brutales et déstabilisantes, indiquant qu’entre janvier 2011 et janvier 2012, pas moins de 40 procédures disciplinaires ont été engagées dont 27 après l’arrivée du nouveau directeur général, et que plusieurs autres procédures disciplinaires ont été engagées après le mois de janvier 2012.

La lettre indique que ces procédures tendent à mettre en évidence le caractère abusif de l’exercice disciplinaire contribuant à créer et à développer des situations de souffrance au travail.

Monsieur X produit une lettre en provenance du médecin du travail, évoquant des cas de souffrance pathologiques au travail, parmi les salariés de la direction du CRE RATP, en lien probable avec l’organisation du travail et du management.

Le juge départiteur conclut que « L’ensemble de ces éléments sont de nature à laisser présumer une situation de harcèlement moral, consistant dans des agissements répétés visant à dégrader les conditions de travail de Monsieur X, altérant sa santé mentale, et susceptible d’altérer son avenir » ;
« Face à ces éléments le CRE RATP n’établit pas, par les pièces qu’il produit aux débats, que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. »

Le Conseil de prud’hommes juge que le harcèlement moral est établit et alloue au salarié la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Le salarié obtient aussi 5.000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité résultat par le CRE RATP.

1.3) Nullité du licenciement pour fautes graves suite à des actes de harcèlement moral

Le juge départiteur relève que « la lettre de licenciement du 3 avril 2014 indique notamment et s’agissant de son 3ème grief, que Monsieur X a, lors de la réunion de la commission activités culturelles du 18 février 2014, où étaient présents des élus et des salariés DCL, tenu certaines affirmations qui ont dépassé très largement le cadre de la liberté d’expression dont bénéficie tout salarié et procèdent à des accusations gratuites et de dénigrement à l’encontre de la direction générale.
La lettre relève que Monsieur X a notamment fait publiquement état d’ingérence indiquant ne pas pouvoir travailler avec quelqu’un qui le harcèle et d’une « situation gravement dégradée notamment par la gestion par la direction générale de l’organisation de la journée de la femme »
.

Le juge départiteur considère qu’ « il résulte des termes mêmes des reproches ainsi formulés à Monsieur X, qu’ils remettent en cause la liberté fondamentale de ce dernier quant à la dénonciation des faits de harcèlement moral dont il s’estimait victime, et pour lesquels il avait, notamment, saisi la présente juridiction, suite au blâme qui lui avait été infligé, en lien avec la dénonciation de ses conditions de travail, et, au surplus, annulé par la présente décision.
Loin de caractériser une mauvaise foi ou une volonté de nuire, les accusations en question concernant lesquelles l’action judiciaire était pendante, ont été formulées par Monsieur X de façon continue »
.

Le Conseil conclut qu’ « au vu de ces éléments, l’employeur ayant porté atteinte à une liberté fondamentale dans le cadre de la mesure de licenciement qu’il a engagée à l’encontre de Monsieur X, et partant, qu’il n’y ait pas lieu d’examiner les autres griefs, le licenciement est nul ».

Le salarié obtient 100.000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause.

Le CRE RATP a interjeté appel du jugement.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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