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L’enfant et les tiers : jungle des droits et loi du plus fort. Par Aubéri Salecroix, Avocat.
Parution : mercredi 28 septembre 2016
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Soucieux de satisfaire les intérêts de chacun, et peut-être surtout dans l’intérêt de ne s’attirer les foudres de personne, le législateur a progressivement étendu le champ des personnes pouvant revendiquer des droits sur l’enfant.
Or, si désormais le Code civil permet de garantir à chacun le droit d’entretenir des relations avec l’enfant, qu’en est-il de l’intérêt de ce dernier de maintenir des liens véritables avec chacun ?

Baladé, écartelé, bien trop souvent placé au cœur du conflit parental ou familial, l’enfant se retrouve objet de convoitise plutôt que d’intérêt.

Devant la multiplication des revendications, la relation de l’enfant avec les tiers devient quantitative plutôt que qualitative. Rester en contact certes, mais à quel prix ?

Chacun entend revendiquer et exercer son droit, faisant peu de cas de la conciliation de ce dernier avec celui des autres. L’individualisme, voire l’égoïsme, règne en maître et l’intérêt supérieur de l’enfant se trouve rapidement sacrifié au profit des intérêts des adultes.

Chaque parent se doit d’assurer le respect de son droit par (contre ?) l’autre (I) tout en résistant aux velléités des proches de l’enfant (II).

I. L’autorité parentale : la loi du plus fort

Chacun a des droits concurrents et, précisément, la concurrence est rude !

Il n’est pas rare, dès lors qu’un conflit survient, que l’enfant se trouve brutalement impliqué dans un conflit parental inextricable, moyen de pression dans une lutte acharnée dont le véritable enjeu est bien souvent très éloigné de son intérêt.
En effet, si par principe la loi octroie des droits équivalents aux parents en vertu de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, il s’avère qu’en situation de crise c’est rapidement la loi du plus fort qui s’instaure.

Apparaissent alors deux grands cas de figure.

Le premier concerne les parents encore mariés ou les partenaires et concubins ne disposant d’aucun jugement relatif à l’organisation de la vie de l’enfant.

Règne ici la loi du plus fort chacun ayant les mêmes droits que l’autre il en use à sa guise et sans considération ni du respect des droits parentaux de l’autre ni de la volonté ou l’intérêt de l’enfant.

On observe ainsi fréquemment lors de la séparation un parent emmenant avec lui les enfants et refusant de les présenter à l’autre jusqu’au jugement voire de l’informer de leur santé et bien-être. Impossible de déposer plainte pour non représentation d’enfant faute de décision judiciaire, tout au plus une main courante pour différend conjugal dont on sait pertinemment qu’elle n’aura pas de suite.

De même, les procédures d’urgence n’ont que peu d’intérêt lorsque le délai d’audiencement d’une procédure de référé ou de jour fixe s’évalue à plusieurs semaines et que l’on ignore la nouvelle adresse du parent fuyant. Et encore faut-il que ce type de procédure soit admis par la juridiction, ce qui n’est pas toujours le cas dans la pratique.
Autant de temps pendant lequel l’enfant se trouve privé du droit de voir son autre parent.

La situation n’est guère plus enviable pour les parents divorcés ou ayant obtenu un jugement fixant les mesures relatives à l’enfant.
En effet, s’il est alors possible de déposer plainte pour non représentation d’enfant, le délai d’instruction de celle-ci, lorsqu’elle a lieu et débouche sur des poursuites, est simplement rédhibitoire et les obstacles liés aux procédures d’urgence demeurent identiques.

Enfin, ne parlons pas des cas d’enlèvement d’enfant à l’étranger qui, s’ils sont généralement traités avec davantage de diligences par les autorités, entrainent des délais à rallonge et ne se soldent pas toujours par la restitution des enfants par le parent délinquant.

A la loi du plus fort, de celui qui saura faire fi sans état d’âme des droits parentaux de cette autre personne qu’il a suffisamment aimé pour concevoir un enfant, succède trop souvent une impunité propice à la réitération.

Un rappel à l’ordre du juge aux affaires familiales adressé au parent qui exerce son droit de visite selon son bon vouloir et la plupart du temps dans le but d’assouvir une certaine rancœur en parasitant le quotidien de l’autre, n’a que peu d’impact et il serait hypocrite de le nier.

Dans l’attente, les parents subissent certes une angoisse inadmissible mais surtout l’enfant se trouve brutalement coupé de son environnement ou tiraillé par un conflit de loyauté profondément nuisible à son épanouissement personnel. Victime de la guerre intestine de ses géniteurs.

Aux difficultés d’harmoniser les droits des parents concernant l’enfant en évitant que l’un décide unilatéralement de priver l’autre de ses droits s’ajoute la nécessité de concilier l’autorité parentale avec les droits accordés aux tiers.

II. Le droit de visite et d’hébergement : la jungle des droits

L’article 371-4 du Code civil dispose que :
« L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit.
Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non »
.

Mais au regard de la pratique actuelle, ne devrait-on pas considérer que l’intérêt des tiers prime bien souvent sur celui de l’enfant ?

Incontestablement, l’intérêt supérieur de l’enfant, et qui devrait toujours prévaloir, est d’évoluer dans un environnement stable et sécurisant, assurant son épanouissement personnel tant intellectuel et psychologique qu’affectif.

Or, précisément, le recours à l’article précité, et donc à la voie judiciaire, démontre clairement que ce climat pacifique est absent et que la communication est rompue.

S’il semble évidemment dans l’intérêt de l’enfant d’entretenir des liens avec les adultes de son entourage, qu’ils soient ou non de sa famille, encore faut-il que ces derniers fassent preuve de suffisamment d’intelligence dans leurs rapports.
Ce dont on peut douter lorsqu’ils se montrent capables de placer l’enfant au cœur des dissensions plutôt que de leurs attentions.

Ce dernier subit la guerre des adultes non seulement concernant les modalités matérielles de ce droit (planning, trajets, coût, etc) mais encore leurs griefs qu’ils n’hésitent pas à exprimer devant lui, marionnette empêtrée dans les fils de cette toile inextricable de ressentiments.

En outre, l’enfant est accablé de toutes parts : grands-parents, beau-parent, oncles et tantes, sans parler des familles recomposées où naturellement les intervenants se trouvent multipliés d’autant…

C’est une véritable jungle et l’on peut se demander, si chacun exerçait sa faculté de demander un droit de visite et/ou d’hébergement, quand l’enfant serait susceptible de passer du temps avec ses parents ou même ses amis.
Car si l’enfant se construit certes au sein de sa famille, il va s’épanouir au-delà et construire ses propres relations, celles qu’il aura choisies d’entretenir sans se les voir imposées par un magistrat ou des revendications individuelles.

N’oublions pas que l’intérêt de l’enfant est d’entretenir des relations avec les tiers mais que ces derniers ne doivent pas seulement être ceux qu’on lui impose, ils doivent surtout être ceux que l’enfant choisit, que ce soit au sein de la famille comme à l’extérieur.

Accordons-lui l’écoute qu’il mérite et ne faisons pas abstraction de ses désirs lorsqu’il est en capacité de les exprimer consciemment.

Entre loi du plus fort et jungle des droits, la situation actuelle de l’enfant est peu enviable et on ne peut que douter qu’elle garantisse son « intérêt supérieur ».

Avocat asalecroix.avocat@gmail.com https://www.facebook.com/Cabinet-davocat-Aub%C3%A9ri-Salecroix-1914523838761774/ Droit de la famille Droit pénal
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