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Point sur le Droit de la protection animale. Par Eric Alligné, Avocat.
Parution : samedi 8 octobre 2016
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La société française se soucie de plus en plus du bien être animal (qu’il soit sauvage, domestique ou de compagnie) et notamment de leurs droits et de leur protection en France. Aussi cet article fait le point sur l’évolution du droit animal au niveau national et comment se situe la législation française par rapport à celles mise en place ailleurs dans le Monde.

Article mis à jour par son auteur en octobre 2022.

1/ Droit des animaux, quelles en sont les avancées significatives ?

En 1976, les animaux sont considérés pour la première fois comme des être sensibles dans le Code rural.
L’article L 214-1 du Code rural établit alors que :

« tout animal étant un être sensible il doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».

Cependant, l’animal reste considéré à ce moment-là dans le Code civil comme un bien, meuble ou immeuble par destination.

En 2015, soit 39 ans plus tard, l’animal accède au statut d’être sensible dans le Code civil cette fois.
L’article 515-14 du Code civil établit que l’animal est considéré comme un « être vivant doué de sensibilité ».
Il n’est plus légalement considéré comme un "bien meuble" ou "immeuble par destination". Mais malheureusement, le législateur précise en 2015 que le régime juridique des biens meubles ou immeubles par destination doit continuer à être appliqué par les tribunaux dans tous les contentieux concernant les animaux.

Si cette loi de 2015 représente une avancée sociétale importante, l’avancée juridique est plus mitigée. Mais l’on comprend bien avec l’article 515-14 du Code civil que la société française est en pleine mutation. En fait cette loi représente l’ouverture de tous les débats que nous connaissons aujourd’hui concernant le droit des animaux. Ainsi les animaux sauvages ou domestiques étant désormais reconnus comme des êtres vivants et sensibles, il est alors désormais beaucoup plus difficile de justifier légalement et socialement les corridas, la chasse, la chasse à courre ou encore la façon dont sont élevés puis massacrés les animaux dans certains abattoirs.
Ces très polémiques sujets dans la société française de 2022 se doivent en conséquence d’être légiférés au plus vite en harmonie avec les textes légaux reconnaissant un droit aux animaux à être protégés.

Enfin et plus récemment, le juge des référés du Conseil d’État saisi en référé-liberté [1] a consacré pour la première fois le droit à la vie d’un animal de compagnie dans un dossier concernant un chien de catégorie et une décision d’euthanasie prononcée sur délégation du Préfet de Paris. Ce qui est important dans cette décision est que le Conseil d’État vise l’article 515-14 du Code civil, la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Comme on peut le voir, les textes légaux sont là en France pour permettre aux juridictions, quelles qu’elles soient, d’exercer une protection accrue des animaux et donc une reconnaissance de leurs droits, droit à vivre, droit à ne pas être brutalisé et torturé, droit de ne pas souffrir.

Alors qu’en est-il de la très médiatisée loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale ? En fait cette loi aurait pu être également une avancée importante en établissant un socle de mesures diverses mais allant toutes dans le sens d’une reconnaissance d’un meilleur statut pour les animaux. Malheureusement il faut bien constater que les nombreux amendements parlementaires tant au niveau de l’Assemblée nationale que du Sénat ont réduit cette loi du gouvernement à quelques mesures sans grande portée.

2/ Les domaines dans lesquels les droits des animaux devrait progresser.

Il existe deux domaines où la société française doit progresser concernant le droit des animaux.

Le premier sont les peines pénales applicables et non appliquées en cas de maltraitance animale. En effet si vous prenez l’article 521-1 du Code pénal, ce texte prévoit qu’en cas d’acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou en captivité (notons que les animaux sauvages n’ont pas droit à la protection de ce texte), les peines maximum applicables par les juridiction pénales sont 3 ans fermes et 45 000,00 € d’amende.
Force est de constater que peu ou pas de décisions judiciaires n’arrivent aujourd’hui à ces quantums. Loin de là. Or la dissuasion vient aussi de l’éducation des futurs contrevenants par la sanction appliquée aux prévenus. Dans une société qui repose plus que jamais sur l’argent, une amende très importante et prélevée à la source aiderait aussi à une forme de valorisation de la vie et de la souffrance d’un animal. C’est souvent le plus simple qui est le plus efficace pour le plus grand nombre. L’on pourrait évoquer aussi la mise en place de peines plancher dans le cas de sévices graves, volontaires ou d’actes de cruauté, et ce afin de faciliter cette prise de conscience tellement nécessaire en 2022.

Le second domaine, plus doctrinal celui-là, serait d’introduire en droit une véritable réflexion sur un statut juridique propre à l’animal et bien entendu protecteur de ce dernier. Ainsi, certaines décisions jurisprudentielles étrangères ont accordé une personnalité non humaine par le biais de l’habeas corpus (pourtant réservée aux humains en droit anglo-saxon). En Colombie dans une affaire où un ours avait été enfermé dans un zoo, la Cour suprême de Colombie l’a libéré et a ordonné qu’il soit relâché dans une réserve et ce au nom d’une protection acquise par la voie de l’habeas corpus. Toute la question d’un animal, sujet de droit, est ici posée. Pour le juge colombien, le débat a été tranché : l’animal est un sujet de droit et non un objet. Il en est de même pour la Cour constitutionnel d’Equateur qui a reconnu en avril 2022 des droits juridiques distincts aux animaux sauvages. Toujours de l’autre côté de l’atlantique, en 2015, la Cour suprême de New York a accordé le statut de personnes non humaines bénéficiant de l’habeas corpus à deux chimpanzés utilisés par l’université Stony Brook de Long Island pour une expérimentation scientifique.

L’enjeu est ici de définir si l’animal peut être légalement reconnu comme un réceptacle de droit bénéficiant donc d’un statut bien à lui. Si l’on se place dans la perspective d’une "partie faible", statut bien connu dans de nombreux domaines du droit, les animaux domestiques, de compagnie ou sauvage pourraient se voir reconnaitre une protection juridique légale et ce conformément à un statut de "partie faible" qui leur serait propre.

3/ La place de la France par rapport au Droit européen, au Droit international.

Il est difficile de placer tel ou tel pays en champion de la protection animale et donc d’effectuer un classement où la France serait à telle ou telle place.
Ainsi l’Autriche qui est réputée comme un pays très en avance sur le bien–être animal prévoit une amende allant jusqu’à 16 000,00 € en cas d’actes de cruauté sur des animaux. Comme mentionné plus haut, notre code pénal mentionne 45 000,00 € dans ce type de cas. Encore faudrait-il bien sûr que ce montant soit appliqué.
La Nouvelle-Zélande n’a passé quant à elle une loi reconnaissant les animaux comme des êtres sensibles qu’en 2019 et ce à la différence de la France qui l’a promulguée en 2016. La Royaume-Uni prévoit de son côté, depuis la loi dite Lucy du 6 avril 2020, une peine de 5 ans de prison en cas de cruauté contre un animal et semble donc, au contraire de la France, plus sévère dans ses condamnations que la France.

Comme on le voit dans de nombreux pays, les textes et lois vont tous dans le même sens d’une protection accrue des animaux. Certains pays vont bien évidemment être plus en avance que la France sur certains points, sur des sujets comme l’expérimentation animale ou le combats d’animaux qui sont illégaux par exemple dans les 50 états des Etats-Unis.
D’autres vont être par contre plus en retard sur d’autres sujets concernant le droit des animaux.

C’est pourquoi, encore plus qu’un classement, c’est surtout des lois innovantes et un système judiciaire et policier adaptés qui feraient peut-être de la France un pays cité internationallement pour sa lutte contre la maltraitance animale. On pense il est vrai, et cela commence timidement dans certaines juridictions comme à la Cour d’appel de Toulouse qui vient de se doter d’un pôle maltraitante animale, à des juges, des cours spécialisés en droit des animaux, des brigades policières et de gendarmerie adéquatement formés et ne s’occupant sur le terrain que de ce domaine. Sur ce dernier point et à titre d’exemple Deborah Knaan a été nommé en 2007 procureur du comté de Los Angeles pour tous les dossiers de cruauté contre les animaux et supervisait plus de 28 substituts.

4/ Le cas particulier des espèces dites “nuisibles”.

La France est un des rares pays ayant une liste fixée par décret sur les espèces dites “nuisibles”. Le gouvernement a reconduit jusqu’au 30 juin 2023 la liste pour chaque département des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), la nouvelle dénomination des espèces dites nuisibles. Cette liste fixant les ESOD ou nuisibles dont la dernière mouture remontait à 2019 doit normalement être actualisée tous les trois ans mais cela n’a pu être le cas en 2022 du fait de la crise sanitaire et de l’absence de données sur le nombre de destruction liée à chaque espèce.

En effet, au vu de cette liste chaque préfet peut demander ou autoriser les fédérations locales de chasseurs à détruire par piégeage ou par tir les ESOD sous couvert d’une "prolifération" dans le département de certaines de ces espèces. Or cette liste inclut dans les ESOD, et de manière non exhaustive, des animaux comme le renard roux, le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes, l’étourneau sansonnet, le sanglier ou encore le vison.Très curieusement l’on notera que les souris ou les rats par exemple ne sont pas inclus dans cette liste des nuisibles.

En fait aujourd’hui la pratique en France de tuer certains animaux pour des raisons sanitaires ou environnementales fait bien évidemment débat et est très critiquée. Des statistiques fiables sur la prolifération et destruction qui en résulteraient sont peu ou pas disponibles. Or on le voit sur le terrain c’est essentiellement la remontée des informations venant des chambres d’agriculture ou des fédérations de chasseurs qui sert de base à l’établissement de cette liste gouvernementale de nuisibles ou ESOD.

Notons que l’arrêté du 30 septembre 1988 avait fixé une liste des animaux susceptibles d’être classés nuisibles et ce sur avis du Conseil national de la Chasse. Le fait que ces entités (Chambres d’agriculture ou fédérations de chasseurs) soient à la base des listes de nuisibles et se voient en même temps dédommagés pour l’abattage ou les dégâts occasionnées pose un problème évident d’objectivité et d’impartialité. C’est pourquoi, à mon sens, ces hypothétiques proliférations et destructions engendrées se doivent d’être chiffrées et évaluées par un ou des organismes réellement indépendants donnant ainsi au gouvernement et aux préfets les outils adéquats pour déterminer si telle ou telle espèce serait en fait réellement “nuisibles” en France.

Enfin et pour clore cette réflexion, au vu des destructions massives des biotopes par incendies, inondations et autres catastrophes ces dernières années, il serait extrêmement bienvenu et judicieux, si la France veut se hisser en haut d’une liste de pays champions de la protection animale, de remplacer définitivement les programmes d’éradication par des alternatives de prévention respectueuses de la faune et de la flore. Qu’on le veuille ou non, il y a une exigence d’équilibre et d’harmonie dans la nature qui implique de reconnaître une place à chacun de ses acteurs. Une chaîne dont chaque maillon est gardien du suivant. Les seuls “nuisibles” ici sont ceux qui s’imaginent être libérés d’un équilibre naturel à préserver.

Eric Alligné, Avocat au Barreau de Paris

[1CE, 1er déc. 2020, n° 446808.