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Le délai d’appel bénéficiant au procureur général est-il contraire au principe de l’égalité des armes ? Par Jamel Mallem, Avocat.
Parution : lundi 10 octobre 2016
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Le délai d’appel du procureur général, plus long que celui accordé aux autres parties, constitue-t-il un déséquilibre contraire au principe de l’égalité des armes ? Est-ce conforme à l’exigence d’un procès équitable prévue par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme ?

Telles sont les questions qui ont été examinées par la Cour de cassation, lors de l’articulation d’un moyen de droit évoqué par la défense, critiquant le prononcé d’une condamnation plus sévère prononcée par la cour d’appel de Nîmes, saisie par le seul appel du procureur général.

Rappelons brièvement les faits :

Le 15 septembre 2012, un accident se produit, impliquant le véhicule de Monsieur Emmanuel X… et un motocycliste pilotée par une personne, qui décède des suites de ses blessures.

A la suite de l’ouverture d’une information judiciaire, Monsieur X…est mis en examen. Le relevé d’information intégral de son permis de conduire, édité le 16 septembre 2012, relève la commission de plusieurs infractions : trois excès de vitesse et deux conduites en état alcoolique, ce depuis le 28 juin 2008.

A l’issue de cette instruction, il est renvoyé devant le tribunal correctionnel, notamment pour homicide involontaire par conducteur de véhicule en état alcoolique et par violation manifestement délibérée ou de prudence, en récidive.

Par jugement en date du 3 juillet 2014, le tribunal correctionnel le déclare coupable et le condamne à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve et à l’annulation de son permis de conduire.
Le 23 juillet 2014, le procureur général près la cour d’appel de Nîmes relève appel de cette décision.

Quelques précisions sur l’exercice du droit d’appel.

En vertu des articles 496 et 497 du Code de procédure pénale, l’exercice du droit d’appel concerne :

L’appel de l’assureur produit effet à l’égard de l’assuré, en ce qui concerne l’action civile. L’assureur doit notifier cet appel à l’assuré, dans le délai de 3 jours, par lettre recommandée avec avis de réception (article 509 alinéa 2 du CPP).

Selon les articles 498 à 499 du CPP, le délai d’appel est de 10 jours.

Lorsque l’une des parties fait appel dans ce délai, les autres parties bénéficient d’un délai supplémentaire de 5 jours pour faire appel également.

Concernant le droit d’appel du procureur général près la cour d’appel, à la différence des autres parties, il convient de préciser que celui-ci dispose d’un délai de 20 jours à compter du prononcé de la décision de condamnation (article 505 du Code de procédure pénale).

Si tel est le cas, comme précédemment, les autres parties disposent encore d’un délai de 5 jours pour interjeter appel incident.

L’article 505 alinéa 2 du Code de procédure pénale ajoute que :
« Même en l’absence d’appel incident, la cour d’appel peut, en cas d’appel formé par le seul procureur général en application du présent article, prononcer une peine moins importante que celle prononcée par le tribunal correctionnel ».

Enfin, selon l’article 515 du Code de procédure pénale :

Revenons en aux faits :

Le procureur général près la cour d’appel de Nîmes fait appel le 23 juillet 2014 d’un jugement correctionnel en date du 3 juillet 2014, donc dans le délai de 20 jours. Cet appel est recevable du fait qu’il a été interjeté le dernier jour du délai prescrit par l’article 505 du Code de procédure pénale.

Rappelons que Monsieur Emmanuel X… a été condamné en première instance à 18 mois de sursis et mise à l’épreuve et à l’annulation de son permis de conduire.

Le 26 février 2015, la cour d’appel de Nîmes confirme la déclaration de culpabilité de Monsieur X… concernant les faits d’homicide involontaire aggravé en récidive légale, mais infirme le jugement correctionnel sur la peine, et prononce une peine de 6 ans d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt, tout en maintenant l’annulation du permis de conduire.

La défense forme un pourvoi contre cet arrêt.

En effet, l’article 505 du CPP ouvre au procureur général un délai d’appel plus long que celui accordé aux autres parties par l’article 498 de même code.

Par ailleurs, Monsieur X…, qui n’avait pas fait appel du jugement correctionnel, a vu sa condamnation s’aggraver, compte tenu du fait que sa peine d’emprisonnement avec sursis a été remplacée par une peine de six ans d’emprisonnement ferme qui n’est pas aménageable.
Ainsi, la défense soulève le fait que l’article 505 du Code de procédure pénale crée une situation d’insécurité juridique née de la différence entre les délais de recours.

Poursuivant son argumentation, la défense évoque que ce déséquilibre, engendré par la prolongation du délai d’appel bénéficiant au parquet, a mis le prévenu dans une position de net désavantage par rapport au ministère public, ce qui est contraire au principe de l’égalité des armes.

Dès lors, la défense sollicite de la Cour de cassation d’annuler l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, pour violation des dispositions de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Tel n’est pas la position de la Cour de Cassation qui écarte ce moyen, dans les termes suivants :
« Attendu que l’article 505 du Code de procédure pénale, qui fixe à vingt jours le délai d’appel du procureur général, n’est pas contraire à l’exigence d’un procès équitable, dès lors que le prévenu bénéficie d’un droit d’appel incident et dispose d’un délai lui permettant de l’exercer utilement ».

Cass. Crim, 13 Septembre 2016, N°15-82345

Pour la Cour de cassation, la faculté d’appel du parquet général est sans incidence quant à l’aggravation du sort de l’appelant, rappelant que ce dernier dispose également la possibilité de faire appel incident.

Or, le prévenu n’avait pas fait appel et avait ainsi accepté tacitement la condamnation prononcée en première instance. Quel aurait été son intérêt de faire appel, ou même appel incident en cas d’appel principal du parquet général puisqu’il n’avait nullement l’intention de remettre en cause le jugement de condamnation prononcé par le tribunal correctionnel ?

En outre, comme le rappelle l’article 505 alinéa 2 du Code de procédure pénale (évoqué plus haut), même en l’absence d’appel incident, la cour d’appel de Nîmes pouvait prononcer une peine moins importante que celle qui avait été prononcée en première instance.

En tout état de cause, même si le prévenu avait fait appel incident dans le délai de 5 jours, soit jusqu’au 28 juillet 2014 inclus, l’aggravation de sa condamnation ne résultait pas des actes d’appel (et a fortiori de l’appel du parquet général) qui saisissent la cour d’appel de Nîmes, mais relevait au contraire de l’appréciation faite par la juridiction de second degré.

C’est ainsi que formant un pourvoi également sur le prononcé de la peine, la défense se voit rétorquer par la Cour de cassation que la cour d’appel de Nîmes a prononcé une peine d’emprisonnement sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l’article 132-19 du Code pénal, lequel prévoit la motivation spéciale de la décision judiciaire prévoyant le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme insusceptible de faire l’objet d’une mesure d’aménagement de peine, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité de l’auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.

Jamel MALLEM Avocat au Barreau de Roanne www.mallem-avocat.com https://www.facebook.com/jamel.mallem.1 https://twitter.com/mallemavocat SELARL Mallem-Kammoussi-Christophe