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Sur la comparution du détenu en cas d’appel d’une ordonnance du JLD rejetant sa DML. Par Jamel Mallem, Avocat.
Parution : jeudi 13 octobre 2016
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Pour expliciter le titre de cet article, JLD signifie juge des libertés et de la détention, et DML signifie demande de mise en liberté.
En cas d’appel d’une décision rejetant la mise en liberté du mis en examen détenu, sa comparution n’est pas automatique devant la chambre de l’instruction. Cela se complique lorsque le détenu et son avocat font appel, chacun de leur côté, de la décision rejetant la mise en liberté et lorsque seul l’avocat ou seul le détenu a sollicité sa comparution devant la chambre de l’instruction. Quel est l’acte d’appel qu’il convient de retenir ? Sont-ils tous les deux valables ?

Rappel des faits et de la procédure :

Daniele est mis en examen des chefs de l’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime, vols en bande organisée et tentatives, recels de vols en bande organisée, destruction du bien d’autrui par incendie et détention de faux document administratif.

Placé en détention provisoire, il formule une demande de mise en liberté.

Celle-ci est rejetée par le juge des libertés et de la détention.

Le mis en examen interjette appel de cette ordonnance de rejet de sa demande de mise en liberté, le 5 janvier 2016, auprès du chef de l’établissement pénitentiaire, mais sans solliciter sa comparution personnelle devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence.

Sa déclaration d’appel parvient au greffe de la chambre de l’instruction à 13H00, et est transcrite à 15H00 au greffe du tribunal qui a rendu la décision.

Le même jour, son avocat fait également appel de l’ordonnance de rejet de la demande de mise en liberté, à 14H00, mais en précisant que son client détenu demandait à comparaître personnellement devant la chambre de l’instruction.

Arrivé au jour de l’audience devant la Chambre de l’instruction, l’avocat constate que son client est absent et n’a pas comparu à l’audience, malgré sa demande lors de son acte d’appel effectué à 14H00 le 5 janvier 2016. Il demande un renvoi de l’audience pour faire comparaître son client à la prochaine audience.

La chambre de l’instruction refuse la demande de renvoi formulée par l’avocat.

Elle considère qu’elle doit examiner le jour-même l’appel du mis en examen de l’ordonnance de rejet de sa demande de mise en liberté, considérant que l’appel de l’avocat est irrecevable, puisqu’il est postérieur à l’appel de son client formalisé au greffe de la maison d’arrêt, qui a, selon ses termes, épuisé la voie de recours de l’appel.

Pour l’avocat, son appel est recevable et sa demande de comparution de son client était justifié, puisqu’il invoque le fait que son appel a été enregistré le 5 janvier 2016 à 14H00 alors que l’appel de son client a été enregistré à 15H00. Il estime qu’en tout état de cause, son appel complète l’appel de son client, par la demande de comparution, si l’on ne prenait en compte que l’appel de son client effectué à 13H00.

Qu’en est-il ? La positon de la chambre de l’instruction est-elle justifiée ?

Discussion :

Avant de répondre à cette question, quelques rappels sont nécessaires pour comprendre la problématique.

Une personne placée en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté (article 148 du Code de procédure pénale).

Cette demande est adressée au juge d’instruction, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la république pour obtenir ses réquisitions.

Sauf s’il donne une suite favorable à cette demande, le juge doit, dans les 5 jours suivant la communication au procureur, la transmettre avec son avis motivé au JLD (juge des libertés et de la détention), qui se prononce dans le délai de 3 jours.

Si le JLD n’a pas statué dans le délai, la personne ou le procureur de la République peut saisir directement de sa demande la chambre de l’instruction, qui sur réquisitions écrites et motivées du Procureur Général, se prononce dans les 20 jours de sa saisine, faute de quoi la personne est remise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées.

En l’espèce, le JLD refuse la demande de mise en liberté sollicitée par le mis en examen.

Ce dernier frappe donc d’appel cette ordonnance de rejet dans le délai légal de 10 jours.

En effet, en vertu de l’article 186 du Code de procédure pénale, la personne mise en examen peut interjeter appel d’une décision de rejet de demande de mise en liberté, dans les 10 jours qui suivent la signification ou la notification de cette décision.

Mais, lorsqu’il fait appel auprès du chef de la maison d’arrêt, le mis en examen ne précise pas qu’il demande sa comparution personnelle devant la Chambre de l’Instruction.

Or, en matière de détention provisoire, la comparution personnelle du mis en examen est de droit, si celui-ci ou son avocat en fait la demande (article 199 alinéa 6 du CPP).

Cette requête doit, à peine d’irrecevabilité, être présentée en même temps que la déclaration d’appel ou que la demande de mise en liberté adressée directement à la chambre de l’instruction (article 199 alinéa 6 du CPP).

En l’espèce, le mis en examen n’avait pas demandé sa comparution personnelle lors de son acte d’appel auprès du chef de la maison d’arrêt, alors que son avocat formulait le même jour cette demande en même temps que son appel enregistré au greffe de la Juridiction qui avait rendu la décision attaquée.

Il ne faut pas oublier qu’en cas d’appel d’une ordonnance rejetant une demande de mise en liberté, la chambre de l’instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les 15 jours de l’appel, faute de quoi la personne est mise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou en cas de circonstances imprévisibles et insurmontables mettant obstacle au jugement dans ce délai (Article 194 alinéa 4 du Code de procédure pénale).

Le jour de l’audience, l’avocat formule une demande de renvoi.

Pouvait-il solliciter le report de l’audience alors que la chambre de l’instruction était tenue par le délai de 15 jours ?

En effet, l’article 199 dernier alinéa du Code de procédure pénale prévoit qu’en cas de comparution personnelle de la personne concernée, ce délai maximum de 15 jours est prolongé de cinq jours.

Mais justement la chambre de l’instruction refuse cette demande de renvoi, car elle estime que le détenu n’a jamais demandé sa comparution personnelle : elle considère donc qu’elle est tenue par ce délai maximal de 15 jours pour se prononcer sur l’appel de l’ordonnance du JLD rejetant sa demande de mise en liberté.

Qu’il s’agisse de l’appel du mis en examen ou qu’il s’agisse de l’appel de son avocat, l’appel de l’ordonnance du juges des libertés et de la détention doit être fait dans les conditions et les modalités prévues par les articles 502 et 503 du Code de procédure pénale (article 186 alinéa 4 CPP).

Ce qui signifie que :

• Concernant l’avocat, la déclaration d’appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, signée par le greffier et l’avocat et inscrite sur un registre public (dont toute personne a le droit de s’en faire délivrer une copie) ;

• Concernant le détenu, l’appel doit être fait au moyen d’une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire, datée et signée par ce dernier et le détenu, adressée sans délai au greffe de la juridiction, et transcrite sur le registre public.

Quel appel faut-il prendre en considération ?

-  Celui du détenu enregistrée à 13H00 au greffe de la maison d’arrêt mais transcrite à 15H00 sur le registre public ?
-  Celui de son avocat enregistrée à 14H00 ?

Pour la Cour de Cassation :

• La transcription d’un appel sur le registre public tenu au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée est sans effet sur la validité de l’acte d’appel.

Cass. Crim., 5 avril 2016, N°16-80575

En conséquence, il n’y a pas lieu de tenir compte de la transcription de l’appel du détenu à 15H00.

Pour la Cour de Cassation :

• Le détenu a épuisé son droit d’appel de l’ordonnance du JLD par l’exercice de l’appel qu’il a fait auprès du chef de l’établissement pénitentiaire de sorte que l’appel de son avocat, déclaré postérieurement, est donc bien irrecevable.

Cass. Crim., 5 avril 2016, N°16-80575

La Cour de Cassation précise donc que l’article 199 alinéa 6 du Code de procédure pénale exigeant, à peine d’irrecevabilité, que la demande de comparution personnelle devant la chambre de l’instruction soit formulée en même temps que la déclaration d’appel, l’acte d’appel effectué par l’avocat ne pouvait pas compléter sur ce point la déclaration d’appel préalablement formée par le détenu.

Cass. Crim., 5 avril 2016, N°16-80575

Ainsi, pour la Cour de Cassation, la position de la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence est justifiée et le pourvoi est donc rejeté.

Au vu de cette décision, la seule leçon que l’on puisse en tirer est qu’il convient donc d’être très prudent et de bien se mettre d’accord avec son client détenu, pour savoir lequel des deux procèdera à l’appel de la décision litigieuse, et surtout en la matière, de faire le point sur la nécessité ou non de comparaître personnellement devant la chambre de l‘instruction.

Jamel MALLEM Avocat au Barreau de Roanne www.mallem-avocat.com https://www.facebook.com/jamel.mallem.1 https://twitter.com/mallemavocat SELARL Mallem-Kammoussi-Christophe