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Quand la partie civile n’est pas admise à être convoquée et à présenter ses demandes indemnitaires en appel. Par Jamel Mallem, Avocat.
Parution : vendredi 14 octobre 2016
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Une partie civile déboutée en première instance, qui n’a pas interjeté appel des dispositions civiles d’un jugement correctionnel, doit-elle être convoquée devant la cour d’appel et peut-elle solliciter, en cas de convocation, des dommages et intérêts contre le prévenu ?

Dans une affaire, François est condamné par le tribunal correctionnel pour violences aggravées commises à l’encontre d’un huissier de justice. A cette audience, la chambre régionale des huissiers de justice s’est constituée partie civile, mais ses demandes d’indemnisation ont été rejetées.
Le prévenu interjette appel des dispositions pénales du jugement mais n’interjette pas appel des dispositions civiles, puisqu’il n’a été condamné à verser aucun dommages et intérêts à la chambre régionale des huissiers.
A la suite de l’appel du prévenu, le procureur de la République interjette appel des dispositions pénales. Seule la chambre régionale des huissiers n’a pas interjeté appel des dispositions civiles du jugement, alors que ses demandes avaient pourtant été rejetées.

Le prévenu et la partie civile sont convoqués à l’audience qui se tient devant la cour d’appel de Toulouse. La chambre régionale des huissiers de justice se fait représenter par un avocat, qui est invité par la cour à prendre la parole et à déposer des conclusions de partie civile.
Par un arrêt en date du 27 mai 2015, la cour d’appel de Toulouse déclare de nouveau François coupable des violences reprochées et est condamné à une peine d’amende de 3000 euros. En outre, il se voit condamner à verser des dommages et intérêts à la chambre régionale des huissiers.
Il forme un pourvoi en cassation, considérant que la cour d’appel de Toulouse ne pouvait le condamner sur intérêts civils, car la partie civile n’avait pas frappé d’appel les dispositions civiles du jugement de première instance.

La Cour de cassation casse et annule cet arrêt, considérant que lorsque les dispositions civiles du jugement sont devenues définitives, la partie civile n’est plus partie à l’instance et ne peut comparaître à l’audience en appel ni s’y faire représenter en cette qualité par un avocat.

Cass. Crim., 5 avril 2016, N°15-83961

Quelques explications sont nécessaires :

Tout jugement correctionnel doit contenir des motifs et un dispositif (article 485 CPP). Les motifs constituent la base de la décision (c’est la motivation de la décision judiciaire).
Le dispositif énonce les infractions (dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables) ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles.

Les jugements rendus en matière correctionnelle peuvent être attaqués par la voie de l’appel. L’appel est porté à la cour d’appel (article 496 du CPP).

Selon l’article 497 du Code de procédure pénale, la faculté de faire appel appartient :

En l’espèce, concernant les trois parties aux procès : le procureur de la République, le prévenu François et la partie civile la chambre régionale des huissiers, deux d’entre eux ont fait appel des dispositions pénales et seul la partie civile n’a pas frappé d’appel les dispositions civiles du jugement (alors qu’elle a été déboutée de ses demandes).

L’article 509 du Code de procédure pénale précise que l’affaire est dévolue à la cour d’appel dans la limite fixée par l’acte d’appel et par la qualité de l’appelant. Ainsi, l’acte d’appel vient limiter la saisine de la cour d’appel.
Puisque l’acte d’appel du prévenu François et celui du procureur de la République concernaient uniquement les dispositions pénales du jugement correctionnel, la cour d’appel de Toulouse n’était donc pas saisie par l’appel des dispositions civiles du jugement. Ainsi, la partie civile la chambre régionale des huissiers n’aurait pas dû être convoquée à l’audience devant la cour d’appel puisqu’elle ne faisait plus partie du procès.

De même, bien que convoquée, elle ne pouvait plus être représentée par un avocat, et ne pouvait plus déposer de conclusions pour demander à la cour de condamner François à l’indemniser. En effet, en n’ayant pas fait appel des dispositions civiles du jugement, celles-ci sont devenues définitives, et par conséquent, la partie civile doit disparaître du procès en appel.

En conséquence, c’est en violation de l’article 509 du CPP que la cour d’appel de Toulouse avait fait droit à la demande d’indemnisation de la partie civile, alors que celle-ci aurait dû être déclarée irrecevable.

En ayant commis cette erreur, François le prévenu est parvenu à obtenir de la Cour de cassation l’annulation de l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse en toutes ses dispositions, y compris celles pénales.
Il devra être rejugé prochainement devant la cour d’appel de Toulouse, autrement composée. Et il est fort à parier que la chambre régionale des huissiers ne sera pas convoquée et si elle l’était de nouveau, en tout cas, elle ne devrait pas voir sa demande d’indemnisation être réexaminée.

A ce titre, il n’est pas vain de rappeler que conformément à l’article 515 du Code de procédure civile, la partie civile appelante ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle : toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance.

Enfin, sur le seul appel de la partie civile ou même du prévenu, la cour ne peut aggraver le sort de l’appelant.

Jamel MALLEM Avocat au Barreau de Roanne www.mallem-avocat.com https://www.facebook.com/jamel.mallem.1 https://twitter.com/mallemavocat SELARL Mallem-Kammoussi-Christophe