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L’avocat, ce gentleman de la castagne...
Parution : jeudi 13 octobre 2016
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La présence d’avocats dans un conflit assure qu’on va se battre à la loyale. Pas étonnant : l’avocat est un gentleman de la castagne.

Votre bien dévoué
Lundi matin automnal. Assis à mon bureau, café fumant à la main, j’entame la semaine par la lecture du courrier du palais porteur de son lot d’espoirs et de contrariétés judiciaires.

Je parcours le pli reçu d’un avocat : « Mon Cher Confrère. Je reviens vers vous dans cette affaire. Sans règlement amiable de votre client sous quinzaine, j’adresserai la grosse du jugement à l’huissier de justice pour exécution forcée. Votre bien dévoué. »

Je repose la lettre de mon contradicteur en soupirant : - chaud chaud ce dossier. Cela fait au moins six années que nos clients s’écharpent devant le Tribunal de Grande instance puis la Cour d’Appel pour un litige de limites de propriété. Et je ne compte pas le temps de l’expertise judiciaire préalable où l’expert désigné et les avocats ont joué bien malgré eux les rôles d’arbitres de boxe verbale.

Au final, les deux querelleurs ont été renvoyés dos à dos par les juges, mais mon client a toutefois été condamné au paiement des frais d’expertise judiciaire avancés par son adversaire.

Ça promet encore quelques belles passes ! Mon client est bien capable de faire la sourde oreille quitte à se faire sonner les cloches par un huissier de justice avant d’envoyer le règlement dû au voisin au moyen d’un chèque signé d’une main rageuse.

SCUD judiciaire
Côté avocats, ce n’est pas la même atmosphère. On défend farouchement les intérêts de son client, mais à la loyale et dans les formes.

Vous connaissez beaucoup d’adversaires qui s’écrivent en terminant leur lettre par la formule « votre bien dévoué »  ?

Vous connaissez beaucoup d’ennemis qui envoient leur plan de bataille avant de déclencher les hostilités ? C’est la règle lorsqu’un avocat décide de quitter des pourparlers. Il adresse à son confrère une copie de l’assignation en justice qu’il fait délivrer à son client histoire de prévenir que l’on quitte l’amiable pour une bataille judiciaire et de permettre à son contradicteur de se préparer à la première décharge.

Traduit en termes belliqueux, une telle missive pourrait donner : « Mon Cher Confrère, en l’absence de solution amiable, vous trouverez sous ce pli copie du SCUD [1] judiciaire que je fais délivrer à votre client devant le Tribunal de Grande Instance. Je tenais à vous en aviser afin que vous et votre client vous mettiez en ordre de bataille. Votre bien dévoué. »

On croirait presque entendre la formule célèbre attribuée au Comte d’Anterroches à la bataille de Fontenoy « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »

Epitoge angora
Les avocats auraient-ils l’esprit chevaleresque ?

Celui qui étudierait un tant soit peu les règles de la profession le concevrait. L’avocat est tenu de respecter dans l’exercice de ses fonctions les principes « d’honneur, de loyauté, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie ». [2]

Celui qui assisterait à une audience en conviendrait. On s’étripe civilement à la barre, le verbe haut mais la formule courtoise. On se toise élégamment en robe ébène avec revers de satin, ornée d’un rabat à dentelles et d’une épitoge angora.

L’avocat est donc bien un digne légataire de la chevalerie et de ses codes. Autrement dit, l’avocat est un gentleman de la castagne.

Et si j’en juge l’engouement des étudiants en droit pour la profession d’avocat, l’idéal chevaleresque est loin d’être passé de mode.

Me Loïc TERTRAIS Avocat

[1SCUD : série de missiles balistiques à courte portée développée dans les années 1950 par l’Union soviétique.

[2Article 1er du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat.

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