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Comment négocier votre contrat de travail ou de collaboration.
Parution : vendredi 14 octobre 2016
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Il est souvent difficile d’estimer sa valeur sur le marché du travail. Maître Pierre Servan-Schreiber, partage avec nous quelques conseils sur la façon de négocier un contrat de travail ou de collaboration.

Le thème que je souhaite aborder aujourd’hui est l’étape finale de la recherche d’emploi. Il s’agit de la négociation de votre contrat d’embauche. J’ai décidé de faire appel pour cela à un éminent professionnel de la négociation, Maître Pierre Servan-Schreiber. Pierre a dirigé de grands cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Il est aujourd’hui médiateur et arbitre. Il a également donné des cours de négociation à HEC.

Mireille Garolla (MGA) : Il est souvent difficile d’estimer sa valeur sur le marché du travail. Entre l’attitude qui consiste à penser que (si l’on est hors poste) la position de négociation n’est pas favorable et qu’au mieux on touchera le même salaire, ou celle qui consiste à se dire (si l’on est en poste) qu’on ne quittera pas son entreprise ou son cabinet à moins de X milliers d’euros de salaire…la situation devrait souvent être abordée avec plus de la réalisme.
Quels seraient les conseils que vous pourriez donner à nos lecteurs sur la façon d’envisager une négociation dans son processus général et dans le cas particulier d’un contrat de travail ?

Pierre Servan-Schreiber (PSS) : Essayons d’abord de définir ce qu’est une négociation : c’est une discussion entre deux ou plusieurs parties qui ont un intérêt commun potentiel et des intérêts particuliers qui ne sont pas nécessairement convergents. Donc l’objectif d’une négociation c’est d’arriver à voir si on peut mettre en œuvre ce projet commun en acceptant de mettre de côté certains de ses intérêts personnels. Si chaque partie fait ce même travail, on peut arriver à un accord. C’est cela une négociation.

MGA : J’entends entre les lignes 2 mots qui sont « transparence » et « bon sens » déjà dans la définition que vous me donnez.

PSS : Oui bien sûr. La négociation est un travail. Cela ne consiste pas à dire pour le (futur) salarié « c’est à prendre ou à laisser, moi je vaux tant » ou pour l’entreprise « j’ai tel contrat à vous proposer et c’est la norme de notre société ». Même si, malheureusement cette situation arrive souvent.
Une négociation est la définition d’un envie ou d’un besoin commun. En l’occurrence, il y a un poste à pourvoir pour lequel l’entreprise va devoir accomplir un processus de choix et de décision. Vous allez devoir l’aider à accomplir ce processus en cherchant à ce qu’elle vous choisisse vous.

MGA : Quels en sont les principes ? Est-ce qu’il y a comme au théâtre un principe de lieu, un principe de temps, un principe d’interlocuteur ?

PSS : Il y a une première règle que je garde toujours à l’esprit, c’est que lorsqu’on négocie, il faut être aussi souple sur la forme que l’on est dur sur le fond. Il y a des choses qu’on sait d’avance ne pas pouvoir accepter. Avant la négociation, il y a donc un travail à faire pour la partie qui va négocier.
Prenons un exemple qui va nous intéresser aujourd’hui : un homme ou une femme qui entre en négociation. Ca peut prendre la forme d’un entretien d’embauche, d’échanges de courriels, d’un entretien réseau, mais aussi d’une conversation.
Le travail de négociation débute préalablement à cet échange, lorsque l’on se renseigne sur l’entreprise, sur la façon dont elle parle d’elle-même ou sur ce que les autres en disent. Il y a pour cela des dizaines de sources d’informations : youtube, LinkedIn, les réseaux sociaux…
La masse d’informations disponible aujourd’hui est considérable et il faut l’utiliser à son profit.

MGA : La règle n°1 consiste donc à énoncer que l’on est coupable si l’on ne se renseigne pas.

PSS : Oui, « connaissez votre adversaire ». Cela est vrai depuis l’antiquité chinoise. Ca va vous permettre de mieux déterminer ce qu’il peut vraiment vous offrir ou pas, parce qu’il est inutile de se battre sur des points que l’autre ne peut pas concéder. On ne les connaît pas à l’avance et il est inutile de les demander.
Ensuite, il est important d’essayer de comprendre les contraintes de l’autre. Cela signifie écouter et comprendre. C’est la règle n°2. Un des principaux défauts dans une négociation consiste à ne voir que sa position et à essayer de l’imposer sans même essayer d’entendre ce que dit l’autre partie.

Et puis il y a ce qu’elle dit et ce qu’elle veut vraiment dire. Il faut essayer avec un peu de psychologie (en regardant comment les choses sont dites, les mots, la posture), de comprendre ce que l’autre veut vraiment dire. Une règle d’or consiste, quand il y a des points vraiment très durs de l’autre côté, des contraintes réelles, à ne surtout pas essayer de les affronter parce qu’on perd beaucoup de temps et d’énergie. De la même façon, lorsque l’on a soi-même des contraintes (que ce soit de rémunération, de temps, de déplacement, d’horaires, de santé…), il est important de ne pas les cacher. En effet, si elles se révèlent une fois que vous avez pris le poste, elles vont créer beaucoup plus de problèmes que si vous en aviez parlé avant : vous allez d’emblée créer une déception ou une perte de confiance, parce que vous avez dissimulé quelque chose d’important.
Il faut donc mettre sur la table ses contraintes mais pas en expliquant que c’est à prendre ou à laisser ; cela n’est pas acceptable. C’est la règle n°3.

MGA : Cette situation est quelque chose qui arrive fréquemment lorsqu’un des interlocuteurs est en situation de stress… Ce qui est en général le cas lorsque l’on est en recherche de poste.

PSS : D’où la nécessité du travail en amont, car il réduit le stress. En revanche dire « nous n’en avons pas parlé, mais je voudrais évoquer avec vous une contrainte que j’ai et malheureusement je n’y peux rien. Voilà ma contrainte et je voulais étudier avec vous la façon dont nous pourrions la contourner, y remédier et faire en sorte qu’elle ne pose pas de problème à votre entreprise » est très recommandé.

Au fond, toute la négociation est la révélation de qui l’on est. La première impression est donc souvent la bonne, et c’est vrai dans les deux sens : plus ce que vous percevez de l’entreprise avec laquelle vous allez négocier vous plait, plus cela va avoir un impact sur votre manière de négocier.

MGA : Cela va-t-il avoir un impact positif ou négatif ? Ce n’est pas toujours évident car si l’entreprise vous intéresse réellement, vous pouvez être tenté de ne pas chercher à négocier à votre avantage.

PSS : Pour vous répondre je vais faire appel à la règle n°4 de la négociation. Elle consiste à dire qu’il faut toujours avoir un ou plusieurs plans B lorsque l’on entre en négociation. Cela évite de se retrouver dans la situation que vous venez d’évoquer. Il faut donc toujours envisager d’autres offres possibles, d’autres options telles que racheter un commerce, créer sa société, faire du management de transition, écrire un livre… Ces options doivent rester ouvertes à tous les stades de la négociation, car lorsque vous avez d’autres solutions, cela se sent dans votre posture.

MGA : Je vous propose maintenant de faire un focus sur le contrat de travail. Est-il réellement possible de négocier tous les éléments d’un contrat de travail ?

PSS : La réponse peut-être un peu facile : il n’est écrit nulle part que c’est à prendre ou à laisser. C’est un contrat, cela veut dire que c’est la volonté des deux parties et à partir de ce moment-là, oui tout peut se négocier. Maintenant dans la réalité, on sait bien que les entreprises n’ont aucun intérêt et aucune envie de partir d’une feuille blanche sur un contrat de travail. Elles utilisent des standards. Il est donc intéressant pour celui qui va entrer en négociation avec une entreprise d’en récupérer des précédents si possible.
Pour répondre à votre question, il est parfaitement possible de faire des exceptions au contrat standard, cela se voit tous les jours.

MGA : Il y a beaucoup de professions, notamment les avocats et les juristes, qui pensent qu’il doit y avoir une partie de négociation dans leur approche du contrat de travail, car cela fait partie de l’ADN de leur métier. Qu’en pensez-vous ?

PSS : J’en pense deux choses contradictoires. Je pense que celui qui se dit « il faut que je négocie parce que c’est comme ça qu’on va prendre au sérieux, parce que mon métier consiste à négocier  » se trompe. Ce n’est pas du tout comme ça qu’un associé-gérant de cabinet voit les choses.

En revanche, ce qui est vrai, c’est que quand on négocie, on dévoile sa personnalité. Ce sur quoi on négocie et comment on négocie est extrêmement important pour la partie qui vous fait face.
J’ai ainsi eu plusieurs fois l’occasion de travailler avec des gens qui ont eu des commentaires sur le contrat que je leur avais envoyé et pour lesquels je me suis dit « c’est bien vu, il/elle se pose les bonnes questions et cela me va ».

MGA : Envisageons le cas où quelqu’un est arrivé à un accord oral sur les principales clauses d’un contrat de travail ou de collaboration et qu’ensuite son futur employeur lui envoie un contrat dit « standard » en lui demandant de le renvoyer avant une date limite, mais qu’il y a une clause ou deux qui sont très gênantes et dont on n’a pas forcément parlé, quel est votre conseil ?

PSS : Partons du principe que les clauses qui n’ont pas été discutées avant sont effectivement très dérangeantes pour l’employé potentiel. A ce moment-là, il doit évidemment soulever le point. Première question : avec qui ? Pas forcément avec son dernier interlocuteur, surtout s’il s’agit du DG ou du directeur financier. Il n’y a pas de règles précises sur la bonne personne, à chacun de sentir quelle est la personne qui était la plus ouverte, qui est la plus à même d’y répondre ou dont c’est la fonction.
Ensuite, je conseille d’entrer en négociation en disant « j’ai bien reçu le projet de contrat qui me va très bien et qui correspond à ce qu’on s’est dit, donc je n’aurais pas de difficultés à le signer. Néanmoins il y a deux points sur lesquels je voudrais attirer votre attention, car nous n’en avons pas parlé ou ce n’est pas la compréhension que j’en avais eue ». Là, on est à nouveau dans une démarche de négociation.

MGA : J’entends qu’il faut toujours chercher à conserver le lien, car c’est dans l’interaction que l’on va trouver la solution.

PSS : Tout à fait ! L’idéal est bien évidemment de proposer quelque chose en substitution, parce qu’il est alors beaucoup plus facile pour votre interlocuteur d’accepter votre solution plutôt qu’un problème à résoudre.

MGA : Que pensez-vous de cette « idée reçue » en négociation, qui consiste à dire de ne jamais donner un chiffre en premier si l’on vous demande « combien voulez-vous ? » ?

PSS : Je ne crois non plus à cet espèce de dictat absolu, mais là encore il faut expliquer. Dans le cas du « Combien voulez-vous ? », il n’est pas difficile de répondre « écoutez voilà ce que je gagnais dans mon job précédent et la raison pour laquelle je l’ai quitté c’est que ça ne me suffisait plus » et d’expliquer pourquoi. C’est à dire que sans forcément donner un chiffre, on peut donner un minimum.

Mireille Garolla Associé gérant de Group3C Executive coach spécialisée en transition professionnelle Auteur de : "Changer de Vie en milieu de Carrière" chez Eyrolles