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Avocats, soyez acteurs d’une politique d’accès aux droits et à la Justice. Interview de Jean-Luc Forget.
Parution : lundi 17 octobre 2016
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Initier la construction d’un "projet professionnel de l’accès aux droits et à la Justice", tel est l’objectif du groupe de réflexion présidé par Jean-Luc Forget, ancien président de la Conférence des bâtonniers, qui a élaboré un rapport sur cette problématique. Les 19 membres ont travaillé pendant neuf mois, et préconisent 47 propositions que les ordres des avocats pourraient mettre en place. Un point de départ à l’élaboration de ce projet, qui souhaite avant tout lancer une réflexion collective de la profession.

Après avoir été présenté à l’assemblée générale en juin dernier, la Conférence des bâtonniers organise les Assises de l’accès aux droits et à la Justice, le 19 octobre, à la Maison de la Chimie à Paris, afin de convier les autres acteurs à réfléchir aux mesures que pourraient prendre les avocats.

Clarisse Andry : Comment avez-vous élaboré ce rapport ? Et quels acteurs avez-vous rencontrés pour finaliser vos propositions ?

Jean-Luc Forget : C’est à la suite du mouvement de protestation de l’automne 2015 qu’est née l’idée de ce travail collectif. Nos protestations régulièrement renouvelées en deviennent frustrantes. En même temps la profession d’avocat donne le sentiment de limiter sa réflexion sur l’accès aux droits et à la Justice, à la seule, mais indispensable, revalorisation de l’unité de valeur. Nous avons voulu préparer notre profession à imaginer un projet professionnel de l’accès aux droits et à la Justice. Ce sont les ordres qui mettent en œuvre les très nombreux dispositifs d’accès aux droits et à la Justice sans toujours partager leurs expériences ou pratiques. Il était légitime que la Conférence des bâtonniers initie ce travail.
Nous avons été aidés dans cette tâche par l’Union nationale des CARPA (Caisse des règlements pécuniaires des avocats), ainsi que par la délégation des barreaux de France à Bruxelles afin d’analyser les dispositifs européens. Nous avons sollicité les barreaux, des responsables de la profession, mais avons également entendu des magistrats, des responsables associatifs ou d’autres acteurs de l’accès aux droits et à la Justice dans notre pays.

Ce rapport ne clôt pas les débats, il met sur la table des situations, des difficultés et des propositions.


Nous sommes partis de ce qui existe, donc de la loi de 1991. Nous avons imaginé qu’il était possible de la faire évoluer mais qu’elle demeurait une bonne base. Nous mesurons les imperfections de notre travail mais il s’agissait d’amorcer une démarche. Ce rapport ne clôt pas les débats, il met sur la table des situations, des difficultés et des propositions. Celles-ci sont toutes discutables mais elles ont le mérite de prendre appui sur la plupart des problématiques posées. Ce travail ne demande qu’à être amendé, amélioré et abondé.

C.A. : Quel doit- être le rôle de l’avocat dans le développement de l’accès aux droits et à la Justice ? Et qu’est-ce que la profession peut mettre en place pour y parvenir ?

Les avocats et les ordres sont acteurs d’une politique d’accès aux droits et de l’État de droit.


J-L.F. : Nous distinguons l’accès aux droits et l’accès à la Justice. S’agissant de l’accès à la Justice, nous sommes dans le domaine régalien de l’Etat : les textes disent clairement qu’il est en charge, et seul en charge, de l’accès à la Justice pour tous. Avocats, nous intervenons donc dans des dispositifs contraints s’agissant de l’aide juridictionnelle ou de la défense pénale. Nous avons peu de marge de manœuvre. Nous répondons en quelque sorte à un cahier des charges. Nous devons rationaliser mais surtout dispenser une défense de qualité pour tous, en tous lieux et en tous moments.
En revanche, s’agissant de l’accès aux droits, nous rappelons que l’État n’est pas le seul à en avoir la charge. Les avocats et les ordres ont capacité à imaginer et à construire car ils sont acteurs d’une politique d’accès aux droits et de l’État de droit. Ils ne sont pas de simples prestataires privés marchands

C.A. : Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples de propositions qui pourraient être facilement ou rapidement applicables ?

J-L.F. : S’agissant de l’aide juridictionnelle, nous proposons la mise en place d’une consultation préalable rémunérée, condition de recevabilité de l’admission à l’aide. Seul l’avocat est à même de donner une consultation personnalisée assurant compétence et indépendance. C’est aux avocats d’assurer ce rôle de filtre et donc l’application effective des textes par-delà la seule condition de ressources.

S’agissant de l’accès aux droits, nous connaissons les limites des conseils départementaux d’accès aux droits (CDAD), limites financières ou statutaires. Nous mesurons, aussi, la considération dans laquelle nous sommes tenus, à l’aune du décret du 4 janvier 2000, qui prévoit une rétribution horaire de 3 UV maximum pour les consultations… et nous savons qu’en pratique cette rétribution est souvent inférieure, peut même être inexistante, tandis que les barreaux sont toujours sollicités pour financer !
Nous rappelons que les barreaux peuvent développer des dispositifs distincts d’accès aux droits en partenariat avec des collectivités locales, des entreprises privées ou des partenaires publics. Les avocats peuvent être alors rémunérés car considérés comme les professionnels, seuls acteurs d’un authentique accès aux droits.

Une autre de nos propositions concerne les personnes vulnérables parmi lesquelles les mineurs ou encore les majeurs protégés. Nous proposons la mise en place d’avocats référents avec lesquels ces personnes, confrontées à des difficultés judiciaires mais aussi sociales, pourraient instaurer une relation pérenne de confiance. Il faut alors que les avocats se forment différemment pour travailler dans la durée en partenariat avec d’autres intervenants sociaux ou associatifs.

Autre proposition : la mise en place d’un dispositif national de solidarité et de réponse aux situations collectives d’urgence. Il peut s’agir de catastrophes industrielles, naturelles mais aussi humanitaires, comme celles que nous connaissons avec les migrants ou encore avec les réalités et les risques d’attentats. Lors de ces événements terribles, un barreau se retrouve confronté à une situation d’urgence et de réactivité absolue à l’égard de nombreuses victimes. La réalité dépasse ses moyens. La profession pourrait mettre en place un dispositif d’information, de solidarité entre les barreaux et de formation des confrères, dispositif qui participerait de la solidarité nationale.

C.A. : Dans quelle mesure les nouvelles technologies vont-elles aider à concrétiser ce défi que vous souhaitez relever ?

J-L.F. : Les nouvelles technologies sont utilisées, se développent et doivent être développées pour assurer à tous un accès effectif aux droits. Mais elles ne peuvent se substituer à tous dispositifs. Nous ne pouvons pas faire serment d’humanité et nous intégrer sans réserve dans des dispositifs où il n’y a plus de rencontres et de dialogues effectifs pour assurer des prestations adaptées car personnalisées. L’accès aux droits ne se limite pas à une simple information sur les droits. La dématérialisation peut conduire à un nivellement des prestations et construire de nouvelles fractures.

C.A. : Quels sont les objectifs de ces Assises de l’accès aux droits et à la Justice ? Et quelles sont vos attentes pour la suite ?

La défense de l’UV ne doit pas être la limite de notre réflexion.


J-L.F. : L’objectif de ces assises est d’ouvrir et de partager notre réflexion et des propositions avec les autres acteurs partenaires d’une politique de l’accès aux droits et à la Justice digne de ce nom : les associations, les magistrats, les autres professions du droit, les collectivités locales ou encore certaines entreprises. Certains réagissent déjà. Ils nous invitent soit à poursuivre, préciser ou développer certaines propositions ; soit à les invalider, mais alors, il nous faut imaginer ensemble une proposition de substitution car il s’agissait de répondre à une question ou à un besoin.
Nous souhaitons qu’ensuite la profession d’avocat poursuive jusqu’à construire un projet professionnel de l’accès aux droits et à la Justice pour notre pays. Les avocats doivent être force de proposition et de construction. Nous devons donner sens et contenu à nos légitimes et indispensables revendications. La défense de l’UV ne doit pas être la limite de notre réflexion. L’avocat n’est pas qu’un professionnel marchand. Il est acteur de l’État de droit et l’accès aux droits et à la Justice est une pierre angulaire de l’État démocratique.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice