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L’arrêt PREITE : une garantie supplémentaire pour l’indemnisation de l’exproprié. Par Christophe Degache.
Parution : vendredi 4 novembre 2016
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La Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu le 17 novembre 2015, une décision qui constitue un tournant dans le processus d’indemnisation de l’exproprié.

Cet arrêt a été rendu dans un litige opposant les consorts PREITE à l’Italie mais il aura des répercussions indéniables sur le droit positif français.

I - Rappel des principes d’indemnisation du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique :

L’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose :

« Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.  ». L’article L. 321-3 du même code indique que le juge peut allouer une indemnité principale et des indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées.

Le droit de propriété est un droit extrêmement protégé par le législateur puisque la Constitution elle-même le vise. Cette protection accrue est justifiée par l’attachement des citoyens à la terre, qui sont pour la plupart propriétaires d’un bien transmis par leurs parents qui eux-mêmes l’ont reçu de leurs propres parents.

La législation française exclut encore malgré la refonte du code en 2015 la prise en compte du préjudice moral. L’indemnisation est donc intrinsèquement liée à la valeur du bien exproprié. Celle-ci varie en fonction du classement urbanistique du bien.

En effet, il est généralement admis qu’une parcelle classée en zone constructible doit avoir plus de valeur qu’une parcelle classée en zone non constructible.

L’article L. 322-3 du code de l’expropriation détermine de manière restrictive ce qu’est un terrain à bâtir en faisant prédominer les documents d’urbanisme.

Selon cet article sont des terrains à bâtir les terrains « situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l’absence d’un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d’une commune. »

Le classement urbanistique qui peut être le fait de l’expropriant est donc la pierre angulaire de la détermination de l’indemnité de l’exproprié.

Ce rôle central est remis en cause par l’arrêt PREITE.

II - Le double apport de l’arrêt PREITE :

Cette décision a vocation à faire bouger les lignes car elle met la valeur marchande du bien exproprié au centre de l’indemnisation et minore fortement la prédominance des documents d’urbanisme.

Les faits de cette espèce étaient les suivants. Les consorts PREITE étaient propriétaires d’un terrain classé en zone agricole jouxtant le centre-ville d’une commune. L’exécutif de celle-ci souhaitait les exproprier pour construire un marché couvert sur leur parcelle. L’indemnisation des consorts PREITE fût basée sur la valeur agricole des terrains soit 1,81 € le m².

Cette détermination fût validée par les tous les échelons de juridictions italiennes. Or un voisin des consorts PREITE, lui aussi exproprié et dont le terrain était aussi situé en zone agricole reçut des mêmes juridictions une indemnisation de 20,50 € le m².

Cette valeur était le résultat d’une expertise judiciaire portant sur la valeur réelle des terrains expropriés. La juridiction européenne passant outre la classification urbanistique indemnisa les consorts PREITE sur la base de 20,50 € le m², ce qui correspondait à la valeur marchande du bien dont ceux-ci avaient été privés.

La prédominance de la valeur marchande du bien par rapport au classement urbanistique est le premier apport de l’arrêt PREITE.

Le second apport est tout aussi important puisque dans le cadre de ce litige la Cour Européenne des Droits de l’Homme alloue 10 000 € aux consorts PREITE au titre de leur préjudice moral.

La législation française suivie par la jurisprudence refuse encore la prise en compte du préjudice moral en cas d’expropriation, et le nouveau code entré en vigueur le 1er janvier 2015 constitue à ce niveau une vraie occasion ratée de pallier cet oubli.

Au vu de la décision PREITE, la conventionalité du code de l’expropriation français fait une nouvelle foi débat. Et il est à parier que les juridictions françaises n’ont pas fini de se pencher sur cet arrêt novateur.

Christophe Degache Avocat au Barreau de la Haute-Loire DEA Droit public [->christophe.degache@bbox.fr]