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La prise d’acte de rupture, un coup de poker qui peut mettre au tapis le salarié ! Par Yacine Zerrouk, Juriste.
Parution : mardi 8 novembre 2016
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La capacité de rompre son contrat de travail n’appartient pas seulement à l’employeur. Effectivement, de nombreuses possibilités s’ouvrent au salarié : il peut soit démissionner, soit obtenir la résiliation judiciaire aux torts de son employeur ou alors en cas de manquement de l’employeur à ses obligations, prendre acte de la rupture du contrat.

Aucune disposition légale ne définit la prise d’acte de rupture. Selon la jurisprudence, le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail lorsqu’il reproche des faits à son employeur. (Soc. 25 juin 2003, n°01-42.679).

La prise d’acte n’est soumis à aucun formalisme : elle peut être soit par écrit, soit verbalement, directement par le salarié, ou par le conseil agissant en son nom (Soc. 4 avr. 2007, n° 05-42.847).

Néanmoins, le salarié doit tout de même informer son employeur de sa démarche.
Ainsi, la saisine du Conseil de prud’hommes ne vaut pas prise d’acte (Soc. 22 février 2006, n° 03-47.639) et sera traitée alors comme une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail (Soc. 1er février 2012, n° 10-20.732).

C’est pourquoi il est fortement conseillé au salarié de notifier à son employeur sa prise d’acte de rupture par écrit, plus particulièrement par courrier remis en main propre contre décharge ou alors adressé en recommandé avec avis de réception.

On constate alors que ce mode de rupture est exclusivement ouvert au salarié, plus précisément à tout salarié et peut être exécuté à tout moment lors de l’exécution du contrat de travail, sauf pendant la période d’essai.
Si l’employeur ne respecte pas ses obligations pendant la période d’essai, le salarié pourra toujours obtenir une indemnisation résultant du préjudice subi en rapport avec la rupture abusive (Soc. 7 février 2012, n° 10-27.525).

S’agissant des faits invoqués par le salarié, la jurisprudence de la Cour de cassation a apporté des précisions. En effet, la prise d’acte est dorénavant possible qu’en en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur « empêchant la poursuite du contrat de travail » (Soc. 26 mars 2014, n° 12-23.634).

Ainsi, le degré de gravité, empêchant la poursuite du contrat de travail, relève uniquement du pouvoir souverain des juges du fond (Soc.13 avril 2005, n° 03-41.405).

Par exemple, a été jugé comme suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail :

-  « les agissements de harcèlement moral subis par la salariée » (Soc.30 octobre 2013, n° 12-15.072) ;
-  « le fait pour l’employeur d’imposer au salarié protégé un changement des conditions de travail  » (Soc. 6 mai 2014, n° 13-12.472).
-  « la modification de la rémunération contractuelle » (Soc. 10 décembre 2014, n° 13-23.392)
-  « le passage même partiel à un horaire de nuit » (Soc. 14 janvier 2015, n°13-25.767).

En revanche, a été jugé comme étant insuffisamment graves et donc n’empêchant pas la poursuite du contrat de travail :

-  « le fait de recevoir sa rémunération avec quelques jours de décalage en raison de jours fériés » (Soc.19 janvier 2005, n° 03-45.018) ;
-  « l’absence de visite médicale d’embauche » (Soc.26 mars 2014, n° 12-35.040).
-  « la modification des conditions de travail d’une salariée à son retour de congé parental, puisque cette modification étant liée à un changement dans les besoins du service de la salariée » (Soc. 11 mars 2015, n° 13-24.129).

Par conséquent, les juges du fond doivent donc contrôler « si le manquement empêchait ou non la poursuite du contrat de travail » (Soc., 11 mars 2015, n° 13-18.603). Pour cela, l’appréciation doit être est globale et ne doit pas s’effectuer manquement par manquement (Soc. 20 janvier 2015, n° 13-23.431).

Les conséquences de la prise d’acte varient en fonction de l’appréciation des juges du fond.

Au préalable, il est opportun de souligner que la prise d’acte « entraîne la cessation immédiate du contrat de travail » (Soc. 9 décembre 2009, n° 07-45.521). Par conséquent, si l’employeur décide d’entamer postérieurement à la prise d’acte, une procédure de licenciement, cette dernière sera considérée comme non avenu (Soc. 12 juillet 2006, n° 04-12.778). Enfin, il en est de même pour le salarié, puisqu’une fois avoir procédé à la prise d’acte, il ne pourra plus se rétracter (Soc. 23 juin 2015, n° 14-13.714).

• Si les griefs invoqués par le salarié le justifiaient, alors la prise d’acte de rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc.12 nov. 2015, n° 14-16.369).

A ce compte, le salarié est libéré de son obligation d’exécuter un préavis (Soc., 26 mai 2010, n° 08-70.253) mais est en droit de solliciter diverses indemnités.

En effet, l’employeur devra alors verser au salarié :

-  une indemnité compensatrice de préavis, et donc logiquement des congés payés afférents (Soc. 11 décembre 2015, n° 14-15.670) ;
-  l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (Soc. 26 octobre 2011, n° 10-11.297) ;
-  des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par contre, le salarié ne pourra prétendre au versement d’une indemnité en raison du non-respect de la procédure de licenciement (Soc. 6 mai 2015, n° 13-28.803).

Dans certains cas et en vertu de l’article L.1235-4 du Code du travail, l’employeur pourra être contraint de rembourser à Pôle Emploi les allocations chômage versées au salarié.

Enfin, les articles L.1234-19, L.1234-20 et R.1234-19 du Code du travail imposent à l’employeur de remettre respectivement au salarié un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi.

• Si les griefs invoqués par le salarié sont considérés comme non fondés ou insuffisants, alors la prise d’acte de rupture produit les effets d’une démission (Soc. 25 juin 2003, n° 01-42.679).

A ce compte, le salarié ne pourra prétendre à aucune indemnité de rupture, à l’exception de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Quant à l’employeur, ce dernier pourra réclamer au salarié une indemnité compensatrice de préavis (Soc. 8 juin 2011, n° 09-43.208), sans avoir à prouver l’existence d’un préjudice (Soc.10 avril 2013, n° 10-13.614).

Il pourra également solliciter sur le fondement de l’article L.1237-2 du Code du travail, le versement d’une indemnité relative à des dommages et intérêts pour rupture abusive du salarié.

Pour conclure, le salarié doit impérativement s’appuyer sur des faits « suffisamment graves » et « empêchant la poursuite du contrat de travail ».

A défaut, il sera considéré comme démissionnaire et ne pourra donc prétendre à certains avantages que peut procurer un licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme par exemple le versement des allocations chômage.

Yacine Zerrouk Responsable Relations Sociales
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