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Etat du droit sur le viol conjugal (suite) : le procès pour « viol conjugal » et la question de la preuve. Par Carine Durrieu Diebolt, Avocat.
Parution : lundi 14 novembre 2016
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Dans le procès pour « viol conjugal », le viol est souvent supplanté par le contexte de violences conjugales qui l’entoure. Et pourtant, c’est un crime qui peut être poursuivi, en tant que tel, devant une Cour d’Assises.

Les spécificités du viol conjugal :{{}}

-  Le nombre de viols conjugaux est important.
Entre 2010 et 2012, 83 000 femmes majeures ont été victimes de viols ou tentatives de viols par an : 30 à 50% des viols commis sur les femmes adultes sont des viols conjugaux, soit environ 40.000 viols conjugaux par an. En 2011, sur les 4 983 plaintes pour viols, 906 sont des viols conjugaux.
-  Le viol conjugal est très méconnu et le contexte des violences physiques ou psychologiques qui l’accompagne prend souvent le pas sur le viol. Pourtant, il s’agit d’un crime et on peut déposer plainte pour viol conjugal.
-  La culpabilité de la victime qui craint de briser son foyer familial : il faut intégrer que le responsable de la fracture familiale n’est pas la victime mais l’agresseur. La victime n’est pas coupable.
Par ailleurs, tant que l’agresseur n’a pas été condamné, rien ne garantit qu’il ne recommencera pas. Il reste dangereux et le fait qu’il s’agisse d’un proche ne retire rien à ce danger. Au contraire, ce sont les proches de la victime qui sont alors aussi en danger.
-  Il intervient dans l’intimité du couple et la victime craint de ne pas pouvoir prouver les faits, de ne pas être crue.

La question de la preuve du viol conjugal :{{}}

Pour qu’il y ait viol il faut rapporter la preuve que l’agresseur a usé de violence, ou contrainte (morale ou physique), ou menace ou surprise (la victime dormant, ou inconsciente par exemple.
Il peut s’agir d’une pénétration vaginale, fellation forcée, pénétration anale, avec le sexe, les doigts ou un objet.
Avant de déposer plainte et que l’enquête ait lieu, on n’a pas toujours en mains tous les éléments de preuves et l’enquête ou l’instruction peuvent apporter beaucoup de preuves :
-  Les preuves matérielles : des constats médicaux établissant des lésions traumatiques (des hématomes sur la face interne des cuisses par exemple) ou sexuelles ;
-  La preuve de l’emprise conjugale : certificats médicaux/attestations médicales, témoignages de proches ou d’associations auprès desquels la victime se serait confiée, preuve de l’isolement économique, géographique etc, humiliations…
-  L’expertise psychologique ou psychiatrique peut apporter des indications probantes ;
-  Les SMS, les enregistrements sur téléphone portable comportant des menaces par exemple…
-  L’expertise du téléphone de l’agresseur confirmant des visionnages pornographiques, sado maso qu’il voulait répéter ;.
-  La police peut retrouver d’autres victimes, des ex compagnes, qui ont vécu des faits identiques et qui peuvent participer en qualité de témoin ou de victime.
-  …

A titre d’exemple, un arrêt récent de la Cour de cassation (Chambre criminelle, 9 février 2016 N° de pourvoi : 15-87140) :
«  que le médecin décrit les hématomes du bras droit, du bras gauche, du genou et du membre inférieur gauche, qui correspondent à ce que décrit la victime ; que la partie civile explique que son mari a voulu ce soir là, une pénétration anale à laquelle elle lui dit qu’elle était opposée car elle était indisposée et qu’il l’a pénétrée de force, en la maintenant, c’est à dire en la contraignant physiquement, qu’elle a hurlé et qu’il s’est retiré en l’insultant et la frappant ; qu’or la seule explication du déclenchement d’une telle violence est l’interruption, contre son gré, de cette sodomie douloureuse devant le refus clairement exprimé, de sa femme et la frustration qui en est résulté ; qu’il y a donc des éléments objectifs forts en faveur de la thèse de la partie civile ; qu’ils sont renforcés par un autre élément ; que Mme Y... a expliqué que souvent le soir M. X... regardait des sites pornographiques sur son portable alors qu’elle était couchée et qu’il voulait ensuite reproduire avec elle ce qu’il avait vu ; qu’or l’expertise du téléphone de M. X... a confirmé le visionnage de séquences pornographiques entre adultes, comportant des scènes de sodomie, entre le 14 juillet et le 22 octobre 2011, et notamment, le 14 octobre 2011, veille des faits ; que cette expertise montre un attrait incontestable de M. X... pour cette pratique, contradiction avec ses déclarations ; qu’on peut certes se demander pourquoi Mme Y... a porté plainte seulement après les faits du 15 octobre 2011, alors que les violences étaient bien antérieures ; qu’elle s’en est expliquée devant le juge d’instruction et l’expert psychologue, en déclarant qu’elle avait toujours l’espoir que son mari changerait, que les fois précédentes il s’était excusé, et que l’élément déclencheur avait été cette dernière scène du 15 octobre dont il ne s’était pas excusé le lendemain ; …
La constance des déclarations de la victime a été aussi retenue.
La chambre d’accusation estimait « qu’il apparaît en définitive que Mme Y..., très amoureuse de M. X..., décrite comme vulnérable et manipulable, avait une difficulté d’identification du lien d’emprise et de contrainte aux désirs d’autrui et que l’événement qui a contribué à lui permettre de sortir de ce lien est l’acte de pénétration sexuelle imposé par la contrainte, suivi de violences, du 15 octobre 2011 ; qu’il y a donc des charges suffisantes contre M. X... d’avoir commis le fait de viol du 15 octobre 2011, pour lequel il a été mis en examen  »

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt aux motifs que «  les motifs de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la chambre de l’’instruction, après avoir exposé les faits et répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a relevé l’existence de charges qu’elle a estimé suffisantes contre M. X... pour ordonner son renvoi devant la cour d’assises sous l’accusation de viol aggravé et violences aggravées ».

C’est un exemple de dossier sans preuve matérielle directe dans lequel les autres éléments connexes ont été jugés suffisants pour rapporter la preuve du viol conjugal. Même si la victime n’a pas de preuve directe, il est possible d’obtenir gain de cause.

Carine DURRIEU DIEBOLT Avocate en droit pénal/ dommage corporel/droit des victimes Membre de la CIIVISE cabinet.durrieu@free.fr http://www.diebolt-avocats.com
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