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« Je suis juriste et développeur de business ».
Parution : jeudi 17 novembre 2016
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Dans certaines entreprises, le directeur juridique n’est pas seulement un expert du droit, c’est aussi un développeur de business qui va avoir un véritable rôle stratégique. C’est le cas notamment de Gérard Sicsic, directeur juridique et des alliances & acquisitions de Panpharma, que nous avons interviewé afin d’en savoir plus sur sa fonction « hybride ».

Laurine Tavitian : Pouvez-vous nous expliquer votre rôle de juriste « business developer » ? Peut-on dire que vous êtes un juriste « commercial » ?

Gérard Sicsic  : Je ne peux pas dire les choses ainsi. Je suis juriste et développeur.
Tout d’abord quand nous parlons de « business développement » dans mon secteur d’activité, l’industrie pharmaceutique, il s’agit avant tout de rechercher des moyens externes de croissance, donc obtenir les droits de commercialiser des nouveaux produits ou de nouvelles gammes de produits, acquérir de nouvelles activités industrielles ou commerciales, accompagner de nouvelles implantations territoriales (par l’établissement de filiales ou autres). Cela passe par des licences de dossiers, des contrats de distribution, des alliances industrielles ou commerciales, des projets de recherche et développement ou autres partenariats …
Je suis avant tout un juriste et c’est ma formation. Cependant mon expérience personnelle (commerciale) et mon goût pour la négociation commerciale m’amènent à intervenir, dans le contexte spécifique de Panpharma, très en amont dans le processus de négociation lors des discussions avec nos partenaires potentiels.

"Le fait d’avoir plusieurs casquettes est sans doute également favorisé par la taille relativement modeste du groupe d’entreprises."


Un fournisseur indien m’a qualifié un jour de « two in one ». Je l’avais approché pour distribuer son produit, négocié une grande partie de la transaction, rédigé et négocié les contrats et enfin participé au lancement du produit. Bien évidemment tout ceci avait été fait en coordination avec les autres services de l’entreprise. Le fait d’avoir ainsi plusieurs casquettes est sans doute également favorisé par la taille relativement modeste du groupe d’entreprises pour lequel je travaille. Mon profil n’est pas unique et la plupart des cadres de direction ont chez nous des postes polyvalents.
Je ne pense donc pas qu’il existe une catégorie type de « business developer » et ma fonction actuelle procède surtout d’une expérience personnelle et d’un goût prononcé pour la négociation.

L.T. : D’où vous vient cette fibre commerciale ?

G.S. : Après un parcours classique d’études de droit en France et aux Etats Unis, j’ai intégré en 1987 le Groupe Virbac qui à l’époque avait quelques activités hors santé animale notamment dans le développement de dossiers de produits pharmaceutiques génériques. Ma carrière a évolué principalement dans ce secteur pharmaceutique à l’exception d’une courte expérience dans l’univers des semenciers avec Limagrain/Vilmorin. J’ai également travaillé en cabinet d’avocats en début de carrière à New York et pendant quelques années à partir de 2006 au sein de la pratique Life Science du cabinet Reed Smith à Paris.
Mon parcours est devenu cependant moins conventionnel lorsque j’ai décidé, alors que j’étais Directeur Juridique de Virbac, de quitter la fonction et de conduire pendant près de 6 ans à la fois une activité de consultant en valorisation et transfert de technologie et une activité de commerce de détail de chaussure et accessoires avec trois boutiques dans le centre de la France. En fait, je dois l’avouer, un commerçant a toujours sommeillé en moi, mais tout ceci n’est pas incompatible, bien au contraire.

L.T. : Quelle est la différence avec un juriste business partner ? Finalement vous n’êtes plus vraiment juriste ?

 "tous les juristes en entreprise sont, à mon sens, des businesspartners dès lors qu’ils sont en contact avec des opérationnels..."


G.S. : Comme je l’ai dit je continue à avoir une activité juridique mais selon les dossiers, cette activité juridique est parfois très limitée et il peut m’arriver de passer plus de temps à participer à des discussions économiques que juridiques.
Hormis quelques fonctions très spécialisées en contentieux par exemple ou en droit des sociétés, tous les juristes en entreprise sont, à mon sens, des businesspartners dès lors qu’ils sont en contact avec des opérationnels et parfois les interlocuteurs (clients, fournisseurs) de l’entreprise. Cela ne veut pas dire pour autant que ces juristes participent activement au développement de l’activité de l’entreprise. Ils assument des fonctions qui participent à l’action commerciale mais ne sont pas des acteurs de l’action commerciale elle-même.
Dans mon cas et c’est peut-être là où le curseur s’est probablement déplacé, je reste souvent un interlocuteur pour des questions strictement commerciales.
Mais le business développement ce n’est pas non plus participer à l’exercice commercial de l’entreprise au quotidien. C’est encore une fois identifier et trouver des relais de croissance. Le moyen de développer son chiffre d’affaire et ses résultats.
Rechercher des cibles d’acquisition potentielles de sociétés fait partie de ma mission également.
 
L.T. : Est-ce que votre fonction a une incidence sur votre rattachement à la direction générale et votre participation au Codir ?
 
G.S. : Indéniablement.

"Il faut être non seulement proche du centre de décision mais également en être un des acteurs."


Il me paraît toujours préférable que la fonction juridique soit rattachée à la Direction Générale. Quand je dis Direction Générale il ne s’agit pas forcément du Directeur Général, tout dépend de la taille et de l’organisation de l’entreprise. Mais il faut être non seulement proche du centre de décision mais également en être un des acteurs.
Je participe au Codir mais aussi au Comité Stratégique qui est composé également de membres indépendants qui n’appartiennent pas à notre organisation mais sont des spécialistes du secteur pharmaceutique. Le Comité Stratégique est en charge des business plans et de veiller à leur implémentation. C’est également en son sein que sont revues les opportunités d’acquisition ou les projets d’implantations territoriales de nos activités.
Mon action se nourrit incontestablement de ces échanges. C’est à l’occasion de ces discussions que sont prises les décisions.
 
L.T. : Vous êtes donc totalement acteur de la stratégie de l’entreprise ?
 
G.S. : Je pense en être l’un des acteurs. L’action est bien entendu collégiale.
Il est assez rare que l’on intègre à ce point un juriste dans la stratégie de l’entreprise. Certaines directions d’entreprises qui n’ont pas peur de la rupture et du changement commencent à le faire. C’est ainsi que quand j’étais à la direction juridique du semencier Limagrain, je dépendais du Directeur de la Stratégie qui faisait partie du Comité de Direction. Le juriste a assurément toute sa place dans le processus tant au stade de la conception de la stratégie de l’entreprise que de sa mise en application.

Propos recueillis par Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice