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Du nouveau dès le 1er janvier devant les tribunaux et cours administratives d’appel. Par Cyril Perriez, Avocat.
Parution : jeudi 17 novembre 2016
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Le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du Code de justice administrative, publié au Journal Officiel de la République Française le 4 novembre 2016, entrera en vigueur le 1er janvier 2017.

Plusieurs modifications significatives de la procédure devant les tribunaux et cours administratives d’appel méritent, avec les incertitudes qu’elles soulèvent, une attention particulière.

- L’article R. 421-1 du Code de justice administrative est modifié pour élargir aux litiges de travaux publics l’obligation de lier le contentieux en faisant naître une décision préalable de l’administration. Le décret met ainsi fin à une exception historique qui permettait de saisir le juge sans jamais avoir à s’adresser directement à l’administration. Conséquence directe, les parties devront désormais prendre soin de préciser le ou les fondements juridiques de leur demande avant l’expiration du délai de recours contentieux, au plus tard, à défaut pour lui d’avoir régulièrement couru, deux mois après l’enregistrement de la requête.

- Le même article renforce également l’obligation de liaison du contentieux en matière indemnitaire. A compter du 1er janvier 2017, lorsque la requête tendra au paiement d’une somme d’argent, elle ne sera recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande qui lui aura été préalablement adressée.

Si l’on s’arrête à une lecture stricte de ces nouvelles dispositions, la liaison du contentieux ne devrait plus pouvoir intervenir en cours d’instance et, par voie de conséquence, il ne devrait plus être possible de régulariser une requête, enregistrée après le 1er janvier 2017, en faisant naître une décision de l’administration avant que le juge ne statue. Il s’agit en tout cas de la logique voulue par ce texte, qui a pour ambition d’arrêter la position de l’administration préalablement à la saisine de la juridiction. La question de savoir si cette irrecevabilité demeure régularisable devrait néanmoins rapidement se poser et on peut s’attendre à des décisions contradictoires jusqu’à ce que le Conseil d’État ne se soit définitivement prononcé.

A défaut très probablement de régularisation possible, on pourrait assister à une augmentation significative des décisions prises sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative, qui permet de rejeter par ordonnance les requêtes manifestement irrecevables. Il suffirait en effet pour le juge de constater, à supposer qu’il ait toujours le pouvoir de le relever d’office lorsque le moyen n’a pas été soulevé en défense (les questions de recevabilité sont en principe d’ordre public devant le juge administratif), que la requête a été présentée avant la naissance d’une décision de l’administration pour pouvoir la rejeter.

- Autre aspect majeur de la réforme, le délai de recours contentieux en matière de plein contentieux commencera à courir y compris en cas de décision implicite de rejet. Ainsi, en cas de silence gardé par l’administration sur une demande indemnitaire (les demandes présentant un caractère financier ne sont pas concernées par le nouveau principe selon lequel le silence gardé par l’administration vaut décision d’acceptation, aujourd’hui codifié à l’article L. 231-1 du Code des relations entre le public et l’administration), l’intéressé disposera d’un délai de deux mois pour saisir le tribunal, sous peine d’irrecevabilité de sa requête pour tardiveté. À noter que les recours de plein contentieux, ou autrement dit de pleine juridiction, qui confèrent les pouvoirs les plus étendus au juge administratif, ne se limitent pas aux seuls recours indemnitaires, mais ont un domaine d’application beaucoup plus vaste.

Il est néanmoins important de rappeler que l’article L. 112-6 du Code des relations entre le public et l’administration prévoit que les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsqu’un accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. Ces dernières dispositions s’appliquent aux administrations de l’État, aux collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale.

Si ces modifications partent d’une intention louable d’obliger les administrés à saisir l’administration préalablement à la saisine du juge, en pratique, cette dernière pourra trouver un intérêt certain à ne jamais répondre et miser sur une éventuelle négligence du requérant en cas d’expiration des délais de recours contentieux, à condition toutefois d’avoir préalablement accusé réception de la demande initiale avec les indications requises.

- Le décret met fin à une rédaction hasardeuse pouvant prêter à confusion en ce qui concerne la compétence territoriale des tribunaux administratifs en matière de contrats.

L’article R. 312-1 du Code de justice administrative ne comporte plus aucune référence à la matière contractuelle, qui est désormais entièrement régie par les dispositions modifiées de l’article R. 312-11. Dans le prolongement de ce qui était jugé par le Conseil d’État, les litiges relatifs à la passation ou à l’exécution d’un contrat relèvent de la compétence territoriale du tribunal administratif dans lequel se trouve le lieu prévu pour l’exécution du contrat. Le Conseil d’État devra toutefois préciser au cas par cas les situations susceptibles d’entrer dans le champ de la matière « quasi contractuelle », dont la notion fait son entrée dans le code.

- Devant les tribunaux administratifs, pour les requêtes déposées à compter du 1er janvier 2017, la représentation des parties par avocat devient obligatoire pour les litiges en matière de travaux publics et de contrats relatifs au domaine public.

Dans cette dernière hypothèse, seuls les litiges se rattachant à un contrat sont soumis à cette obligation, dans un domaine qui est encore le lieu privilégié des décisions unilatérales de l’administration (permission de voirie ou de stationnement, autorisation d’occupation temporaire, pouvoir de gestion du domaine public, etc.).

- La représentation par ministère d’avocat en appel est également modifiée dans les mêmes conditions (i.e. pour les requêtes enregistrées à compter du 1er janvier 2017), avec la suppression de la dispense pour les requêtes dirigées contre les décisions des tribunaux administratifs statuant sur les recours pour excès de pouvoir formés par les fonctionnaires ou agents de l’État et des autres personnes ou collectivités publiques, ainsi que par les agents ou employés de la Banque de France contre les actes relatifs à leur situation personnelle.

Le décret est en revanche sans impact pour les litiges en matière de contraventions aux lois et règlements sur la grande voirie et autres contraventions dont la répression appartient au tribunal administratif, dont la dispense d’avocat est prévue par la loi et codifiée à l’article L. 774-8 du Code de justice administrative.

- Lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le président la formation de jugement pourra rendre une ordonnance permettant, sans clore l’instruction, de cristalliser les moyens invoqués par les parties. À compter de la date fixée par l’ordonnance, les parties pourront encore conclure mais elles ne pourront plus invoquer de nouveaux moyens. La portée concrète de ces nouvelles dispositions, qui étendent la spécificité procédurale jusque-là réservée en matière d’urbanisme depuis le 1er décembre 2013, pourrait donner lieu à un certain nombre de litiges.

En matière de contentieux pour excès de pouvoir par exemple (lorsqu’il n’est rien demandé d’autre au juge que l’annulation d’une décision administrative), dès lors qu’ils se rattachent à une cause juridique invoquée à l’intérieur du délai de recours contentieux (légalité externe ou interne), le requérant peut présenter des moyens nouveaux jusqu’à la clôture de l’instruction. L’ordonnance de clôture de moyens devrait ainsi permettre de figer le débat contentieux autour des seuls moyens soulevés avant la date fixée par le président de la formation de jugement. Ce dernier conservant la faculté de retirer cette ordonnance à tout moment, par une décision qui n’est pas motivée et qui ne peut faire l’objet d’aucun recours, on peut toutefois présumer que les parties n’hésiteront pas à se priver d’un nouveau moyen qu’elles auraient négligé de faire valoir plus avant.

Le décret ne précise pas la sanction attachée et les conséquences à tirer pour le juge en cas de présentation tardive d’un nouveau moyen. En toute logique, dès lors qu’il est communiqué avant la clôture de l’instruction, le juge devra viser le moyen mais pas y répondre, sauf à avoir préalablement retiré son ordonnance.

En outre, en cas d’appel ou de pourvoi en cassation, les parties ne devraient pas pouvoir se prévaloir de l’omission de statuer sur un moyen présenté postérieurement à la date fixée par l’ordonnance de clôture de moyens. En revanche, eu égard à l’effet dévolutif de l’appel, les parties pourront soulever pour la première fois ce moyen, l’ordonnance n’ayant finalement eu pour effet que de retarder la position du juge sur son bien-fondé.

A contrario, afin de garantir le respect du principe du contradictoire et les droits de la défense, les parties devraient pouvoir conclure à l’irrégularité d’un jugement qui, pour donner satisfaction à une requête, s’est prononcé sur un moyen soulevé postérieurement à la date fixée par l’ordonnance de clôture de moyens.

- D’un caractère purement facultatif pour la partie concernée, qui pouvait décider librement de donner suite ou non à l’invitation de produire un « mémoire récapitulatif » adressée sur le fondement de l’article R. 811-8-1 du Code de justice administrative, l’absence de production de ce mémoire dans le délai imparti par la juridiction, qui ne peut être inférieur à un mois, pourra désormais valoir désistement de la requête ou des conclusions incidentes.

La demande de production d’un mémoire récapitulatif devra toutefois informer la partie des conséquences du non-respect du délai fixé. Il faudra donc lire avec attention les notifications du greffe, afin de vérifier sur quel alinéa l’invitation est formulée.

- Le décret ouvre au juge la possibilité de rouvrir partiellement l’instruction. Postérieurement à la clôture de l’instruction, le président de la formation de jugement pourra inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n’aura pour effet de rouvrir l’instruction qu’en ce qui concerne ces éléments ou pièces.

Particularité de la procédure administrative contentieuse, c’est la juridiction qui dirige l’instruction et qui est chargée de communiquer la requête et les mémoires aux autres parties. Seuls la requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont systématiquement communiqués aux autres parties, avec les pièces jointes. Les répliques, autres mémoires et pièces ne sont communiqués que s’ils contiennent des éléments nouveaux, dont l’appréciation relève ainsi du seul juge rapporteur. Pour garantir le respect du principe du contradictoire, consacré à l’article L. 5 du Code de justice administrative, il aurait été bienvenu que les toutes les parties soient également destinataires en copie de l’invitation adressée par la juridiction, d’une part, ainsi que des éléments et pièces le cas échéant produits, d’autre part.

- En matière d’expertise, la notion de médiation a été préférée à celle de conciliation. Alors que l’expert judiciaire pouvait déjà depuis 2006 recevoir pour mission de concilier les parties, il pourra lui-même prendre l’initiative d’une médiation, avec l’accord des parties.

- Lorsqu’une requête, un mémoire en défense ou un mémoire en intervention a été présenté par plusieurs personnes physiques ou morales, ou encore par un mandataire pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, la décision pourra être notifiée soit au représentant unique, soit à celle des personnes désignée à cette fin par le mandataire ou, à défaut, au premier dénommé.

Cette notification étant opposable aux autres parties, ces dernières, qui ne recevront plus directement la décision (ordonnance, jugement ou arrêt), devront porter une attention particulière au respect des délais d’appel. L’avocat étant toujours destinataire en copie de la décision rendue, cette réforme pourrait avoir pour conséquence indésirable de lui faire supporter le poids de la notification des décisions, les parties concernées pouvant reprocher un défaut d’information au titre de leurs relations contractuelles.

Cyril PERRIEZ Avocat au barreau de Paris Cour d’appel de Paris https://cyrilperriez-avocat.fr
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