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Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectif en 2016. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : mardi 29 novembre 2016
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Plus de 83% des salariés perçoivent des primes et compléments de salaire dont un tiers des primes versées concernent des primes sur performance individuelle (source Analyse en 2012 Dares Analyses décembre 2014 n°101).
Liée à la conjoncture économique, la prime d’objectif varie également en fonction des secteurs d’activité et de l’effectif salarial des entreprises (plus les salariés sont nombreux dans l’entreprise plus la rémunération variable est étendue - source précitée Dares).
La richesse de la jurisprudence en 2016 répond aux préoccupations des salariés privés de leur prime d’objectif.

Cet article actualise les trois précédents articles publiés sur le sujet : lien 1, lien 2, lien 3.

Les décisions peuvent être analysées sous trois angles distincts :
- L’information du salarié par l’employeur
- Le paiement de la prime d’objectif par l’employeur
- La modification de la prime d’objectif par l’employeur.

1. C’est à l’employeur de prouver qu’il a informé le salarié des conditions de fixation de la prime d’objectif

Pour être valide une prime d’objectifs doit répondre à plusieurs critères, dont l’information que doit donner l’employeur en début d’exercice aux salariés des conditions de calcul de sa prime d’objectifs.

C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans 3 décisions :
- S’agissant d’une salariée responsable régionale, licenciée pour inaptitude qui sollicite entre autre le règlement de ses primes variables, la Cour de cassation rappelle que « lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire ; qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il appartenait à l’employeur de justifier des éléments permettant de déterminer la base de calcul et la rémunération variable pour les mois en litige, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé » (arrêt du 31 mars 2016 n°14-17471).

- Concernant un salarié technico-commercial qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail, prise d’acte requalifiée par la cour d’appel en démission au motif que le salarié n’avait pas établi «  le non-respect par l’employeur des dispositions relatives au calcul de part variable de la rémunération et le non-paiement de commissions ».

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel considérant que la cour d’appel n’avait pas « examiné le grief invoqué par le salarié se rapportant à l’absence de communication par l’employeur des éléments lui permettant de vérifier le calcul de la part variable de sa rémunération, la cour d’appel, qui n’a pas examiné l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués devant elle, n’a pas donné de base légale à sa décision » (arrêt du 13 avril 2016 n°14-26324).

- Dans cette troisième décision la cour d’appel avait rejeté la demande de paiement de la prime d’objectifs d’une salariée à l’appui du témoignage d’un délégué du personnel qui déclarait que l’employeur informait chaque année les délégués des modalités de calculs de la prime d’objectif (8 juin 2016 n°15-10737).

Au visa de la bonne foi contractuelle la Cour de cassation juge cette preuve indirecte insuffisante pour établir que la salariée avait été « effectivement informée » des conditions de calcul de sa prime d’objectifs.

On retiendra ainsi que la Cour de cassation exige de l’employeur non seulement qu’il établisse les conditions de calcul de la prime d’objectif du salarié, mais également qu’il apporte la preuve de l’information effective donnée au salarié.

2. Les juges du fond peuvent fixer souverainement le montant de la prime jusqu’à son montant maximum en fonction des données de la cause

- L’appréciation souveraine des Juges du fond selon les données de la cause :

De nombreuses décisions rappellent le pouvoir souverain des juges du fond de fixer le montant de la prime d’objectif après analyse des pièces produites par les parties : « en fonction des données de la cause ».

1ère espèce : Un directeur de filiale et chargé de mission licencié pour faute grave sollicitait le règlement de sa prime d’objectif pour 2010. Dans son pourvoi, l’employeur contestait l’absence d’analyse par la cour des pièces qu’il avait produites.

La Cour de cassation fait fi de cette critique : « Mais attendu qu’analysant les pièces produites dont elle a apprécié souverainement la valeur et la portée, la cour d’appel a retenu qu’il résultait des propres pièces de l’employeur que le chiffre d’affaires définissant l’objectif imparti au salarié pour bénéficier de la prime litigieuse avait excédé celui-ci » (18 février 2016 n°14-21519).

2ème décision : En l’absence de précision dans le contrat de travail et les accords conclus entre les parties sur les conditions de fixation annuelle de la prime, il appartient à la cour de fixer la prime d’objectifs suivant les données de la cause, en l’espèce un document relatif aux objectifs commerciaux.

Ce procédé est validé par la Cour de cassation : « mais attendu que la cour d’appel, à laquelle il appartenait, en l’absence d’accord annuel conclu entre les parties, conformément aux dispositions du contrat de travail, sur la rémunération variable due pour les années 2008 et 2009, de fixer le montant de celle-ci en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclu les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause, a constaté que l’employeur avait, dans un document relatif aux objectifs commerciaux pour l’année 2008, fixé désormais à la salariée un seul objectif lié aux prises de commandes ; qu’elle en a déduit à bon droit que celui-ci devait être pris en compte pour le calcul de la rémunération variable » (10 novembre 2016 n°15-12259).

- La fixation du montant maximum de la prime d’objectif prévue au contrat de travail si la prime d’objectifs n’est pas fixée ou si l’objectif fixé est irréaliste et irréalisable.

Dans une première décision du 14 avril 2016 n° 14-13305, l’employeur contestait la fixation de la prime d’objectifs à son montant maximal prévu au contrat de travail en indiquant qu’il appartenait au juge de fixer la prime par référence aux années antérieures.

La Cour de cassation écarte l’argumentation de l’employeur en retenant « mais attendu qu’ayant relevé que l’employeur n’avait pas valablement définit les objectifs avec son salarié pour les années précédentes et l’année en cours, la cour d’appel a exactement retenu qu’il devait verser à ce dernier des primes afférentes à l’année 2010 et l’indemnité de congés payées correspondantes, dont elle a apprécié le montant »

Dans une seconde décision du 22 septembre 2016 n°15-13135, une directrice d’agence obtient la condamnation de l’employeur à l’intégralité de sa rémunération variable, et non en fonction des critères visés au contrat et aux accords conclus les années précédentes, comme le revendiquait l’employeur.

La Cour de cassation rejette l’argumentation de l’employeur au motif que « l’objectif assigné à la salariée n’était ni réalisable ni réaliste, la cour d’appel en a exactement déduit que l’employeur était débiteur d’une somme au titre de la rémunération variable prévu au contrat pour la période du 1er mai 2010 au 30 avril 2011, dont elle a fixé les montants en fonction des données de la cause ».

3. La protection du droit du salarié au maintien de sa prime d’objectif

Dans 4 décisions, la Cour de cassation réitère l’importance de la rémunération variable incluse dans le socle des conditions essentielles du contrat de travail considérant que la modification de la prime d’objectif entraîne un manquement de l’employeur justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts.

- D’une part lorsque l’employeur décide d’intégrer la partie variable de la rémunération dans le salaire fixe du salarié :

Le principe est connu : toute modification de la rémunération du salarié appelle son consentement exprès, à défaut, les juges considèrent le contrat de travail du salarié modifié unilatéralement par l’employeur.

C’est exactement le cas dans cette espèce où un chef de vente est promu directeur commercial et à l’occasion de cette promotion voit son salaire de base augmenté de 3.200 euros mensuel à 5.400 euros mensuel avec suppression corrélative de ses primes d’objectif.

Contestant son licenciement pour motif économique, le salarié sollicite le règlement du rappel de ses primes, considérant n’avoir pas accepté expressément la modification de sa rémunération.

L’employeur évoquait en réplique une juste compensation entre l’augmentation substantielle du salaire avec la disparition de la prime qui légitimait selon lui le changement intervenu.

La Cour de cassation maintenant sa jurisprudence restrictive en matière de modification de la rémunération du salarié relève « que la disparition de la partie variable de la rémunération est consécutive d’une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié » (8 juin 2016 n°15-10116).

- D’autre part lorsque l’employeur modifie le secteur de clientèle du salarié entraînant une baisse substantielle de sa rémunération :

Il s’agissait d’un vendeur représentant de produit de distribution alimentaire et non alimentaire ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail qui évoquait la diminution de sa rémunération variable suite à la réduction de son secteur de clientèle ce qui modifiait selon lui unilatéralement son contrat de travail et caractérisait un manquement de l’employeur.

Ce que la Cour de cassation approuve « la cour d’appel ayant constaté au vu des données chiffrées produites au jour de la prise d’acte la perspective qu’une diminution importante de la part de rémunération variable n’était pas hypothétique… elle a pu en déduire qu’en imposant au salarié un nouveau secteur de clientèle qui avait pour conséquence prévisible d’entrainer une baisse substantielle de sa rémunération et en maintenant sa position malgré le refus argumenté du salarié, l’employeur avait unilatéralement modifié le contrat de travail » (17 mars 2016 n°14-20114).

- Enfin, lorsque l’employeur fixe au salarié un objectif irréalisable :

Il s’agissait d’une attachée commerciale sollicitant la réalisation judiciaire de son contrat de travail notamment après avoir constaté que l’objectif fixé par son employeur n’était pas réalisable.

Ce que la Cour de cassation approuve en relevant :
« que lors de la signature de l’avenant, l’employeur avait fixé à la salariée des objectifs irréalisables conditionnant le versement de la part variable de sa rémunération devenue ainsi marginale… qu’après avoir fait travailler cette salariée sans contrepartie sur un projet de constitution du réseau commercial il lui avait retiré brutalement cette mission à laquelle était attachées des perspectives d’évolution de carrière, la cour d’appel a pu décider que ces manquements de l’employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite de ce contrat de travail » (12 février 2016 n°14-27024).

De même s’agissant d’une salariée support logiciels ingénieur commercial réclamant ses primes d’objectif qui sollicitait la résiliation judiciaire de son contrat de travail après fixation d’objectif non réalisable, la Cour de cassation confirmant qu’il s’agit là d’un manquement d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur :
« Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice… la cour d’appel a procédé à un examen comparatif de l’ancien plan de commissionnement et du nouveau plan duquel il ressortait du fait de la reconstitution du chiffre d’affaires, l’existence d’un différentiel au préjudice de la salariée, et qu’elle était donc fondée dans sa demande de rappel de salaire au titre des commissions sur objectif » (6 octobre 2016 n°15-15672).

La jurisprudence de 2016 maintient la protection du salarié en amont avec la fixation d’une prime d’objectif réaliste et réalisable dont les conditions doivent être communiquées par l’employeur en début d’exercice, et en aval avec l’interdiction de modifier la prime d’objectif sans l’accord exprès du salarié.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com
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