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Requalification en contrat de travail des conventions individuelles d’un joueur de badminton de l’association Issy-les-Moulineaux Badminton Club 92. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : vendredi 2 décembre 2016
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Dans un arrêt remarquable, la cour d’appel de Versailles a requalifié les « conventions individuelles » d’un joueur de haut niveau de badminton en CDI.
La cour d’appel a par la suite requalifié sa démission, assimilable à une prise d’acte, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait des manquements graves de son employeur.

(Cour d’appel de Versailles, 30 novembre 2016)

Monsieur X et IMBC 92 ont signé le 5 juin 2010 une convention individuelle pour la période allant du 1er septembre 2010 au 31 août 2011. Une seconde convention a été établie et signée au titre de la période allant du 1er septembre 2011 au 31 août 2012.

Le 14 octobre 2012, l’association IMBC 92 a adressé à Monsieur X un projet de convention que ce dernier a contesté par mail du 15 octobre 2012. Le 25 novembre 2012, l’association IMBC92 lui a envoyé un second projet de convention applicable au 1er septembre 2012.
Par des mails de février 2013, Monsieur X a protesté à plusieurs reprises contre la réduction unilatérale des primes qui lui étaient versées à une somme inférieure à celle convenue, à savoir 234, 585 et 595 euros suivant les mois depuis octobre 2012, étant observé que ces montants étaient inférieurs aux primes mensuelles versées les deux années précédentes soit 800 euros.
Monsieur X a été débouté intégralement devant le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt.

1) Sur la requalification des conventions à compter du 1er septembre 2010

La qualification de la relation contractuelle ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties ou de la dénomination donnée par elles à la convention qui les lie, mais des conditions de fait dans lesquelles l’activité est exécutée.

Le critère principal du contrat de travail est le lien de subordination, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le contrat de travail se caractérise également par l’exercice de l’activité dans les locaux de l’entreprise ou dans les lieux et conditions fixés par l’employeur, l’obligation de rendre compte de l’activité, la fourniture du matériel par l’employeur.

En l’espèce, les conventions 2010/2011 et 2011/2012 que les parties ont signées stipulent que Monsieur X s’engageait à participer à tous les stages pour lesquels il était programmé, à respecter le plan d’entraînement établi par les entraîneurs, à participer aux compétitions individuelles ou par équipes pour lesquelles il était retenu par les entraîneurs du club, à soumettre pour avis au directeur technique le planning des tournois individuels auxquels il comptait participer et à représenter dignement son club et la ville d’Issy-les-Moulineaux par une attitude irréprochable lors des déplacements et compétitions.

En contrepartie, l’IBMC s’engageait à verser des primes de manifestation de 800 euros par mois sur 10 mois, cette somme pouvant être complétée dans certains cas par une prime de match de 50 euros.

Le versement des primes était expressément subordonné à la présence du joueur lors des différentes compétitions, toute absence non autorisée excluant leur versement. En outre Monsieur X s’engageait à participer à diverses tâches au sein du club (notamment jouer avec les membres du club dès que possible, promouvoir les actions du club).

Le projet de convention 2012/2013 adressé par mail à Monsieur X par l’association IMBC 92 le 14 octobre 2012 formule les mêmes obligations à la charge du joueur.

En contrepartie, IBMC 92 s’engageait à verser des « aides » à hauteur de 11.000 euros sur 10 mois ainsi qu’une enveloppe maximale de 2.500 euros de remboursements de frais.

Cette convention précise également que le versement des primes est subordonné à la présence du joueur aux différentes compétitions.

Il résulte clairement de ces documents que Monsieur X était ainsi tenu, sous peine de sanctions financières, de participer aux activités sportives du club et de suivre les consignes des entraîneurs, le lien de subordination étant caractérisé par l’obligation faite au joueur de se soumettre au règlement et à la discipline du club et de répondre à toutes les convocations, en particulier aux entraînements.

Les sommes mensuelles fixes, qualifiées de primes, qu’il percevait en contrepartie du temps consacré au club ne correspondaient à aucun défraiement et constituaient manifestement la rémunération d’une prestation de travail, l’exercice d’une autre activité professionnelle ou associative n’ayant aucune incidence sur la qualification du contrat qui le lie au club.

En conséquence, il convient de requalifier les conventions susvisées, qui ne respectent pas les dispositions légales, en un contrat de travail à durée indéterminée.

2) Sur le salaire de référence

Il résulte clairement des échanges de mails produits par Monsieur X, qu’un accord entre lui et l’association IMBC 92 est intervenu sur la base d’une rémunération de 1 100 euros par mois sur 10 mois et 2 500 euros d’enveloppe de frais.

La rémunération annuelle de 11 000 euros à raison de 1 100 euros par mois sur 10 mois est ainsi retenue.

3) Sur les conséquences financières de la requalification

La cour étant saisie par Monsieur X d’une demande de requalification des conventions à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, demande qui s’appuie sur une irrégularité du contrat initial et de ceux qui y ont fait suite, il convient de faire application de l’article L.1245-2 aux termes duquel l’indemnité due à ce titre ne peut être inférieure à un mois de salaire. Il convient de lui allouer une somme de 1 100 euros à ce titre.

Il résulte de l’examen des relevés de compte bancaire de Monsieur X et du décompte qu’il produit que ce dernier a perçu des virements de l’association IMBC 92 pour un montant total de 2.594 euros au titre des « primes » outre celle de 2 250 euros de « remboursement de frais scolaires » entre le 8 octobre 2012 et le 30 mars 2013.

Il a également reçu des virements qui apparaissent avec la légende “remboursement de frais” kilométriques (pour 969,41 euros) ou de tournoi (remboursement de frais à hauteur de 2 200,26 euros. L’association produit un décompte établi par ses soins sans l’étayer de pièces justificatives, notamment de ses relevés de compte bancaire, et il n’en sera pas tenu compte.

Monsieur X ayant travaillé jusqu’au 4 mai 2013, il avait droit à cette date à une somme de 8 950 euros à titre de salaire, dont il convient de déduire les montants perçus à savoir la somme de 2 594 euros versée à titre de primes, à l’exclusion des remboursements de frais.

En conséquence, l’association IMBC 92 est condamnée à lui payer la somme de 6 356 euros ainsi que celle de 635,60 euros au titre des congés payés afférents.

En outre, s’agissant des frais professionnels, l’association IMBC 92 est condamnée à lui payer le solde des frais lui étant dus, soit la somme de 299, 74 euros.

4) Sur les circonstances et les conséquences de la rupture

Par des mails de février 2013, Monsieur X a protesté à plusieurs reprises contre la réduction unilatérale des primes qui lui étaient versées à une somme inférieure à celle convenue, à savoir 234, 585 et 595 euros suivant les mois depuis octobre 2012, étant observé que ces montants étaient inférieurs aux primes mensuelles versées les deux années précédentes soit 800 euros.

C’est dans ces conditions que, le 12 février 2013, Monsieur X a saisi en référé le conseil de prud’hommes pour obtenir la délivrance de son contrat de travail, le paiement de rappels de salaires et des indemnités et qu’une somme de 3 006 euros lui a été accordée.

L’appelant a poursuivi ses activités pour le compte du club IMBC jusqu’aux compétitions des 3 et 4 mai 2013 et y a mis un terme à cette date, avant de saisir la juridiction prud’homale au fond en août 2013.

La rupture du contrat de travail, intervenue après plusieurs mails de protestation et une saisine du juge des référés doit s’interpréter en une démission assortie de griefs à l’encontre de l’employeur, assimilable à une prise d’acte, laquelle n’est soumise à aucun formalisme et n’est pas incompatible avec une action en exécution du contrat de travail.

Les manquements reprochés à son employeur par Monsieur X sont d’une gravité certaine, s’agissant d’une modification unilatérale des conditions de rémunération et d’une diminution importante de celle-ci. Elles justifient que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause.

En outre, la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée a pour conséquence l’application à la rupture de la relation contractuelle des règles régissant le licenciement sans cause réelle ni sérieuse

En conséquence, l’association IMBC 92 est condamnée à payer à Monsieur X une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 2 200 euros en application de l’article L.1234-1 du code du travail outre les congés payés afférents à hauteur de 220,00 euros ainsi qu’à la somme de 585,20 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.

La cour d’appel a, au regard de l’adhésion rapide de Monsieur X à un autre club et de l’ancienneté de la relation contractuelle, évalué le préjudice subi par Monsieur X du fait de la rupture à la somme de 5 000 euros.

S’agissant de l’indemnité de précarité réclamée par l’appelant, il résulte des dispositions de l’article L.1243-8 du Code du travail que lorsque l’employeur ne propose pas de contrat à durée indéterminée à l’issue du contrat à durée déterminée, ce qui est bien le cas en l’espèce, l’association IMBC 92 n’ayant jamais reconnu être liée par un CDI à Monsieur X.

En conséquence ce dernier est fondé à en demander paiement. Cette indemnité s’élève à 10 % de la rémunération brute versée au salarié et se calcule sur la totalité des rémunérations effectivement perçues à titre de salaires à l’exclusion de celles destinées à couvrir des frais réellement exposés. En l’espèce, Monsieur X a perçu la somme de 2 594 euros et l’indemnité sera donc fixée à la somme de 259,40 euros.

En conclusion, la cour d’appel de Versailles condamne IBMC 92 à payer à Monsieur X les sommes suivantes :
-  6 356 euros à titre de rappel de salaire, outre la somme de 635,60 € au titre des congés payés y afférents ;
-  299,74 euros à titre de rappel de frais professionnels ;
-  1 100 euros à titre d’indemnité de requalification ;
-  2 200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle 220 euros au titre des congés payés y afférents ;
-  585,20 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
-  5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
-  259,40 euros à titre d’indemnité de précarité ;
-  3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum