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Le télétravail, pour les juristes d’entreprise aussi ?
Parution : mardi 6 décembre 2016
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Qu’implique la mise en place du télétravail pour les juristes d’entreprise ? Ce nouveau mode de fonctionnement peut effrayer les directions juridiques, compte tenu de la réorganisation qu’elle peut demander.
Pourtant, en pratique, la solution est loin d’être pénalisante, comme en témoigne Emilie Letocart-Calame (30 ans). Membre du Comité des jeunes juristes de l’AFJE [1] et juriste chez Dell depuis un an, elle exerce ses fonctions exclusivement en télétravail. Une solution qui lui offre de la flexibilité, une certaine liberté, et qui ne change en rien son rôle au sein de l’entreprise.

Clarisse Andry : Comment s’organise le télétravail dans votre entreprise ?

Emilie Letocart-Calame : Le télétravail est une culture très spécifique à Dell : l’intégralité des salariés, y compris les fonctions support comme les juristes ou les ressources humaines, y est encouragée. C’est ce qui m’a étonné lorsque que je suis arrivée. Le nombre de journées accordées est ensuite adapté aux départements. Les juristes peuvent choisir d’être entièrement en télétravail, et c’est mon cas depuis le mois de septembre. Avant ça, j’étais en télétravail la moitié de la semaine.

L’adaptation a-t-elle été facile ?

Oui, car c’est une organisation qui me plait, et je sais que j’étais faite pour ça. J’aime cette flexibilité et la possibilité qui est laissée à chacun de choisir son mode de travail. Cela n’influera ni sur ma quantité de travail, ni sur la façon dont je vais le faire. En revanche, lorsque j’en parle autour de moi, certaines personnes me disent qu’elles ne pourraient pas travailler à distance, qu’elles n’arriveraient pas à se motiver, qu’elles ont besoin d’être sur place, ou encore qu’elles ont besoin de séparer bureau et domicile, de déconnecter totalement. Je pense donc que cela dépend des salariés.

De quels outils bénéficiez-vous pour travailler à distance ?

Dell a mis en place l’intégralité des supports nécessaires afin que nous puissions tous travailler. C’était une question à laquelle je m’étais heurtée dans mes emplois précédents : on nous répondait - et ce n’était pas complètement faux mais il s’agit bien d’une question de volonté de la part de l’entreprise - que nous n’avions pas les moyens d’être en total télétravail, et qu’il était compliqué d’organiser l’accessibilité des dossiers et des documents. Dell a pris le parti du zéro papier, et cela fait un an que je n’ai pas touché de papier ou de contrat. Tout est stocké sur des serveurs sécurisés et accessibles à distance, l’intégralité des échanges se fait via des plateformes, et nous utilisons la téléconférence pour nos réunions de travail. C’est vraiment un mode de travail avec lequel tout le monde s’est familiarisé au sein de cette entreprise.

Cela a-t-il des conséquences sur vos pratiques en tant que juriste, et sur la place du juriste au sein de l’entreprise ?

« Nous sommes tout aussi rapides que si nous étions sur place. »


Non je ne pense pas, puisque les outils sont faits pour nous soyons autant joignables que si nous étions sur place. Nous avons par exemple un logiciel qui nous permet d’être en ligne pour permettre à quelqu’un de nous posez une question rapide. C’est l’équivalent de « je viens à ton bureau pour te poser une question ». Nous avons aussi nos téléphones mobiles, les emails … Nous sommes donc tout aussi rapides que si nous étions sur place.
Cela nous permet également d’être mieux isolés lorsque nous avons besoin de nous concentrer. En étant sur place, les gens se sentent plus libres de venir vous voir, alors que leur question aurait potentiellement pu attendre et va interférer avec des dossiers complexes à traiter. C’est une situation qui n’arrive pas une fois que vous êtes à la maison, et que vous signalez sur les réseaux que vous ne voulez pas être dérangé. De même, l’email permet au juriste de hiérarchiser les priorités.

Et quel est l’impact du télétravail en terme de management ?

« C’est beaucoup plus responsabilisant. »


Je trouve que c’est beaucoup plus responsabilisant. J’aime cette opportunité qui est laissée aux salariés de décider de leur organisation, et il n’est pas nécessaire de vérifier constamment les horaires de connexions. Tant que le travail est fait, et bien fait, votre manager sera content de vous. Cela enlève la problématique du présentéisme qui se retrouve dans de nombreuses entreprises françaises, y compris dans certaines entreprises américaines implantées en France et qui ont un management trop français.
Il faut aussi préciser que je fais partie d’une équipe européenne, où je suis la responsable de la France, l’Italie et l’Espagne. Je couvre donc déjà des pays où, de fait, je ne suis pas physiquement. Et mon manager est aux Etats-Unis, le fait que je sois sur place lui est donc totalement indifférent. Dès lors que les dossiers qui me sont envoyés sont traités, et que je réponds aux demandes de mes opérationnels sur place, tout le monde est content, peu importe l’endroit où je me trouve.

Quels sont les avantages et les inconvénients du télétravail ?

« Cela offre à mon employeur une flexibilité que je suis heureuse de lui rendre. »


L’équilibre vie professionnelle/vie personnelle est incomparable et cela permet une flexibilité d’organisation très appréciable. Je n’ai par exemple pas besoin de poser une demi-journée pour attendre une livraison. Des parents qui ont des enfants malades peuvent les garder tout en travaillant de chez eux, évitant les problématiques de garde. Je me suis aussi rendue compte que je ne prends plus d’arrêt maladie, sauf si je suis complètement alitée : travailler de chez soi offre l’opportunité de dormir une heure ou deux heures de plus, puisque vous économisez les temps de transport, et de vous reposer à midi, ce que vous ne pouvez pas faire au bureau ... Je pense que tout le monde y trouve son compte : cela offre à mon employeur une flexibilité que je suis heureuse de lui rendre en retour, parce que cela marche dans les deux sens.

Le seul inconvénient que je pourrais trouver, c’est éventuellement la solitude. Travailler seul chez soi est parfois moins amusant qu’être au bureau avec vos collègues, pouvoir discuter, vous détendre … Mais quand la situation devient pesante, j’envoie un mail à mes collègues et nous essayons de nous coordonner pour nous retrouver au bureau. L’entreprise a aussi mis en place ce qu’ils appellent des « virtual coffee » : nous faisons des petites vidéoconférences une fois par semaine, comme si nous nous retrouvions devant la machine à café, souvent après le déjeuner. La règle est de ne pas parler de travail, et ça nous permet de prendre des nouvelles et de discuter entre nous !

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice

[1Le Comité des jeunes juristes (CJ²), au sein de l’AFJE, propose aux jeunes juristes (entre zéro à cinq ans d’expérience), de constituer un réseau, de favoriser les échanges avec les juristes seniors ou d’autres professions du droit, ou encore de prendre part aux réflexions liées à la profession et à son évolution. Lancé fin 2012, il compte aujourd’hui 4.300 adhérents.

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