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Droit à l’image et victime du Bataclan : pour bien comprendre. Par Joëlle Verbrugge, Avocat.
Parution : mercredi 7 décembre 2016
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Après l’attentat du Bataclan, une affaire de droit à l’image a défrayé la chronique et suscité pas mal d’interrogations tant dans la communauté des photographes (pour laquelle j’écris généralement) qu’au sein du monde juridique.
L’accès au jugement rendu m’a permis un petit décryptage que je vous propose ci-dessous.

Droit à l’image - Les bases légales

Pour l’essentiel, les procédures de droit à l’image sont fondées sur les articles 9 et 16 du Code civil, ainsi que sur l’article 1240 (ex-1382) du même Code. Les deux premiers articles sont insérés dans la section relative aux droits de la personnalité, et il n’est bien sûr plus nécessaire de présenter le troisième.

Le « droit à l’image » tel qu’on l’entend généralement s’éteint donc avec la personne. Dès lors, lorsqu’il s’agit de l’image d’une personne décédée, et même si la presse parle de « droit à l’image », le fondement est un peu différent. Devant une juridiction civile on parlera de préjudice « d’affliction », c’est-à-dire le préjudice qu’ils ont personnellement subi du fait de la diffusion de l’image de leur proche décédé. Mais au pénal, la situation est un peu différente, et il leur faudra trouver une incrimination qui leur permet d’assigner en leur nom. Les proches devraient donc pouvoir invoquer une disposition qui incrimine de façon précise - en lui associant une peine - le fait de diffuser l’image d’une personne décédée. Mais une telle disposition générale n’existe pas en l’état actuel du droit.

Deux dispositions peuvent être mentionnées toutefois :
- L’article 35quater de la loi sur la liberté de la presse : « La diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit, lorsque la reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette dernière est punie de 15.000 euros d’amende ».
- Et l’article 225-17 du Code pénal : « Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende ».

Pour la seconde disposition, issue du Code pénal, il existe de la jurisprudence qui rappelle que ce délit ne concerne que l’atteinte portée à la dépouille elle-même, et non à l’image de celle-ci. En d’autres termes, il est question de protéger le corps physique de la victime, et non l’image de celle-ci.

Dans l’affaire de la victime du Bataclan, c’est la première disposition, issue de la loi sur la liberté de la presse, qui était invoquée.

Les faits

Une photographe américaine avait réalisé quelques photographies à la sortie du Bataclan. Parmi ces photos figurait celle d’un jeune homme que l’article en-dessous désignait comme un rescapé qui avait survécu à ses blessures. L’homme était allongé au sol, à demi-nu, ensanglanté et couché à côté d’un véhicule de pompiers.

Malheureusement tel n’était pas le cas : le jeune homme avait succombé.
Ses parents, invoquant la douleur supplémentaire que les commentaires sous la photo avaient suscitée, assignaient sur base de cette disposition de la loi sur la liberté de la presse l’éditeur du magazine où la photo avait été publiée.

Par la voix de son conseil, l’éditeur a répondu que la loi Guiguou, qui avait introduit cette disposition dans la loi sur la liberté de la presse, avait pour but de protéger les droits d’une personne « qui risque de subir un deuxième traumatisme en voyant diffuser les images de la souffrance qu’elle a subie » et que cela ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce, puisque la victime n’était plus vivante pour se plaindre elle-même de cette diffusion, et que les poursuites ne pouvaient pas être initiées par les proches, ou même par le parquet.

Et c’est précisément l’argumentation retenue par le tribunal, qui a déclaré les poursuites irrecevables.

Que retenir de ce jugement ?

Aussi atroce qu’ait pu être l’événement, et aussi compréhensible que soit la douleur de la famille, le parquet (qui avait suivi la plainte de la famille) ne pouvait pas poursuivre l’éditeur pour l’infraction incriminée : seule la victime d’une telle atteinte pouvait l’envisager, ce qui impliquait donc qu’elle ne soit pas décédée.

En d’autres termes, les parents auraient été mieux reçus en choisissant la voie civile.

Dura lex, sed lex ...

Joëlle Verbrugge Avocate au Barreau de Bayonne