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Récupérer son permis de conduire en urgence en l’absence d’emploi. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : lundi 2 janvier 2017
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Lorsqu’un automobiliste perd l’ensemble de ses points sur son permis de conduire, il lui faut saisir le tribunal administratif rapidement pour annuler la décision qui le prive de son permis.
Il peut alors demander en urgence au juge administratif de suspendre la décision litigieuse en attendant que la procédure se finisse sur le fond mais il devra prouver qu’il y a urgence à le faire.
Jusqu’ici, l’urgence n’était que professionnelle. Seule la perte prochaine d’un emploi incitait les juridictions administratives à reconnaître l’existence d’une certaine urgence. Le Conseil d’État vient de changer la donne.

La décision rendue par le Conseil d’État le 17 octobre 2016 apporte une précision d’une particulière importance et tord le cou à une idée reçue sur la recevabilité d’un Recours en référé contre la décision du ministre de l’Intérieur qui annule le permis de conduire d’un automobiliste après la perte de l’intégralité de ses points.

Rappelons, en effet, que lorsqu’un automobiliste perd l’ensemble de ses points, le ministre de l’Intérieur lui notifie, dans les jours ou les semaines qui suivent la perte de son dernier point, l’annulation de son permis de conduire par courrier en recommandé avec accusé de réception.

Il s’agit là d’une décision dite « 48 SI ».

A partir de ce moment-là, l’automobiliste n’a plus le droit de conduire son véhicule et doit rendre son permis de conduire sous un délai de dix jours en le déposant à la Préfecture de son domicile.

Il dispose aussi, et surtout, d’un délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif d’un Recours pour excès de pouvoir afin de contester la décision du ministre de l’Intérieur et d’en demander l’annulation pour que les points illégalement retirés sur son permis de conduire lui soient recrédités.

Il existe, pour cela, tout un ensemble d’arguments juridiques étayés par une jurisprudence fournie qui permettront à l’automobiliste d’obtenir gain de cause devant le tribunal administratif.

L’automobiliste peut également joindre à son recours pour excès de pouvoir un second recours, qui est un recours en référé-suspension.

En effet, il faut savoir que le recours pour excès de pouvoir ne sera jugé par le tribunal administratif que de nombreux mois après son dépôt.

Durant ce temps, et en attendant que le juge administratif se prononce sur le recours pour excès de pouvoir, l’automobiliste est censé attendre et n’a donc pas le droit de conduire son véhicule puisque, tant que le tribunal administratif ne s’est pas prononcé, son permis de conduire reste invalide.

Il est évident que ce temps juridictionnel place l’automobiliste dans une situation plus que délicate.

Il peut alors déposer, en urgence, une requête en référé-suspension dont l’objet est précisément de demander la suspension de la décision prise par le ministre de l’Intérieur en attendant que le tribunal administratif se prononce sur le recours pour excès de pouvoir.

La requête en référé-suspension sera jugée dans le mois de son dépôt.

Si l’automobiliste obtient gain de cause, la décision du ministre de l’Intérieur sera suspendue.

Autrement dit, elle ne pourra être appliquée et l’automobiliste retrouvera provisoirement le droit de conduire jusqu’à ce que le recours pour excès de pouvoir soit tranché par le tribunal administratif.

Pour obtenir gain de cause dans le cadre d’un recours en référé-suspension, il faut notamment démontrer qu’il y a urgence à suspendre la décision du ministre de l’Intérieur en raison du préjudice porté à l’automobiliste si la décision querellée devait continuer à s’appliquer.

C’est là que l’arrêt du Conseil d’État apporte une précision salutaire.

En effet, jusqu’à ce jour, les juridictions avaient une vision très orientée de l’urgence : celle-ci ne pouvait souvent être que d’ordre professionnel.

Autrement dit, il fallait avoir un emploi et risquer de le perdre si la décision du ministre de l’Intérieur n’était pas immédiatement suspendue.

Le cas typique était celui du chauffeur de taxi, du livreur, du VRP, de l’ambulancier ou du chauffeur routier pour lesquels la possession d’un permis de conduire était une condition sine qua non pour préserver leur emploi.

Il était donc souvent entendu, dans les juridictions mais aussi chez les automobilistes, que sans emploi dont la sauvegarde reposait sur la possession d’un permis de conduire valide, il était inutile de déposer une requête en référé-suspension.

Par son arrêt du 17 octobre 2016, le Conseil d’État met un terme à cette croyance et élargit donc les conditions d’appréciation de la notion de l’urgence.

En l’espèce, l’automobiliste n’occupait aucun emploi reposant sur un permis de conduire valide mais était simplement en formation professionnelle.

La requérante ne risquait donc pas de perdre un emploi qu’elle n’avait pas encore.

Le Conseil d’État considère cependant que la formation professionnelle nécessitait pour la requérante la possession d’un permis de conduire et prononça la suspension de la décision du ministre de l’Intérieur :

« Considérant, d’autre part, qu’il ressort des pièces du dossier que l’exécution de la décision contestée porterait une atteinte grave et immédiate à la situation de Madame A. qui est dépourvue d’emploi et qui est inscrite à une formation devant débuter le 2 novembre 2016, et nécessitant la possession d’un permis de conduire... que dans ces conditions, la condition d’urgence fixée par l’article L 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ».

Cette décision porte donc un coup décisif à une doctrine fermement ancrée et qui partait du principe que l’urgence ne peur exister que lorsque l’automobiliste occupait un emploi qu’il risquait de perdre si une décision d’invalidation du permis de conduire n’était pas immédiatement suspendue.

Ceci est une excellente chose pour plusieurs raisons.

D’une part, cette décision est réaliste.
En reconnaissant la notion d’urgence là où il y a peu de temps encore on se bornait à en nier l’existence, le Conseil d’État se veut pragmatique.
Il aurait fallu avoir un esprit bien étriqué pour continuer à croire, sans se remettre en question, que l’urgence ne peut être que professionnelle.
La réalité est plus complexe et tous les justiciables ne vivent pas la même vie.
L’urgence est donc un concept à plusieurs visages.

D’autre part, et précisément, aucun code, et certainement pas le Code de justice administrative, ne définit l’urgence en en précisant les limites.
Il appartient au juge administratif, au cas par cas, d’apprécier si cette notion est rapportée avec suffisamment de précision pour permettre la suspension d’une décision ministérielle.
Le Conseil d’État a donc libéré le juge administratif du carcan juridique qui pesait sur lui de manière assez incompréhensible.
Dorénavant, le juge administratif pourra reconnaître l’existence de l’urgence là où il y a quelques mois il aurait hésité à le faire.

Cela ouvre bien entendu la voie à d’autres cas.

On pourra donc imaginer qu’une mère isolée dont le permis de conduire vient d’être invalidé si elle démontre que l’utilisation de son véhicule lui est indispensable pour emmener ses enfants à l’école le matin et les rechercher le soir.

Les cas seront nombreux et devront être traités avec bienveillance par les juridictions administratives.

On peut donc saluer cette décision qui a le mérite de tordre le cou à un courant jurisprudentiel particulièrement implacable jusque là.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com