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Les formalités de la cession du droit au bail commercial. Par David Semhoun, Avocat.
Parution : mercredi 4 janvier 2017
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Le commerçant exploitant un fonds de commerce peut souhaiter, au cours de son activité, céder son fonds. Celui-ci comprenant le droit au bail, c’est-à-dire le droit d’exploiter les locaux commerciaux, la cession du fonds de commerce entraînera celle du droit au bail. En effet, le droit au bail constitue l’un des éléments incorporels du fonds de commerce.

Le locataire peut également choisir de ne pas céder son fonds, mais seulement son emplacement et le droit au bail. Dans ce cas, il est très fréquent de devoir obtenir l’agrément du bailleur ; les baux prévoient généralement la cession du droit au bail à l’acquéreur du fonds de commerce (dérogeant ainsi à l’article 1717 du Code civil).

I. Qu’est-ce qu’une cession de droit au bail ?

La cession d’un droit au bail est un acte par lequel le cédant, bénéficiaire du bail, va transmettre ses droits à une tierce personne, appelée cessionnaire. Le bail subsiste, seul change la personnalité du locataire.

Cette cession peut s’opérer soit à titre onéreux, soit à titre gratuit. Le cessionnaire jouira de droits identiques à ceux du cédant et sera soumis aux mêmes obligations ; droits et obligations visés au sein du bail objet de la cession.

II. Le principe de liberté de cession à l’acquéreur du fonds

L’article L. 145-16 du Code de commerce répute non écrites, les conventions interdisant au locataire de céder à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise soit son bail, soit les droits qu’il détient en matière de renouvellement.

Cela se traduit bien souvent dans le bail par une clause interdisant la cession du bail sauf à un « successeur dans son commerce » ; ce qui a été qualifié par la Cour de cassation comme une clause n’autorisant la cession qu’au profit du successeur dans le fonds de commerce.

III. La solidarité du cédant

La cession du droit au bail est une cession de créance, c’est-à-dire que le cessionnaire devient titulaire des droits qui sont nés du bail et peut s’en prévaloir auprès du bailleur. Le cédant doit donc avoir la capacité juridique de vendre le droit au bail et peut être tenu à garantir l’acquéreur du droit au bail. Il devra informer l’acquéreur des diverses contestations qui auront pu naître au cours du bail cédé.

En pratique, les baux incluent une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire qui joue pour le paiement des loyers et charges, ainsi que l’exécution des obligations du bail. Cette clause a pour effet de rendre le cédant codébiteur solidaire du cessionnaire à qu’il cède le bail, vis-à-vis du bailleur.

Toutefois, cette clause doit faire l’objet d’une attention particulière puisque la Cour de cassation les interprète strictement.

Cette garantie prendra fin lorsqu’un congé aura été délivré au cessionnaire ou à l’expiration du bail au cours duquel la clause aura été introduite. En revanche, en cas de tacite reconduction du bail, celui-ci se poursuit donc, et la clause continue de jouer. La garantie prendra également fin en cas de renouvellement du bail, sauf à ce que le bail initial prolonge son effet pour le bail renouvelé.

La loi Pinel est venue limiter cette garantie solidaire afin de préserver les droits du cédant. Elle énonce que :
- Le bailleur ne peut invoquer la clause de garantie que pendant une durée de 3 ans à compter de la cession du bail (L. 145-16-2 du Code de commerce).
- Le bailleur doit informer le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai de 1 mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être payée (L. 145-16-1 du Code de commerce) ; ce délai venant protéger le cédant contre un bailleur de mauvaise foi qui ne l’alerterait de la défaillance du cessionnaire que plusieurs mois ou années après qu’il en a eu connaissance.

Toutefois, le caractère d’ordre public de ces articles n’étant pas arrêté, il conviendra, dans l’intérêt du preneur (et éventuel cédant) de s’opposer à toute demande de dérogation de la part du bailleur.

IV. Les formalités de la cession

La vente du droit au bail requiert de respecter plusieurs règles, à commencer par la signification de la cession au bailleur, ainsi que l’établissement d’un état des lieux préalable.

1°) Un état des lieux préalable : l’article L. 145-40-1 du Code de commerce impose, entre le bailleur et le cessionnaire, un état des lieux lors de l’entrée en possession des lieux. Cette exigence est à l’origine de litiges, notamment lorsqu’à l’issue de l’état des lieux, il est constaté que le local commercial a subi des dégradations ou a fait l’objet de travaux non autorisés.

2°) Signification de la cession au bailleur : s’agissant d’une cession de créance, la cession de droit au bail doit être signifiée au bailleur. Elle est visée à l’article 1690 du Code civil. Sanction du défaut de signification de l’acte : en l’absence de respect des mentions de l’article 1690 du Code civil, la cession n’est pas nulle mais ne peut être opposée aux tiers et donc au bailleur. Cette signification doit avoir lieu quand bien même la cession du droit au bail s’effectuerait au profit de l’acquéreur du fonds de commerce.

Le défaut de signification rendra donc le bail inopposable au bailleur qui pourra en refuser le renouvellement au cessionnaire sans lui verser une quelconque indemnité ; libre à lui de demander également la résiliation du bail.

V. Les clauses organisant les modalités de la cession du droit au bail

Plusieurs clauses insérées dans le bail viennent définir les contours de sa cession.

A. La clause d’agrément du bailleur

Il est très fréquent que les baux prévoient l’accord préalable du bailleur pour toute cession par le biais de clauses. Ces clauses peuvent venir limiter ou restreindre la cession mais ne doivent pas interdire toute cession.

Ces clauses doivent donc faire l’objet d’un soin particulier puisque les intérêts du bailleur et du preneur seront divergents. Le preneur aura tout intérêt à ce que la cession soit al plus libre possible pour élargir le champ des repreneurs en cas de difficultés. À l’inverse le bailleur tendra à restreindre au minimum légal les cas de cessions non soumis à son autorisation car la cession au profit d’un autre preneur lui permettra de négocier un nouveau bail ou de demander le versement d’une indemnité.

B. Clauses relatives à la forme de la cession

Le bailleur cherchera lors de la conclusion du contrat de bail de dessiner les formes de la cession afin d’en limiter strictement les conditions (toujours bien sûr, sous réserve que ces clauses ne constituent pas une interdiction absolue et générale d’opérer une cession).

Il peut imposer son intervention à l’acte : la clause d’intervention du bailleur à l’acte de cession est moins contraignante que celle qui soumet la cession à son autorisation préalable. Elle permet seulement au bailleur de contrôler la régularité de la cession et que le cessionnaire reprendra les engagements du cédant vis-à-vis de lui-même. De même, il peut demander à ce que la cession soit opérée par son conseil, ou par un avocat ; ou encore, de façon très classique, qu’une copie de la cession devra lui être remise, sans frais.

C. Clauses octroyant un droit de préemption au profit du bailleur

Le bail commercial peut tout à fait prévoir qu’en cas de cession du droit au bail ou du fonds de commerce, le bailleur disposera d’un droit de préemption qui s’exercera au prix que le locataire aura offert au candidat acquéreur et que ce dernier a accepté.

VI. Le droit de préemption de la mairie

L’article L. 214-1 du Code de l’urbanisme confèrent aux communes un droit de préemption sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux dans le périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité.

Il conviendra avant d’opérer toute cession de bail ou de fonds de commerce ou artisanal, de se renseigner à la mairie de la commune concernée afin de savoir s’il existe ou non un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité.

VII. Le cas d’une cession irrégulière : sanctions et régularisation

Une vente irrégulière peut entraîner différents types de sanctions parmi lesquelles : l’inopposabilité de la cession, l’extinction du bail commercial. Heureusement, il est possible de procéder à une régularisation de la cession.

Les sanctions d’une cession irrégulière :
- L’inopposabilité de la vente : l’inopposabilité de la cession peut provenir du non-respect des formalités de signification (prévu à l’article 1690 du Code civil) ou du non-respect des stipulations contractuelles (comme la nécessité d’obtenir l’agrément du bailleur). Cette inopposabilité va jouer dans les rapports entre le bailleur et le cessionnaire et dans les rapports entre le bailleur et le cédant.
- L’extinction du bail commercial.
- La résiliation du bail : la résiliation du bail peut, par exemple, être obtenue de plein droit par application d’une clause résolutoire en cas de cession de bail irrégulière. Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire du bail en invoquant dès lors une gravité suffisante, souverainement appréciée par les juges du fond.
- Le refus de renouvellement du bail : le bailleur peut également refuser le renouvellement du bail sans avoir à payer d’indemnité, s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant.
- La réparation du dommage subi par le cessionnaire évincé : le cessionnaire évincé qui doit quitter les lieux après résiliation du bail ou après refus de renouvellement peut agir en responsabilité civile contre le cédant.

Comment régulariser une vente irrégulière de bail ?

Nous nous situons dans le cas d’un bailleur qui ne serait pas intervenu lors de la conclusion de l’acte de cession, alors même que la clause du contrat de bail le stipulait. Ce dernier peut-il malgré tout donner son accord postérieurement ? La clause résolutoire contenue dans un bail ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux, la régularisation a posteriori est donc possible dans le délai d’un mois.

David Semhoun Nahmias - Semhoun Avocats A.A.R.P.I. www.nsavocatsparis.fr
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