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Le forfait jours dans l’encadrement. Par Cathy Neubauer, Avocat.
Parution : mercredi 4 janvier 2017
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Les premières conventions dites de forfait jours ont été mises en place par les lois Aubry II, et ces conventions ont plusieurs fois fait l’objet de modifications.
Si les toutes dernières modifications ont été faites par la loi El Khomri, le régime juridique actuel est principalement basé sur la loi du 20 août 2008 qui a modifié l’article L.3121-43 du Code du travail.

I. Un enjeu important

Les premières conventions dites de forfait jours ont été mises en place par les lois Aubry II, et ces conventions ont plusieurs fois fait l’objet de modifications.
Si les toutes dernières modifications ont été faites par la loi El Khomri, le régime juridique actuel est principalement basé sur la loi du 20 août 2008 qui a modifié l’article L.3121-43 du Code du travail qui dispose que :
« peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l’accord collectif prévu à l’article 3121-39 :
1° Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou l’équipe auquel ils sont intégrés ;
2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées. »

Ce texte a encouragé de nombreuses entreprises à utiliser ce type de convention dans leurs relations de travail dans l’encadrement de haut niveau afin d’éviter un décompte minutieux des horaires de salariés, est néanmoins un système qui présente des risques pour l’entreprise.

Néanmoins un certain nombre d’entreprise en ont fait les frais lorsque les tribunaux ont purement et simplement annulé les conventions de forfait jours passés avec leurs salariés.
Si une simple nullité est censée remettre les parties en l’état avant la passation du contrat annulé, tel n’est bien entendu pas le cas du contrat de travail qui est un contrat qui s’exécute dans le temps et qui implique la prestation d’un travail en échange d’un salaire.

Il convient de rappeler que les conventions de forfait en jours sur l’année permettent de rémunérer certains salariés sur la base d’un nombre de jours travaillés annuellement, laissant ainsi au salarié plus de liberté pour organiser son emploi du temps, elles comportent une part de risque.

En effet, pour pouvoir être mis en œuvre, ce type de convention doit faire l’objet d’un accord collectif puis donner lieu à la conclusion d’une convention individuelle avec chaque salarié concerné, tout en prenant soin de contrôler la charge de travail du salarié, qui doit rester compatible avec une vie privée équilibrée.

Il faut à ce titre rappeler que la Cour de cassation est particulièrement sensible aux risques psycho-sociaux.

La Cour de cassation n’a jamais hésité à annuler une convention de forfait jours en cas de non-respect des règles.

En effet cette dernière contrôle très sévèrement les conventions de forfait jours et, depuis 2013, a annulé un certain nombre de conventions notamment dans la branche de la chimie, du commerce de gros, des café-hôtel-restaurant au motifs, entre autres, que lesdites conventions ne garantissaient pas « une amplitude et une charge de travail raisonnables », et n’assuraient pas « une bonne répartition, dans le temps » du travail du salarié.

Or, l’annulation d’un contrat de travail de type forfait jours est loin d’être anodine et peut causer la perte d’une petite entreprise dès lors que l’annulation dudit forfait implique le paiement à titre d‘heures supplémentaire, de toute heure travaillée au-delà de la 35ème et ceci sur toute la période de la prescription en vigueur au moment de l’annulation sans compter les sanctions encourues et notamment la condamnation de l’employeur à régler au salarié une indemnité pour travail dissimulé d’un montant forfaitaire de 6 mois de salaire sans compter les éventuelles condamnations pénales.

En effet, au début, la jurisprudence considérait que le seul fait de soumettre un salarié au forfait jours sans lui faire signer une convention individuelle et de le priver ainsi du droit au paiement des heures supplémentaires, caractérise en soi l’élément intentionnel requis pour la condamnation pour travail dissimulé (Cass. soc. 28 février 2012, n°10-27.839).

Cette jurisprudence a été largement atténuée depuis.
En effet, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, à juste titre, que le juge ne peut condamner l’employeur à verser au salarié l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé sans établir son intention frauduleuse (Cass. soc. 16 juin 2015, n° 14-16953).

On ne peut que se réjouir de ce revirement dès lors que de nombreuses annulations de conventions de type forfait jours ont été annulées.

D’ailleurs la Cour de cassation vient encore, le 14 décembre courant, d’annuler une de ces conventions :
« Est nulle la convention de forfait conclue sur le fondement des dispositions de l’article 9 de l’avenant n° 20 du 29 novembre 2000 relatif à l’ARTT, dans sa rédaction issue de l’avenant n° 20 bis du 6 novembre 2001, à la Convention collective nationale de l’immobilier du 9 septembre 1988, qui, dans le cas de forfait en jours, se limitent à prévoir, s’agissant de la charge et de l’amplitude de travail du salarié concerné que l’employeur et l’intéressé définissent en début d’année, ou deux fois par an si nécessaire, le calendrier prévisionnel de l’aménagement du temps de travail et de la prise des jours de repos sur l’année et établissent une fois par an un bilan de la charge de travail de l’année écoulée. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cet arrêt. » (Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 15-22.003)

II. Les règles applicables

Avant la mise en place de la loi Travail, qui a tenté de sécuriser les conventions de type forfait jours, le Code du travail qui prévoyait la condition cumulative de l’existence d’une convention individuelle écrite du salarié (Article L3121-40 du Code du travail) et d’un accord collectif autorisant le recours à une convention de type forfait jours (article L3121-39 du Code du travail), avait néanmoins fait l’objet d’une interprétation stricte par la Cour de cassation.
Par ailleurs, l’article L3121-44 d Code du travail dans sa rédaction d’avant la loi Travail du 16 août 2016, dite loi El Khomri, prévoyait que le nombre de jours travaillés ne pouvait excéder 218 jours par an.

Il convient de suite de préciser que la Cour de cassation exige que la convention de forfait jours doit résulter d’un document écrit, signé du salarié et de l’entreprise, document dans lequel les garanties offertes au salarié sont clairement établies.

En d’autres termes, la convention signée avec le salarié doit expressément rappeler la garantie du respect des durées maximales de travail, et celles concernant les repos hebdomadaires et les repos journaliers.
De surcroît, une réunion annuelle permettant d’évaluer la charge de travail doit être mentionnée.
Le simple renvoi à la convention collective ne suffit pas, et est sanctionné par l’annulation de la convention individuelle de forfait jours (Cour de cassation chambre sociale 31 janvier 2012 N° 10-17.593).

Bien entendu, une simple mention de la convention de forfait jours dans le cadre de la fiche de paye ne suffit pas pour caractériser l’existence d’une convention de forfait jours, qui doit ainsi être annulé (Cass. soc. 13 février 2013, n°11-27.826 - Cass. soc. 15 avril 2015, n°13-24.588 - Cass soc 4 novembre 2015 n°14-10.419).

Les règles semblent simplissimes, on pourrait dès lors s’étonner des nombreuses annulations, par la jurisprudence, des conventions de forfait jours.

En fait le premier coup de tonnerre était apparu en 2011 lorsque dans une série de plusieurs arrêts la Cour de cassation avait posé des règles très strictes concernant la convention de forfait jours.
Le premier arrêt a été rendu en date du 29 juin 2011.
Cet arrêt avait fermement posé le principe que seul l’accord collectif mettant en place les conventions de convention de forfait jours sein de chaque entreprise est porteur de la régularité desdites conventions.
En effet, selon la Haute Cour, la validité de principe des conventions de forfait jours était maintenue, mais la Cour a posé le principe que c’était cependant à l’accord collectif de travail de répondre à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé du salarié, notamment visée à l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de la constitution de 1958.

Aux termes de cet arrêt, pour être valable, l’accord collectif applicable devait fixer un certain nombre d’éléments, et notamment :
- les conditions du contrôle du nombre de jours travaillés ;
- l’établissement d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées et des journées de repos ;
- les modalités de l’entretien annuel obligatoire avec le supérieur hiérarchique du salarié afin d’assurer le suivi régulier de l’organisation du travail et de la charge de travail du salarié ;
- le suivi de l’amplitude des journées du salarié.

Enfin, pour la Haute juridiction, les défaillances de l’employeur, « dès lors qu’elles privent le salarié de toute protection de sa santé, privent également d’effet la convention de forfait jours conclue avec le salarié ». La Cour revenait ainsi sur sa jurisprudence antérieure aux termes de laquelle « le défaut d’exécution par l’employeur des stipulations conventionnelles relatives aux modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés soumis au régime du forfait en jours ne remettait pas en cause la validité de la convention organisant ce régime mais ouvrait seulement droit à dommages-intérêts pour le salarié concerné » (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107).

Les nombreuses annulations de conventions de forfait jours, ont été annulés au visa, le plus souvent, de la protection de la santé du salarié, dont la plus récente a eu lieu le 14 décembre 2016 (op cit)

III. L’apport de la loi Travail

La loi Travail, adopté le 16 août 2016, a tenté de sécuriser les conventions de forfait jours en intégrant un certain nombre de dispositions jurisprudentielles dans le Code du travail.

La loi dispose que le forfait jours est annuel (article L3121-54 du Code du travail)
La mise en place d’une convention de forfait annuel en jours nécessite une convention établie par écrit et est subordonnée à un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, de branche.
La conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche (article L3121-63 du Code du travail)

Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés pouvant conclure une convention individuelle de forfait ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forait est établi (article L321-64 du Code du travail).

La période de référence du forfait peut être l’année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs (article L3121-64 du Code du travail).

Il fixe également les caractéristiques principales de ces conventions (article L3121-64 du Code du travail).

L’accord doit notamment déterminer les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié (article L3121-64 du Code du travail).
Il doit aussi déterminer les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise (article L3121-64 d Code du travail).

A défaut de stipulations conventionnelles sur les catégories de salariés concernés ou la période de référence retenue, la convention de forfait en jours peut être valablement conclue à condition que l’employeur établisse un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées (article L3121-65 du Code du travail).

Ce document, qui est établi sous la responsabilité de l’employeur, peut néanmoins être renseigné par le salarié (article L3121-65 du Code du travail).

L’employeur doit aussi s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires (article L3121-65 du Code du travail).

L’employeur doit organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération (article L3121-65 du Code du travail).

La conclusion d’une convention individuelle de forfait requiert l’accord du salarié. La convention est établie par écrit (article L3121-65 du Code du travail).

En fait, il s’agit ni plus ni moins, que de la codification par la loi travail, de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, en introduisant néanmoins une notion nouvelle, qui est le droit à la déconnexion.

L’article L3121-65 du Code du travail dispose en effet, que, à défaut de stipulations conventionnelles relatives au droit à la déconnexion, les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés.
Cette dernière disposition entre en vigueur au 1er janvier 2017 et sa mise en œuvre risque d’alimenter la jurisprudence, dès lors que le droit à la déconnexion doit se mettre en place dans le cadre de la négociation collective annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail (article L.2242-8,7° du Code du travail).
A défaut, il appartiendra à l’employeur de mettre en place une charte de la déconnexion.

Cathy Neubauer _ Avocate