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La protection fonctionnelle des agents du service public. Par Cathy Neubauer, Avocat.
Parution : mercredi 11 janvier 2017
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La protection fonctionnelle est une notion mal connue, y compris dans la fonction publique.
Or cet outil, qui découle du statut des fonctionnaires, est un excellent outil qui permet à l’État de fonctionner tout en protégeant ses agents.

I. Une notion mal connue

1. La base actuelle du dispositif

La protection fonctionnelle est une notion souvent mal connue du grand public, mais également d’un certain nombre de fonctionnaires.

Mise en place par la loi n 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui prévoit dans son article 11 que :
« Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales.
Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.
La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
La collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.
La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d’une action directe qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires. »

Cet article, qui est ici dans sa version actuelle, a fait l’objet d’un certain nombre de modifications au fil du temps pour intégrer la jurisprudence développée avec le temps par le Conseil d’État.

2. Qui pourtant protège les agents depuis le début de la 5ème République

Néanmoins la protection fonctionnelle existait bien avant ce texte.

Elle avait ses prémices dans l’article 12 de l’ordonnance du 4 décembre 1959 relative au statut général des fonctionnaires qui disposait lui que Les fonctionnaires ont droit conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales à une protection contre les menaces, outrages, injures, diffamations dont ils peuvent être l’objet.

L’État ou la collectivité publique est tenu de protéger les fonctionnaires contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l’objet à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
L’État ou la collectivité publique, tenus dans les conditions de l’alinéa précédent, est subrogé aux droits de la victime, pour obtenir la restitution des sommes versées à son agent. Il dispose en outre, aux mêmes fins d’une action directe qu’il peut exercer au besoin par voie de constitution civile devant la juridiction pénale.

Le Conseil d’État avait d’ailleurs, au visa de cette ordonnance, très rapidement posé le principe selon lequel l’État devait une protection à ses agent dans le cadre de leurs fonctions et ceci de façon impérative.
En l’espèce le Garde des Sceaux avait refusé d’accorder la protection prévue par l’article 12 de l’ordonnance du 4 décembre 1959 relative au statut général des fonctionnaires, dans le cadre d’un ouvrage paru et contenant de allégations que le requérant estimait diffamatoires, dans le cadre de ses fonctions antérieures, étant précisé que ledit fonctionnaire avait déposé plainte à l’encontre tant de l’éditeur que de l’auteur de l’ouvrage et avait obtenu la condamnation définitives de ces derniers durant l’instance relative à la constatation du refus de la décision du garde des sceaux.

Dans cette décision, le Conseil d’État après avoir fermement rappelé que le fait que le fonctionnaire ait obtenu gain de cause devant la justice judiciaire contre ses adversaires était sans emport sur la décision par lui rendue, indique clairement que « l’État ou la collectivité publique intéressé est tenu de protéger les fonctionnaires contre les menaces, attaques de quelques nature que ce soit dont il peuvent être l’objet, à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et de séparer , le cas échéant, le préjudice qui en est résulté que ces dispositions législatives établissent à la charge de l’état ou de la collectivité publique intéressée et au profit des fonctionnaires lorsqu’ils ont été victimes d’attaques relatives au comportement qu’ils ont eu dans l’exercice de leurs fonctions, une obligation de protection laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge que pour des motifs d’intérêt général »
(Conseil d’Etat 15 février 1975, Paul TEITGEN, N°87730)

Si le principe de la protection fonctionnelle contemporaine a été posé par la loi n° 83-634 du 13 juillet, ses contours actuels ont été précisés et complétés par la loi du 20 avril 2016 sur la déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires, texte qui a entériné une jurisprudence constante et bien assise de la justice administrative.

II. Un dispositif susceptible de protéger l’ensemble des agents

1. Une protection ouverte aux agents de l’État

Depuis la loi du 16 décembre 1996, la protection fonctionnelle n’est plus réservée qu’aux fonctionnaires, elle s’étend également aux agents non titulaires de l’état, agents stagiaires y compris.
Il en va de même pour les divers agents de la fonction publique hospitalière, les magistrats mais aussi les militaires, qui tiennent cette protection de leur statut.

En fait a vocation à bénéficier de cette protection, le fonctionnaire, titulaire ou non, voire stagiaire.

De même, l’agent public à la retraite qui ferait l’objet de poursuites pénales « à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle » peut en bénéficier (Article 11, alinéa 4 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires).
Enfin, la circulaire du 5 mai 2008 précise que la collectivité publique doit assurer, le cas échéant, la protection des agents placés en disponibilité, détachés ou mis à la disposition d’un organisme privé, lorsque la demande résulte de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions au sein d’un organisme public ou que leur responsabilité a été mise en cause lorsqu’ils agissaient en qualité de fonctionnaires.

Néanmoins, il convient de souligner que les agents de droit privé, même s’ils œuvrent pour l’état ou les collectivités publiques ne sont pas éligibles à la protection fonctionnelle.

2. Étendue dans certains cas aux membres de la famille ou aux ayants droits

En principe, les ayants droit de l’agent ne bénéficient pas de la protection fonctionnelle.
Le législateur a toutefois prévu un certain nombre de cas dans lesquels la protection fonctionnelle est étendue aux membres de la famille de l’agent.

En premier lieu, l’article 112 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure prévoit que :
« - La protection dont bénéficient les membres du corps préfectoral et du cadre national des préfectures et les agents des douanes en vertu de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires couvre les préjudices qu’ils subissent à l’occasion ou du fait de leurs fonctions.
Elle est étendue aux conjoints, enfants et ascendants directs des personnes mentionnées à l’alinéa précédent lorsque, du fait des fonctions de ces dernières, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages.
Elle peut être accordée, sur leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des membres du corps préfectoral et du cadre national des préfectures, des agents des douanes décédés dans l’exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l’origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu’exerçait l’agent décédé.
. - Lorsque les conjoints, enfants et ascendants directs des magistrats de l’ordre judiciaire sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages du fait des fonctions de ces derniers, la protection prévue à l’article 11 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature leur est étendue. Elle peut également être accordée, à leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des magistrats de l’ordre judiciaire décédés dans l’exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l’origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu’exerçait le magistrat décédé. »

Ensuite, le décret n°81-328 du 3 avril 1981 accorde une protection particulière aux enfants mineurs des magistrats et fonctionnaires civils « décédés des suites d’une blessure reçue ou disparus dans l’accomplissement d’une mission ayant comporté des risques particuliers ou ayant donné lieu à un acte d’agression » ou « dans l’incapacité de gagner leur vie par le travail en raison des blessures reçues dans l’accomplissement d’une mission ayant comporté des risques particuliers ou ayant donné lieu à un acte d’agression », notamment sous forme de prestations financières.

Dans ces cadres très précis, la protection fonctionnelle est accordée à des membres de l’entourage de l’agent de l’état, à condition toutefois que les attaques soient dues à la qualité de fonctionnaire de leur parent et se rattachent à des faits relevant du service publique.

3. L’État ne peut s’y soustraire que pour des motifs d’intérêt général

La protection fonctionnelle, de par la jurisprudence, est en principe acquise dès que les conditions de sa mise en œuvre sont remplies.

Aussi suffit-il à l’agent de formaliser une demande de protection fonctionnelle auprès de son administration pour que cette dernière soit amenée à la lui accorder, sauf pour l’administration à la lui refuser pour des motifs d’intérêt général (Conseil d’Etat 15 février 1975 Op cit).

Néanmoins, cette protection est à mettre en œuvre, même si le fonctionnaire victime d’attaques a le droit de bénéficier de la protection de l’administration, alors même que son comportement n’a pas été totalement irréprochable (Conseil d’État, 28 octobre 1970, Delande, n 78190).
Il convient également de relever que le refus, par l’État de mettre en œuvre la protection fonctionnelle, engage la responsabilité de l’État au cas où ce refus devait être annulé ultérieurement par la juridiction administrative et à ce titre, l’État peut se voir condamner à dédommager l’agent.

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que dans des articles publiés dans un quotidien d’information politique générale daté du 26 juillet 1989 ainsi que dans deux hebdomadaires parus respectivement les 2 août et 3 août 1989, M. Lucien X... a été mis en cause dans des termes portant atteinte à son honneur à propos des conditions dans lesquelles il avait exercé les fonctions de préfet des Hautes-Alpes ; que, saisi par l’intéressé d’une demande tendant à ce que lui soit accordée la protection prévue par la loi, le ministre de l’intérieur lui a, par lettre en date du 1er décembre 1989, opposé un refus en invoquant la circonstance que certaines informations publiées seraient "étrangères" à l’exercice de ses fonctions préfectorales et que "s’agissant d’une situation qui remonte maintenant à près de trois ans" et d’un poste qu’il n’occupe plus, il n’estimait pas utile de mettre en œuvre l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les véhémentes prises à partie dont M. X... a été l’objet se rattachaient à son comportement dans l’exercice de ses fonctions et constituaient des attaques relevant de l’article 11 de la loi précitée ; que l’ancienneté des faits relatés dans ces attaques ne dispensait pas l’État de son devoir de protection par tout moyen approprié ; que le refus de protection, qui ne repose sur aucun motif d’intérêt général, est entaché d’excès de pouvoir ; que l’illégalité ainsi commise est de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu’il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi de ce chef par le requérant en lui allouant une indemnité de 15 000 F y compris tous intérêts échus à la date de la présente décision »

(CE, 17 mai 1995, Kalfon, N 141635).

Il résulte de tout cela que la protection fonctionnelle, bien que mal connue des fonctionnaires et sans doute trop rarement utilisée, est un outil permettant à l’État de fonctionner en permettant à ses agents de mener à bien leur mission de service public tout en étant protégé dans leur mission.

Cathy Neubauer _ Avocate