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Chute d’une cavalière et obligation de sécurité du centre équestre. Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.
Parution : jeudi 5 janvier 2017
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À quelques jours d’intervalle deux cours d’appel viennent de rendre une solution différente dans un litige similaire s’agissant de cavalières victimes d’une chute de cheval qui ont chacune recherché la responsabilité du Centre Equestre. La fréquence des arrêts rendus sur ce thème du préjudice corporel subi lors des promenades à cheval justifie d’examiner de nouveau l’obligation de sécurité du Centre Equestre.

La promenade à cheval n’obéit pas toujours au même régime juridique. Lorsqu’il s’agit de cavalier totalement inexpérimenté (comme c’était le cas en l’espèce), c’est parfois dans le cadre d’un séjour touristique que cette promenade s’effectue. Le cavalier infortuné est dans ce cas protégé par l’article L211–16 du Code du tourisme qui prévoit une responsabilité de plein droit du tour opérator ou de l’agence de voyage, au bénéfice de la victime. En cas de dommage seule la faute de la victime ou le fait d’un tiers présentant les caractéristiques de la force majeure permettent au prestataire de s’exonérer.

La situation est moins confortable pour le cavalier novice lorsqu’il ne se trouve plus dans le cadre du Code du tourisme puisqu’en application de l’article 1147 du Code civil devenu 1217 du Code civil depuis le 1er octobre 2016, le centre équestre n’est tenu que d’une obligation de sécurité de moyens tenant compte du rôle actif du participant.
La Cour de cassation a cependant rappelé dans un arrêt du 27 mars 1985 (Cass. Civ. 1ère 27 mars 1985 Bull. Civ. I n°111) que l’entrepreneur de promenade équestre s’adresse à des clients qui peuvent tout ignorer de l’équitation et rechercher seulement le divertissement d’un parcours à dos de cheval sur un itinéraire imposé par les préposés qui les accompagnent contrairement à d’autres cavaliers plus expérimentés qui louent des chevaux pour réaliser une promenade en dehors de tout encadrement.

Dans les deux arrêts commentés les circonstances de fait présentaient de nombreuses similitudes. Les deux décisions rappellent un premier principe : l’organisateur d’une promenade à cheval n’est tenu quant à la sécurité des participants que d’une obligation de moyens. Aucune des deux cours d’appel n’admet le principe d’une obligation de moyens dite renforcée même en présence de cavaliers totalement débutants (Cf. En sens inverse TGI de Millau 19 novembre 2008 n° de RG 07/00293). La cour d’appel de Poitiers relève seulement que le centre équestre doit tout mettre en œuvre pour empêcher qu’un accident ne se produise. Il n’y a donc pas de renversement de la charge de la preuve au détriment du centre équestre, conséquence de l’inexpérience du cavalier.

On rappelle que la preuve de la faute du centre équestre est facilitée en présence d’une absence de diplôme des moniteurs ou d’un défaut dans l’équipement (Cf notamment Cour d’appel de Nancy 8 septembre 2003 RG 00/02744 ; Cour d’appel de Provence 29 avril 2008 RG n°07/02576). Aucun de ses de reproches ne pouvait être formulé en l’espèce, les moniteurs étaient en nombre suffisant et l’équipement des cavaliers n’était pas en cause. De même le choix des montures échappait à la critique, s’agissant de chevaux adaptés aux cavalières inexpérimentées.
Les deux cours d’appel admettent également que l’allure du trot ne nécessite pas une expérience de l’équitation et ne retiennent pas la responsabilité du centre équestre du seul fait que le trot leur ait été proposé.

Analysons précisément ce qui justifiera que la cour d’appel de Poitiers décide d’infirmer le jugement et condamne le centre équestre à l’égard de la victime, contrairement à la cour d’appel de Bastia qui jugera que le centre équestre n’a pas commis de faute à l’égard de la cavalière victime. Dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Poitiers au vu des faits non contestés, à l’arrivée des cavaliers sur la plage les moniteurs ont constaté la présence indue de deltaplanes et leur ont demandé de ne pas voler de leur côté. Or c’est bien ces deltaplanes malgré l’interdiction de voler dont ils étaient l’objet, qui en arrivant par derrière les chevaux ont effrayé ces derniers provoquant la chute de la cavalière.
Les juges ont retenu qu’il ne pouvait s’agir d’un événement imprévisible comme le prétend le centre équestre puisque les moniteurs les ont vus et leur ont même demandé de ne pas voler de leur côté. Précaution judicieuse mais insuffisante pour la cour d’appel, d’autant que le professionnel n’ignore pas que les chevaux sont facilement effrayés tandis que le deltaplane par hypothèse à une trajectoire difficilement maîtrisable. En ayant poursuivi la ballade alors que le centre équestre était conscient du danger le centre équestre a commis une faute qui engage sa responsabilité à l’égard de la victime.

Cette décision s’inscrit parfaitement dans la ligne de la jurisprudence et notamment l’arrêt rendu par la cour d’appel de Dijon le 16 février 1993 (JurisData : 1993-043111) qui a condamné un centre équestre à l’égard d’une cavalière d’un niveau peu élevé à qui on avait confié une jument découvrant un parcours en extérieur pour la première fois d’autant que la promenade s’était terminée à proximité d’un terrain de motocross. La responsabilité dans le choix du parcours impose non seulement qu’il soit accessible aux cavaliers, mais vise également l’environnement extérieur, le cheval était par nature émotif et craintif.

Rien de tout cela dans les faits soumis à la cour d’appel de Bastia la cavalière ayant chuté à la fin de la promenade lorsque les trois amies parties en promenade ont souhaité trotter sans que la cavalière débutante ne s’y soit opposée. Cette dernière précision présente un intérêt : la cour d’appel de Pau le 24 novembre 2009 (RG n° 08/00362) a retenu la responsabilité d’un centre équestre qui avait fait prendre le galop à ses cavaliers dans les derniers 500 mètres de la promenade alors que l’une des cavalières novices avait manifesté sa crainte de cette allure. Aussi, si le centre équestre doit se montrer attentif à l’équipement fourni, au choix du parcours et du tracé, il doit également s’interroger sur l’exercice proposé au cavalier et vérifier l’adéquation avec les compétences et les envies de ce dernier. Rappelons que la cour d’appel de Caen le 22 septembre 2015 (RG n° 14/03267, Cf. notre commentaire Juridequi n°80 déc. 2015) a condamné un centre équestre à l’égard d’une cavalière d’âge mur qui a chuté lors de sa première leçon alors qu’elle était tenue en longe par la monitrice, mais à qui la monitrice a imposé de lâcher les rênes et les étriers, provoquant son déséquilibre et sa chute.

L’examen de ces décisions confirment la vigilance imposée aux centres équestres qui doivent prendre conscience que la chute de cheval peut avoir des graves conséquences corporelles pour le cavalier, étant rappelé que depuis un arrêté du 25 avril 2012, l’équitation est classée parmi les sports à risques dans le Code du sport et le Code de l’action sociale et des familles.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin