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Osmanoglu et Kocabas c. Suisse : pas de dispense de cours obligatoire de natation mixte pour les élèves musulmanes. Par Andreea Popescu, ancien juriste à la CEDH.
Parution : mercredi 11 janvier 2017
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La Cour européenne des droits de l’homme a statué que l’absence de dispense de cours obligatoire mixte de natation pour les élèves musulmanes n’enfreint pas le droit de leurs parents à la manifestation de leur religion. Elle a jugé que « l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes » (§ 97). La Troisième Section a noté également que les autorités ont offert des aménagements significatifs aux requérants en permettant à leurs filles de porter le burkini, et en leur assurant de se dévêtir et se doucher hors de la présence des garçons (§101).

Le 10 janvier 2017, la Cour européenne des droit de l’homme a rendu public son constat unanime de non-violation du droit à la liberté religieuse des requérants dans l’affaire Osmanoglu et Kocabas c. Suisse] (n° 29086/12). Cette affaire concerne l’obligation pour les filles pré-pubères des requérants de suivre des cours de natation mixte à l’école primaire.

La question qui s’était posée à la Cour était de savoir si l’intégration sociale des enfants, leur intérêt est tellement important pour permettre à l’Etat d’intervenir dans le choix des parents de dispenser leurs enfants des cours de natation mixte à l’école publique.

Ainsi, la Cour a jugé que « l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes  » (§ 97). Elle a noté aussi que les autorités ont offert des aménagements significatifs aux requérants en permettant à leurs filles de porter le burkini, et en leur assurant de se dévêtir et se doucher hors de la présence des garçons (§101).

Cet arrêt doit être reçu dans le contexte des diverses revendications de certains parents musulmans en Europe et de la nécessité de l’intégration sociale, notamment des enfants, dans la société d’adoption : « la mesure litigieuse avait pour but l’intégration des enfants étrangers de différentes cultures et religions, ainsi que le bon déroulement de l’enseignement, le respect de la scolarité obligatoire et l’égalité entre les sexes. La mesure visait tout particulièrement à protéger les élèves étrangers contre tout phénomène d’exclusion sociale. La Cour est prête à accepter que ces éléments puissent être rattachés à la protection des droits et libertés d’autrui ou à la protection de l’ordre au sens de l’article 9 § 2 de la Convention  » (§ 64 ; voir aussi §§ 59 et 60).

Les requérants sont deux ressortissants suisses, possédant également la nationalité turque. Ils refusèrent d’envoyer leurs filles à des cours de natation mixte obligatoires dans le cadre de l’école primaire, au motif que leur croyance leur interdisait. Ils furent avertis par le département de l’instruction publique du canton de Bâle-Ville qu’ils encouraient une amende maximale de 1.000 francs suisses (CHF) chacun si leurs filles ne respectaient pas cette obligation, ces dernières n’ayant pas atteint l’âge de la puberté pour pouvoir bénéficier de la dispense prévue par la législation. En dépit des tentatives de médiation de la part de l’école, les filles des requérants continuèrent à s’absenter des cours de natation. En conséquence, en juillet 2010, les autorités scolaires infligèrent aux parents une amende de 350 CHF par parent et par enfant pour manquement à leurs responsabilités parentales. Les intéressés contestèrent cette sanction, mais en mars 2012 le Tribunal fédéral rejeta en dernière instance leur action. Il estima que leur droit à la liberté de conscience et de croyance n’avait pas été violé.
Mécontents, ils ont introduit une requête à la Cour européenne, alléguant que l’obligation d’envoyer leurs filles aux cours de natation mixtes était contraire à leurs convictions religieuses (article 9 de la Convention).

Bien qu’il s’agit d’un grief relatif au droit à l’éducation garantit par l’article 2 du Protocole n° 1 à la Convention, ce dernier étant la lex specialis par rapport à l’article 9 de la Convention invoqué par les requérants, la Cour a analysé l’affaire sous l’angle du droit des requérants de manifester leur religion (§ 94). La Suisse n’a pas ratifié le Protocole n°1 à la Convention. Ainsi, l’examen du fond de l’affaire était possible.

Ensuite, la Cour a rappelé que les États jouissent d’une marge d’appréciation considérable s’agissant des questions relatives aux rapports entre l’État et les religions, d’autant plus lorsque ces questions se posent dans le domaine de l’éducation et de l’instruction publique. Elle a affirmé que les Etats restent libres d’aménager les programmes scolaires selon leurs besoins et traditions, tant qu’ils transmettent des informations et connaissances de manière objective, critique et pluraliste, en s’abstenant de poursuivre tout but d’endoctrinement. Ils ne peuvent pas être obligés d’organiser les cours d’une certaine manière, demandée par certains parents (§ 95).

Par la suite, la Troisième Section a indiqué le rôle de l’école dans l’intégration sociale « selon les mœurs et coutumes locales  », notamment des enfants d’origine étrangère (§ 96) et l’importance des cours obligatoires pour le développement des enfants. Ainsi, tout octroi de dispenses doit être exceptionnelle, accordée dans des conditions bien définies et respectant l’égalité de traitement de tous les groupes religieux (§ 96). C’est d’une certaine manière la reconnaissance de la légitimité de la Suisse de préserver son identité, comme l’argumentait le gouvernement suisse : « l’on peut et l’on doit attendre de personnes de nationalité étrangère qu’elles acceptent de vivre avec la population suisse et qu’elles se soumettent à l’ordre juridique en vigueur. (…) Leurs convictions religieuses ne peuvent pas exempter les personnes en question de leurs devoirs civiques. (…) Cela n’implique pas un renoncement à la liberté religieuse, dans la mesure où l’exigence en question ne toucherait généralement pas au noyau dur de ce droit fondamental et où il s’agirait de simples différends nés d’un conflit entre certaines normes de comportement – découlant de conceptions culturelles et/ou religieuses – et les règles applicables en Suisse » (§ 71).

La Cour a également souligné que l’enseignement du sport vise non seulement le développement et la santé de l’enfant, mais aussi l’apprentissage et la pratique en commun d’une activité (§§ 98-100).

Jugeant l’attitude des autorités, la Cour a observé qu’elles ne se sont pas comportées de manière intolérante « à l’égard des élèves adeptes d’autres religions, non croyants ou tenants de convictions philosophiques qui ne se rattachent pas à une religion » (§ 102).
S’agissant de la sanction infligée aux requérants (les amendes d’un montant total de 1.400 CHF), la Cour a observé qu’elle était « proportionnée à l’objectif poursuivi, à savoir s’assurer que les parents envoient leurs enfants aux cours obligatoires, dans l’intérêt des enfants, celui d’une socialisation et d’une intégration réussies des enfants » (§ 103).

Enfin, la Troisième Section a constaté que les requérants ont bénéficié d’une procédure effective et accessible en vue de protéger les droits garantis par leur droit de manifester leur religion, leur permettant de faire examiner le bien-fondé de leur demande de dispense (§ 104), concluant ainsi à une non violation du droit des requérants de manifester leur religion.

Andreea Popescu, ancien juriste à la CEDH