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Périmètre et particularités de la gestion juridique des entreprises.
Parution : vendredi 20 janvier 2017
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Le Droit et la Gestion sont-ils des chasses gardées ? Certainement pas.
Cela signifie-t-il l’absence de barrières ? Pas pour autant.
La vérité se trouve dans l’existence de passerelles …

Droit et Gestion : la route vers l’abolition des frontières

Que recouvre le Droit ? Le droit des obligations, celui du travail, de la propriété intellectuelle, le droit fiscal, le respect de normes et – au-delà - de valeurs, la protection des données personnelles, …

Que recouvre la Gestion des entreprises ? La GRH, la gestion financière, la comptabilité, le marketing, le commercial, les conditions de travail et notamment le stress, le référencement internet, les réseaux sociaux et le réseautage, la politique immobilière, l’évaluation des risques, …

Avant, on parlait d’Economie d’entreprise, des Directeurs du personnel, du Service informatique, des Juristes qui appliquaient leur discipline aux entreprises, rédigeaient les contrats et représentaient, pour une grande majorité de gens, ceux qui mettaient des bâtons dans les roues à la liberté de négociation - même si d’autres les percevaient heureusement de façon plus positive comme des recours en cas de problème.

Aujourd’hui, on parle de Management, des Directeurs des ressources humaines, depuis une trentaine d’années des Directions des systèmes d’information, et depuis une quinzaine d’années des Directeurs juridiques en qualité de partenaires des dirigeants, perçus assez régulièrement comme des résolveurs de problèmes, mais aussi des facilitateurs d’affaires et des formateurs, acteurs à part entière de la gestion des entreprises. La plupart des observateurs les voient à l’avenir définisseurs de stratégies ou - tout au moins - proactifs en ce qui concerne les litiges potentiels. Plus largement, n’oublions pas que les juristes d’entreprise sont parvenus au deuxième rang des professions du Droit.

Sur quoi est attendu un Directeur juridique ?

On pourrait presque dire … qu’il doit trouver une solution à tout !

Les mutations évoquées ci-dessus font que la tendance actuelle est plus que jamais au rapprochement entre Droit et Management, comme en témoigne par exemple la migration de l’Association des Professeurs de Droit des Grandes Ecoles vers l’Association Française Droit et Management. Les juristes s’approprient donc les grandes problématiques d’aujourd’hui :

• La compliance, dans un tiers des entreprises organisées à cet effet, avec d’abord la lutte anti-corruption – présente dans 90 % des cas, suivie de la prévention des fraudes – dans 85 % des cas, puis les conflits d’intérêts et les pratiques anti-concurrentielles - dans 75 % des cas (Cartographie 2016 du Cercle MONTESQUIEU – Association des directeurs juridiques – et de l’Association française des juristes d’entreprise)
• Le management des contrats, pour 70 % des directions juridiques
• La fonction de Correspondant informatique et libertés (le futur Délégué à la protection des données) dans un quart des entreprises concernées – et, au-delà, la mise en œuvre du règlement européen, dans plus de la moitié des entreprises concernées
• La veille technologique quant aux innovations de rupture, à laquelle les juristes participent dans la moitié des cas

Mais, plus précisément, que met-on derrière cette nouvelle expression de « Management juridique » ? … Et, avant tout, derrière celle de Management : parle-t-on de stratégie ou d’opérationnel ?

Le Management juridique

S’agit-il de manager le Droit, i.e. le pratiquer, élaborer des stratégies, assurer la gestion des risques, en faire un générateur d’avantages concurrentiels, … ?

Ou s’agit-il – ce qui serait plutôt complémentaire - de manager la Direction juridique, i.e. définir son slogan, construire sa structuration, élaborer son budget, gérer sa communication, gérer le temps, bref faire du management et non du droit.

Quoi qu’il en soit, ces deux facettes ne sont bien sûr pas dans une ignorance réciproque, ne serait-ce qu’au regard du nécessaire management des connaissances et des processus préconisés notamment par NONAKA et TAKEUCHI. Et ceci facilite la diffusion de l’esprit juridique au sein des gestionnaires.

Pourquoi s’interroger sur la fonction juridique ?

Encore trop peu d’entreprises créent des directions juridiques, même si l’on en rencontre plus que par le passé.

Et, quand elles existent, quasiment la moitié des directeurs juridiques consacrent presque autant de temps à des responsabilités managériales qu’à leur discipline. Certains s’y consacrent même en majorité.

La fonction juridique doit aider l’entreprise à s’organiser, tant en interne qu’en externe. Elle doit par ailleurs anticiper d’une part les obstacles, afin de mieux les surmonter – et idéalement les éviter -, d’autre part les opportunités, afin de les saisir avant la concurrence.

Elle doit également contribuer à la chaîne de valeur de l’entreprise – bien que Michael PORTER ne l’envisageait pas, être aujourd’hui – à l’instar de l’évolution de la logistique – créatrice de valeur ajoutée et non plus seulement un « mal nécessaire » - même si l’absence de prise du juriste sur l’arsenal législatif et réglementaire ne permet pas toujours à celui-ci de prouver aussi complètement qu’il le voudrait cette valeur ajoutée dont il est porteur.

Enfin, grâce à sa transversalité, elle crée du lien et fédère les hommes.

Quelle est la réalité ?

Chacune de ces finalités est aujourd’hui relativement bien vérifiée dans les entreprises et reçoit la place qui lui est due, avec un léger bémol peut-être en ce qui concerne la création d’un avantage concurrentiel.

Management de la fonction juridique

Cette fonction doit bien sûr être gérée, avec ce que cela implique d’aspects financiers, de recrutements – dans un esprit d’ouverture à des horizons différents - de motivation des collaborateurs, d’adaptation aux postes, de formation continue.

C’est d’abord la définition d’une stratégie et l’élaboration de sa mise en œuvre, grâce à des outils comme, par exemple, la fameuse matrice FFOM (FFOM pour forces, faiblesses, opportunités, menaces ou SWOT pour les amateurs d’anglicismes), empruntée aux marketeurs. Il s’agira ici d’essayer de rendre les juristes incontournables, notamment par la valorisation de leurs – évidentes - soft skills, i.e. les compétences relationnelles tant recherchées aujourd’hui, en complément bien sûr de la technicité, les hard skills, toujours indispensables ! Il reste par ailleurs entendu que cette stratégie ne pourra découler que d’une étude rigoureuse des attentes exprimées par les utilisateurs potentiels – et/ou celles pressenties.

C’est ensuite la mise en place d’une organisation, après avoir délimité le champ d’intervention. Il faudra par exemple arbitrer, pour chaque mission, entre externalisation et internalisation. Il n’est par ailleurs pas possible d’accumuler trop de retards : la maîtrise des temps de travail alloués à chaque tâche sera donc un objectif important à atteindre.

C’est également de la communication, par exemple par le biais d’un intranet, de lettres d’information numériques ou papiers, mais aussi de modules de formation. La faible culture juridique de nombreux collaborateurs et partenaires contraint à prendre en compte cette donnée en redoublant d’efforts en termes de formation - tant initiale que continue - et, plus largement, en faisant preuve de pédagogie.
Enfin, chaque service doit être considéré comme un véritable client et la Direction juridique comme une business unit, i.e. un centre de profit, conformément à l’esprit du management contemporain. Concernant la souhaitable compression des coûts, nous pouvons relever que les directeurs juridiques préconisent – pour 40 % d’entre-eux – le recours aux contrats précaires ou au travail temporaire, le développement du système informatique – pour 35 % (qui améliore par ailleurs la productivité et permet un recentrage sur le cœur-métier), voire des formations par vidéos – pour 30 %. Dans l’hypothèse d’une augmentation de budget, celle-ci serait consacrée prioritairement au recrutement d’un collaborateur supplémentaire et, s’il restait encore des fonds disponibles, à une réévaluation des rémunérations (Cf supra).

Principaux particularismes de ce management

La fonction juridique est transversale, ce qui oblige à délimiter comme nous l’avons dit son champ d’intervention, aussi bien au sein de l’entreprise qu’à l’extérieur de celle-ci, et nécessite de posséder de réelles aptitudes à l’écoute et à la gestion de projets.

Elle est aussi largement autonome et indissociable de connaissances qu’il faudra gérer. Parallèlement, la pratique de la veille s’avère bien sûr indispensable et il faut également intégrer de fort nombreux particularismes régionaux dès que l’on mène une activité au-delà de nos frontières, ce qui est le cas pour 75 % des Directions juridiques. Il faut noter à cet égard que 25 % des Directions juridiques françaises ont un quart de leurs collaborateurs diplômés à l’étranger (Cf supra).

Il convient par ailleurs de mettre en œuvre un véritable marketing des services. La qualité réelle n’est, reconnaissons-le, pas toujours au niveau requis, ce qui justifie de s’engager résolument dans une démarche-qualité, associant efficience des hommes et optimisation du système d’information.

Enfin, elle requiert d’indéniables capacités de négociation.

Impact de ces spécificités sur les compétences

Il concerne les connaissances de toutes les composantes du management, mais également le savoir-faire, que ce soit en matière d’élaboration d’un système d’information, de veille évidemment, de synthèse de données, de négociation quasi-commerciale ou de gestion du temps … tout un programme !

On peut ajouter le troisième élément de rigueur, le savoir-être, avec l’écoute active, la communication interpersonnelle – tant verbale que non-verbale – le management d’équipes en interne et, plus largement, l’acquisition d’un leadership.

La formation devra intégrer les vidéos et, au-delà, le e-learning. Elle doit aussi, bien sûr, faire appel aux travaux pratiques, en envisageant notamment des travaux de groupes, et en exigeant aussi souvent que possible une présentation orale à un jury ad hoc. Sans oublier, évidemment, les stages et la constitution de réseaux relationnels …

Ce qui nous attend demain …

Les juristes seront pleinement valorisés, reconnus comme un élément de la chaîne de valeur de l’entreprise et non plus – comme encore trop souvent – considérés comme un mal nécessaire. Ceci justifiera – plus que jamais – la mise en place de véritables plans de carrière à leur profit.

Comment y parvenir ?

En développant tout d’abord un véritable esprit juridique chez un maximum de professionnels, qu’ils relèvent du secteur tertiaire ou secondaire. Nous nous y efforçons certes depuis déjà plusieurs décennies, mais ce travail quotidien doit être encore et toujours amplifié et expliqué.

En faisant comprendre à nos étudiants en droit qu’ils ne doivent pas devenir – comme ils le pensent encore trop souvent – des « machines à réciter les Codes », mais bel et bien des stratèges. Nous pouvons d’ailleurs rester confiants à cet égard, sachant qu’en quatre ans le nombre de collaborateurs de directions juridiques titulaires du CAPA a augmenté de 25 % …

Egalement en les initiant à une véritable pluridisciplinarité, afin de leur faire réellement appréhender ce que sont les logiques entrepreneuriale et managériale et y intégrer par exemple la gestion des risques juridiques.

Jean-François BOURGEOIS Professeur d'enseignement supérieur Référencé par l'Annuaire de l'industrie immobilière Membre actif des Professeurs de Droit des Grandes Ecoles (Association Française Droit et Management)
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