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L’attractivité du droit français des contrats : rêve ou réalité ? Par Gilles de Sorbay, Directeur juridique.
Parution : vendredi 20 janvier 2017
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1804 : regroupant près de 2.300 articles, le « Code civil des français » restera dans l’histoire comme l’acte d’unification du droit (et de la nation ?), mais « a néanmoins subi l’épreuve du temps, de nombreuses modifications, une œuvre législative foisonnante, ainsi qu’une certaine émancipation par rapport à ses conceptions d’origine. » [1]
1818 : Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène : « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles, Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil et les procès-verbaux au Conseil d’Etat. »
2016 : l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, est dans cette lignée et ses initiateurs ont affiché un volontarisme visant à plaire à ceux qui se détournent du droit français (et les ramener à la raison).

Attirer les investisseurs...

Le rapport au Président de la République :
« … dans une économie mondialisée où les droits eux-mêmes sont mis en concurrence, l’absence d’évolution du droit des contrats et des obligations pénalisait la France sur la scène internationale. …/…
Mais en dehors même de cette dimension politique, l’enjeu au niveau international d’une telle réforme du droit français est économique : les rapports « Doing business » publiés par la Banque mondiale
 [2], mettant régulièrement en valeur les systèmes juridiques de Common law, ont notamment contribué à développer l’image d’un droit français complexe, imprévisible [3], et peu attractif. Dans ce contexte, se doter d’un droit écrit des contrats plus lisible et prévisible, en s’attachant à adopter une rédaction dans un style simple ainsi qu’une présentation plus claire et didactique, constitue un facteur susceptible d’attirer les investisseurs étrangers et les opérateurs souhaitant rattacher leur contrat au droit français. …/… ».

On ne compte plus les commentaires sur cette réforme dont Madame Taubira a mesuré l’importance, à l’aune d’une tendance de fond de parvenir à une harmonisation plus large du droit des contrats en Europe : « Il faut rendre le droit des contrats plus lisible, plus intelligible, parce que c’est une condition pour lui conférer la sécurité juridique. Ensuite, le rendre plus protecteur. Et c’est probablement sur ce sujet-là que nous aurons des discussions avec le monde économique. Ce droit doit aussi être attractif. ».

Est-ce que les mesures adoptées produiront l’effet espéré ? Je ne le crois pas. En tout cas pas de sitôt.

Il est vrai que certaines dispositions sont nouvelles et intéressantes. Mais l’attractivité de notre droit se heurte à un renforcement du pouvoir du juge sur le contrat dont l’article 1103 du Code rappelle invariablement qu’il reste la loi des parties.

Et je pense par exemple à l’imprévision, dont l’application laisse perplexe [4].

Le principe est simple, en théorie : il deviendra possible (au juge), après certaines étapes préalables infructueuses, de réviser le contrat en cas de bouleversement des conditions ayant présidé à sa conclusion et rendant son exécution excessivement onéreuse.

L’article 1195 (nouveau) [5] dispose :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque [6], celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.
 »

L’intervention du juge judiciaire (ici comme sur d’autres sujets) apparaît comme une négation du rôle des négociateurs et leurs conseils comme du consensualisme contractuel rappelé plus haut par l’article 1103 du Code. Cette révision possible par le juge dépasse très largement le pouvoir qui lui est traditionnellement déjà conféré dans l’exercice délicat de l’interprétation des contrats : « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. » (Art. 1188 C.C).

On sait que la révision judiciaire intervient parfois dans le contrat, sous le contrôle de la Cour de cassation, au-delà de la « simple » interprétation et dans des situations qui ne relèvent pas exclusivement du Code civil. Mais les cas sont limités (clause pénale par exemple).

L’Ordonnance de 2016 lui octroie un pouvoir et une responsabilité supplémentaires qui ne sont pas les bienvenus [7].

Qu’en pensent les arbitres et les institutions d’arbitrage ?

Dans le contexte international, les négociateurs ne choisissent d’ailleurs généralement pas spontanément le droit français et ce ne sont pas les aménagements apportés par l’Ordonnance qui devraient modifier cette approche.

Certes, nous aurions tort de critiquer notre droit et d’autres s’en chargent [8] - les autres régimes juridiques n’étant pas exempts de critiques réelles [9] - mais le réalisme montre la force des habitudes et le poids des cultures ; sujet très bien décrit par exemple dans l’article « French and american perspectives on international law : legal cultures and international law » du Professeur Emmanuelle Jouannet [10].

Les investisseurs ne seront pas spontanément séduits.

Et il n’y a pas de disposition nouvelle flagrante qui amènerait un négociateur, un investisseur, à préférer d’emblée le droit français à un autre perçu ou vécu comme plus favorable à ses intérêts. Même si notre droit des contrats est assez utilisé en matière d’arbitrage international, les améliorations apportées, qui existent bel et bien, ne paraissent pas suffisantes pour changer l’ordre des choses, être un vecteur au soutien d’une relance économique ou solidifiant l’influence de la France sur la scène internationale [11]. Dans les domaines financier et bancaire, les investisseurs sont rodés aux mécanismes qui consolident leurs intérêts et auront plutôt tendance à adopter un droit qui va dans ce sens et/ou auquel ils se réfèrent dans leurs opérations récurrentes. Et au-delà des seuls investisseurs visés par les initiateurs de la réforme, on trouve aussi ceux qui interviennent dans la sphère commerciale « classique », sans investissement, c’est-à-dire sans mise de fonds ou implantation durable.

L’objectif pourrait être atteint, au moins en partie par d’autres leviers : le droit social et le droit fiscal. Peut-être que la prochaine réforme du droit de la responsabilité civile y contribuera [12]. Comme le secret des affaires dont la protection, pourtant validée en commission des lois avec l’avis favorable du Ministre [13], a été retirée du projet de loi Macron, hélas … La confidentialité des avis juridiques internes aux entreprises serait une réelle avancée.

On lira à cet égard avec beaucoup d’intérêt :
1°) l’étude publiée en mars 2015 sous l’égide de la CCI : « Droit des affaires : enjeux d’attractivité internationale et de souveraineté » et qui, partant d’un constat bien documenté, énumère de nombreuses pistes intéressantes qui dépassent le strict cadre du droit des contrats [14].

2°) le rapport d’information sénatorial de MM. Delebarre et Frassa, fait au nom de la commission des lois n°395 (2014-2015) - 8 avril 2015 et qui, après l’audition de nombreux praticiens du droit, fait les propositions (+/- génériques) suivantes :

Poursuivre le processus de simplification du droit en garantissant la sécurité juridique :
- Conduire les nouvelles mesures de simplification du droit des entreprises sans porter atteinte à la sécurité juridique, en veillant davantage à la stabilité du droit.
- Associer de façon permanente les acteurs économiques dans l’élaboration de textes législatifs qui les concernent.

Mieux protéger les entreprises françaises :
- Mettre en place à brève échéance un régime efficace de protection du secret des affaires.
- Assurer la confidentialité des avis juridiques internes, en optant pour un privilège de confidentialité ou un nouveau statut d’avocat en entreprise.

Et, de toute façon choisir le droit français des contrats pour lui-même est d’un intérêt limité puisque l’important est l’efficacité et la stabilité de la relation contractuelle, par essence inégalitaire, qui peut parfaitement avoir lieu avec un contrat soumis à un droit « étranger » pour autant, aussi, qu’il soit correctement rédigé, alors même que le droit est une chose, le système judiciaire en est une autre.

Déjà certains commentateurs s’interrogent sur cet interventionnisme du juge [15] dans le contrat.
A juste titre :
- En quoi est-il qualifié pour déterminer comment la relation doit se poursuivre, notamment face à un contrat technique ?
- La justice va-t-elle devenir encore plus technique (recours à l’expertise) ?
- Comment un juge étranger userait de ce pouvoir (le contrat faisant référence au droit français mais aux tribunaux étrangers en cas de litige) ?
- Imagine-t-on (t-il) une relation apaisée une fois qu’il aura dicté sa décision ?
- Quelle idéologie a poussé le législateur français dans cette direction ? 

Réforme, vous avez dit réforme ?

Cette ingérence sera vraisemblablement une situation extrême car les parties savent faire preuve d’adaptation et prévoiront un dispositif qui rendra caduc cette possibilité « via une clause d’acceptation du risque d’imprévision » comme le souligne Denis Mazeaud dans son article « Réforme, vous avez dit réforme ? » [16].

Mais c’est un signal négatif envoyé, à contre-courant de celui qui sous-tend l’Ordonnance.

Et il faut avouer que nos partenaires financiers et commerciaux, et en particulier ceux des pays de common law comme les Etats-Unis, sauront nous rappeler en quoi ce risque d’ingérence supplémentaire (sans compter les délais !) produira l’effet inverse de celui recherché par les initiateurs de cette fracassante réforme.

On aura beau communiquer sur certaines autres réformes positives et notamment celle de la CCI qui organise un nouveau processus d’arbitrage accéléré pour des litiges de « faible » ampleur, à compter du 1er mars 2017 [17], il est à craindre que les vœux de la Chancellerie sur l’attractivité du droit français des contrats ne soient pas pleinement exaucés par cette seule Ordonnance du 10 février 2016.

Gilles de Sorbay, Directeur juridique.

[2Le rapport « Doing Business » 2016, classe la France en 27ème position (seulement) pour la réglementation des affaires et ses règles sociales et fiscales prennent leur part dans ce mauvais classement, très loin derrière les droits américain et anglais.

[3Voir les propos de Mme Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques du MEDEF, dans le rapport du Sénat de 2015, page 59, in note n°13.

[4Intéressante étude comparative franco-germano-anglaise en 2015 in Introducing imprévision into french contract law - Lessons to be learned from german codification in 2002 par Tobias Lutzi MPhil, Candidate University of Oxford (lire ici)

[5Tirant son inspiration des principes Unidroit . On lira aussi avec intérêt l’article du 30 08 2016 de Me Thierry Clerc "La clause de hardship (imprévision) dans les contrats commerciaux internationaux" et dans lequel il fait des comparaisons avec d’autres systèmes juridiques (Italie, Angleterre, Pologne, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Mexique, Etats-Unis, Japon) : à lire ici

[6Il « suffira » de prévoir un dispositif d’acceptation de ce risque. L’article 1195 C.C, qui n’est pas d’ordre public, perdra de son intérêt.

[7D’autres situations d’interventionnisme judiciaire sont prévues par cette Ordonnance : articles 1104, 1142, 1143, 1164, 1165, 1171, 1221, 1305-1 C.C ; ce qui est un paradoxe quand on sait que le Rapport au Président explique aussi que « l’ordonnance offre également aux contractants de nouvelles prérogatives leur permettant de prévenir le contentieux ou de le résoudre sans nécessairement recourir au juge ... ».

[9Le professeur B. Dondéro a fort bien décrit ce dénigrement, injustifié mais réel, dans "Quand nos amis anglais descendent en flammes le droit français".

[10« Even though Americans question pragmatism as a school of thought, on the importance that it has in the United States, and on its relationship with realism, it remains that the American conception of international law is perceived—and perceived by the majority of Americans—as more pragmatic and realistic than the French conception because the American conception is much more concerned with judging the validity of international norms and institutions by their effectiveness in practice in a concrete environment. As opposed to the pragmatic and realist American conception, whether it be liberal, leftist, or conservative, the French conception may be defined as legalistic, systematic, and formal, and focused on respect for existing rules as established according to the formal procedures prescribed by the system…. » (lire ici)

[11Voir les propos de M. Tanguy Marziou, directeur des affaires publiques, chambre de commerce américaine en France, dans le rapport du Sénat (pages 63 et s) in note n°12 supra.

[12Voir : parmi les dernières réactions, celles du 28/10/16 de Me Benoît Javaux et Christian Pierret.

[13(in fine) : « Cet ensemble de dispositions nous paraît indispensable pour assurer la sécurité, la créativité et la prospérité de nos entreprises innovantes »(lire ici).
« Secret des affaires : le sujet qui fâche la France et l’Europe », 29 avril 2016 (lire ici).

[14http://cci-paris-idf.fr/sites/default/files/etudes/pdf/documents/droit-des-affaires-etude-1506.pdf. Voir le Baromètre AmCham-Bain 2016 - plus positif que les précédents - sur le moral des investisseurs américains en France / Le rapport complet du Sénat (on y appréciera les interventions de l’AFJE, entre autre).

[15Voir aussi Adeline Villain. L’immixtion du juge dans les contrats. Droit. 2013 (lire ici).

[16La Semaine Juridique, Edition Générale - N° 9-10 - 29 février 2016 (lire ici).

[17Lien vers le document.

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