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Le refus de renouvellement du bail commercial et l’indemnité d’éviction. Par David Semhoun, Avocat.
Parution : lundi 23 janvier 2017
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« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail » aux termes de l’article L. 145-14 du Code de commerce. Toutefois, il sera tenu à l’égard du preneur du paiement d’une indemnité d’éviction (I) ; il ne pourra se dégager de cette obligation qu’en invoquant certaines raisons (II).

I. Le refus de renouvellement avec indemnité d’éviction

En principe, lorsque le bailleur refuse au locataire le renouvellement de son bail, il est tenu de lui verser une indemnité d’éviction. Cette indemnité, précise l’article L. 145-14, alinéa 1er, doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

A. Les conditions

Afin de prétendre à une indemnité d’éviction, le locataire doit répondre :
- Au droit au renouvellement visé à l’article L. 145-1 du Code de commerce, c’est-à-dire l’existence d’un immeuble ou d’un local et une immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.
- Aux dispositions de l’article L. 145-8 du Code de commerce, c’est-à-dire l’exploitation d’un fonds de commerce dont il est propriétaire.
- À la condition que le refus de renouvellement ne soit pas motivé par une démolition ou une surélévation de l’immeuble comprenant les locaux ou par une infraction au bail commise par le locataire.

Étant précisé que le bailleur qui a refusé le renouvellement du bail en proposant une indemnité d’éviction bénéficie du droit de repentir, lequel lui permet de changer d’avis et d’ainsi offrir le renouvellement.

B. L’évaluation de l’indemnité d’éviction

Sur ce point, l’alinéa 1er de l’article L. 145-14 nous dit qu’elle est « égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ».

Le second alinéa précise que l’indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

La valeur du fonds est notamment déterminée en fonction du droit au bail, de son emplacement, des perspectives de développement. De même, d’autres indemnités comme les troubles commerciaux ou les frais de déménagement peuvent être attribuées.

Le bailleur pourra toujours invoquer le fait que le préjudice est moindre que la valeur marchande du bien, à charge pour lui d’en apporter la preuve. En cas de désaccord, les juges seront libres d’apprécier le montant de l’indemnité. La Cour de cassation retenant que le montant de l’indemnité d’éviction doit être apprécié au jour le plus proche de la réalisation du préjudice et à la date de l’éviction du locataire (Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1965).

C. Le règlement de l’indemnité et le départ du locataire

Lorsqu’il est condamné à payer au locataire une indemnité d’éviction, le bailleur sera tenu de s’exécuter dans le mois suivant la décision de justice.

L’article L. 145-28 du Code de commerce disposant à ce titre qu’aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Par dérogation, le locataire devra quitter les locaux dès le versement d’une indemnité provisionnelle fixée par le président du tribunal de grande instance.

Aussi, en cas d’éviction, les lieux devront être remis au bailleur à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la date du versement de l’indemnité d’éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l’indemnité à un séquestre (article L. 145-29 du Code de commerce).

En cas de non-remise des clés à la date fixée et après mise en demeure, le séquestre retient 1 % par jour de retard sur le montant de l’indemnité et restitue cette retenue au bailleur sur sa seule quittance.

Le bailleur sera en outre fondé à demander au locataire maintenu dans les lieux une indemnité d’occupation.

II. Le refus de renouvellement sans indemnité d’éviction

L’article L. 145-17, I du Code de commerce dispose que le bailleur peut refuser au locataire le renouvellement du bail sans lui verser d’indemnité d’éviction 

  1. s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre de son locataire,
  2. s’il est établi que l’immeuble loué est insalubre ou dangereux ou
  3. s’il souhaite en raison de l’insalubrité le rénover.
    Plusieurs cas peuvent conduire le bailleur à refuser le renouvellement au locataire tout en ne lui versant aucune indemnité d’éviction.

A. Les causes

Les motifs graves et légitimes invoqués par le bailleur doivent être indiqués dans le congé pour que le locataire puisse en prendre connaissance et, le cas échéant, les contester. Les manquements invoqués ne doivent pas avoir entraîné un préjudice pour le bailleur.

Il va sans dire que la faute doit être imputable au locataire sortant ou d’une personne représentant le locataire ou dont ce dernier répond.

1. Le motif grave et légitime

Le défaut de paiement des loyers et des charges peut constituer un motif grave et légitime entraînant le non-renouvellement sans indemnité. Il s’agit de fait de l’obligation essentielle du locataire sans laquelle le bail n’aurait pas été conclu.

De même, un ou plusieurs retards, à condition qu’ils aient été reprochés à l’attention du locataire par des mises en demeure restées infructueuses plus d’un mois après leur envoi, constituent un motif de refus de renouvellement. Chaque manquement au paiement des loyers devra avoir été suivi d’une mise en demeure. En l’absence d’une ou de plusieurs mises en demeure, le motif grave et légitime ne saura être retenu.

L’article L. 145-17 vise « la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds ». Dans pareil cas, et pour contester ce motif, le locataire devra prouver une raison réelle et légitime qui justifie qu’il n’y ait pas eu d’exploitation effective pendant au moins les 3 dernières années (conformément à l’article L. 145-8 du Code de commerce).

Enfin, diverses infractions peuvent entraîner un refus du renouvellement justifiant l’absence de versement d’indemnité d’éviction.

De façon générale, il s’agit de l’inexécution de clauses du bail qui sera laissée à l’appréciation des juges du fond.

Le panel d’infractions est large et peut concerner, entre autres, une sous-location ou un changement d’activité non-autorisés, la réalisation de travaux non-approuvés par le bailleur, des violences ou attitudes injurieuses à l’égard de la personne du bailleur, le défaut d’entretien…

2. L’état insalubre ou dangereux de l’immeuble loué

La faculté est donnée au bailleur de refuser le renouvellement sans verser quelque indemnité d’éviction que ce soit « s’il est établi que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d’insalubrité reconnue par l’autorité administrative ou s’il est établi qu’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état » (article L. 145-17, I-2° du Code de commerce).

3. La reprise pour reconstruire et offrir un local en remplacement

Dans le cas où le propriétaire des murs souhaiterait faire reconstruire l’immeuble existant, il peut refuser le renouvellement au locataire mais devra lui verser une indemnité d’éviction ou lui offrir un local de remplacement.

Enfin, « en cas de reconstruction par le propriétaire ou son ayant droit d’un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, le locataire a droit de priorité pour louer dans l’immeuble reconstruit », aux termes de l’article L. 145-17, II du Code de commerce.

B. La mise en œuvre

1. L’envoi d’une mise en demeure demandant la cessation de l’infraction

Avant toute chose, le bailleur doit demander au locataire, par le biais d’une mise en demeure, de cesser l’infraction ou de pallier le manquement dans un délai d’un mois.

Cette mise en demeure doit être envoyée par voie d’huissier, et quand bien même l’obligation visée aurait fait l’objet d’une décision de justice donnant raison au bailleur. De la même façon, une telle mise en demeure s’impose lorsqu’il est demandé au locataire de reprendre l’exploitation de son fonds de commerce.

La mise en demeure indiquera le motif invoqué et établira de façon nette les manquements reprochés au locataire ; elle doit viser les mentions de l’article L. 145-17, I-1° du Code de commerce et en reprendre les termes.

Il est préférable qu’elle soit préalable au congé mentionnant le refus de renouvellement mais elle peut être délivrée le même jour.

Le manquement entraînera la nullité de la mise en demeure. Le congé ne sera pas nul mais le locataire ne perdra pas son droit à l’indemnité d’éviction.

2. La délivrance d’un congé

Parallèlement à la mise en demeure, un congé devra être délivré par acte d’huissier par le bailleur. Ce congé devra indiquer les torts reprochés au locataire. Par ailleurs, si certains manquements du locataire, jusqu’alors inconnus du bailleur, parvenaient à sa connaissance, ce dernier pourrait s’en prévaloir pour appuyer ses prétentions.

David Semhoun Nahmias - Semhoun Avocats A.A.R.P.I. www.nsavocatsparis.fr www.legavox.fr/blog/david-semhoun/