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L’état du droit en France quant aux conflits de juridiction et de lois relatifs aux régimes matrimoniaux. Par Noémie Houchet-Tran, Avocat, et Claire Roussel, Elève-avocat.
Parution : mercredi 1er février 2017
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Tout couple marié, qu’il soit franco-français ou mixte, résident ou non-résident, est soumis à un régime matrimonial.
Certains vont anticiper les difficultés et faire un choix de régime dans un contrat de mariage. D’autres seront soumis à un régime légal applicable par défaut, qui est bien différent d’un pays à l’autre !

Reste à savoir lequel et si celui-ci est immuable ! Si le régime français actuel par défaut est la communauté réduite aux acquêts, le régime marocain par défaut est la séparation de biens tandis que le régime britannique adopte une équitable distribution.

Quelles sont les tendances actuelles en France ?

- Sur l’institution du mariage

Globalement, depuis les années 2000, le nombre de mariages célébrés en France est en recul.

Sur la totalité des Français vivant en couple, 90% étaient mariés en 1992, contre 75% en 2010. Cette évolution est d’autant plus notable chez les couples « récents », formés il y a moins de 12 ans : 72% d’entre eux étaient mariés en 1992, contre 44% 18 ans plus tard. Lorsque l’on considère les couples formés il y a 6 ans ou moins, ces chiffres baissent à 55% en 1992 et 30% en 2010.

Les facteurs explicatifs de la baisse du nombre de mariages célébrés sont nombreux : désacralisation de l’institution, décadence du rôle de la famille, instabilité toujours plus grande des relations amoureuses, rencontres plus tardives, rallongement de la durée d’étude, précarité des conditions de vie, développement du Pacs…

Et de la baisse du nombre de mariage s’infère nécessairement une augmentation du régime de séparation de bien, propre au concubinage. Les biens ne sont en effet soumis dans ce cas à aucun régime, tel que le régime légal de communauté.

- Sur les régimes matrimoniaux

Le contrat de mariage initial, induisant le choix du régime matrimonial, représente actuellement moins de 10% du total des mariages célébrés en France.

Il est également possible de changer de régime matrimonial au cours du mariage.

Pour les personnes de plus de 60 ans, retraitées ou inactives, et mariées avant le 1er février 1966, on peut noter un réel basculement vers la communauté universelle afin de faciliter la transmission du patrimoine lors du décès d’un des époux, que les couples aient d’abord opté pour la communauté réduite aux acquêts (75,2%) ou aient été soumis au régime légal, qui était alors celui de la communauté de meubles et d’acquêts (97%).

À l’opposé, pour les couples plus jeunes, notamment mariés après 1992, le choix d’un régime séparatiste est très fréquemment exprimé.

En 2002, ils étaient par exemple 2 183 à basculer vers une séparation de biens.

Représentant 6,1% du total des personnes mariées en 1992, la part des couples en séparation de biens était de 10% en 2010, soit une hausse conséquente de 64%.

Mais bien entendu il est possible d’opter pour un régime étranger, pourvu que celui-ci ait un lien suffisant avec le couple ?

Quelles sont les problématiques spécifiques rencontrées par un couple lorsqu’il existe une situation d’extranéité ?

Pour rappel et pour rendre accessible notre article à des non-juristes, le droit international privé aura vocation à s’appliquer :
- Aux couples mixtes, c’est-à-dire avec deux nationalités différentes ;
- Aux couples d’étrangers vivant en France ;
- Aux couples de Français vivant à l’étranger ;
- Aux couples ayant des biens dans plusieurs pays.

Tous ces couples devront s’interroger sur la question de la juridiction compétente (quel juge peut entendre l’affaire ?) et sur la question de la loi applicable (une fois la compétence du juge tranchée, quelle loi va-t-il appliquer) ?

- Sur la juridiction compétente

Il est notable que plusieurs juridictions différentes pourront être compétentes pour statuer et il faudra donc faire un choix stratégique en amont.

A l’heure d’écritures du présent article, pour liquider le régime matrimonial de ces couples, autrement dit pour partager les biens acquis pendant le mariage, c’est généralement le juge du divorce qui va également trancher cette question. Il faudra donc tout bêtement se référer aux règles de compétences juridictionnelles applicables pour le divorce dans tous les pays potentiellement compétents. On se s’étendra pas sur ce sujet, objet d’articles distincts.

On pourra toutefois noter que la jurisprudence a parfois affirmé que la France aurait une compétence exclusive pour liquider les biens immobiliers situés en France, quand bien même le juge étranger aurait valablement connu du divorce. La décision de ce juge étranger ne serait donc reconnue que partiellement et il faudrait alors traiter séparément de la liquidation.

Ceci pourrait recevoir une explication logique puisque l’article 44 du Code de procédure civile dispose que les juridictions du lieu de situation de l’immeuble ont compétence exclusive pour statuer sur les actions réelles immobilières mais la qualification d’action réelle immobilière à la liquidation du régime matrimonial pourrait paraître bien limitée.

Dans tous les cas, si la liquidation a été tranchée à l’étranger et que des biens immobiliers sont situés en France, aucune exécution forcée de cette décision étrangère ne pourra s’opérer sans procédure d’exequatur.

Lorsque la question de la liquidation se présente seule devant un juge français, le problème de la détermination du juge compétent n’est pas évident car la Cour de cassation ne semble pas avoir tranché clairement.

En l’absence de règlement européen ou de convention internationale la doctrine dominante tend donc à appliquer la règle contenue à l’article 1070 du Code de procédure civile. Le juge français pourra donc se déclarer compétent si :
- la famille vit en France,
- à défaut de vie commune, si l’époux avec lequel résident à titre principal les enfants vit en France ;
- ou à défaut de résidence commune et d’enfants, si le défendeur vit en France.

Le juge français pourra également se reconnaître compétent si l’un des époux résident en France et que la demande est conjointe.

Les privilèges de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil pourraient également recevoir application pour conférer compétence au juge français dès lors qu’un Français est impliqué.

Toutes ces règles seront bientôt modifiées avec l’entrée en vigueur le 29 janvier 2019 du Règlement communautaire du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux.

Au terme de ce règlement, la juridiction d’un État membre saisie pour statuer sur une demande en divorce sera compétente pour statuer sur les questions de liquidation du régime matrimonial, reprenant ainsi la règle de compétence généralement et jusqu’alors appliquée.

Par contre, pour trancher des problèmes de liquidation de régime matrimonial stricto sensu, seront désormais compétentes les juridictions de l’État membre :
a) sur le territoire duquel les époux ont leur résidence habituelle au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
b) sur le territoire duquel est située la dernière résidence habituelle des époux, dans la mesure où l’un d’eux y réside encore au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
c) sur le territoire duquel le défendeur a sa résidence habituelle au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
d) dont les deux époux ont la nationalité au moment de la saisine de la juridiction.

Aussi, si la règle posée à l’article 1070 du Code de procédure civile n’aura plus vocation à s’appliquer, il sera toujours possible de faire jouer les privilèges de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil en présence de ressortissant français.

- Sur la loi applicable

Là encore, nous nous interrogerons uniquement sur la position du juge français, une fois sa compétence établie. La question de la loi applicable pourra se poser dans des termes différents dans les autres pays.

Il conviendra de « trier » les couples selon leur date de mariage.

Pour les couples mariés avant le 1er septembre 1992, la liquidation du régime était gouvernée soit par la loi du régime choisi par le couple, soit à défaut de choix par la loi de l’État où il avait établi leur premier domicile après le mariage. Les notions de « choix » et de « premier domicile » posent souvent difficultés.

Pour les couples mariés à partir du 1er septembre 1992 mais avant le 29 janvier 2019, les couples pourront faire un choix pour l’une des lois suivantes :
- La loi d’un État dont l’un des époux a la nationalité au moment de la désignation ;
- La loi de l’État sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle au moment de la désignation ;
- La loi du premier État sur le territoire duquel l’un des époux établira une nouvelle résidence habituelle après le mariage.

Une fois le choix de loi fait, il faudra choisir le régime car la loi d’élection pourra offrir parfois plusieurs options. Le droit français offre ainsi :
- La communauté réduite aux acquêts : tout ce qui est acquis au cours du mariage, même avec des deniers personnels, est commun.
- La communauté universelle : tous les biens que possèdent les époux au jour de leur mariage, ceux qu’ils pourront acquérir ensuite ou recueillir par succession, donation ou legs , forment une masse commune ;
- La séparation de biens : rien n’est commun ;
- La participation aux acquêts : mélange entre séparation et communauté, ce régime fonctionne comme une séparation de biens pendant le mariage et devient communautaire à la fin du mariage.

Il est également possible de désigner plusieurs lois applicables. En effet, la loi choisie par les époux s’appliquera à l’ensemble de leurs biens, mais ces derniers pourront toujours désigner, en ce qui concerne les immeubles ou certains d’entre eux, la loi du lieu où ces immeubles sont situés, laquelle peut donc être différente de celle choisie pour le régime.

Lorsqu’un tel choix est opéré, le régime est immuable et ne changera que par volonté expresse des époux et selon une procédure bien définie.

À défaut de choix, la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux stipule que les époux seront soumis à la loi de leur première résidence commune après le mariage.

Ici encore, la notion de résidence commune est sujet à contentieux. Elle doit avoir un caractère stable.

A défaut, il conviendra de se référer à la nationalité commune des époux, et en cas de nationalité différente, à la loi interne de l’État avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, ils présentent les liens les plus étroits.

Le piège le plus vicieux de cette convention tient à la mutabilité automatique du régime matrimonial. Effectivement, si les époux n’ont pas désigné la loi applicable ou fait de contrat de mariage, la loi interne de l’État où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, à la place de celle à laquelle leur régime était antérieurement soumis :
- au bout de 10 ans,
- ou immédiatement si cet État est également celui de leur nationalité commune.

Cette mutabilité n’est pas rétroactive, de sorte que les biens seront liquidés en appliquant des lois différentes selon leur date d’acquisition.

Heureusement donc, cette mutabilité ne s’applique pas lorsque le couple a fait un choix express de loi.

Pour les couples qui se marieront à partir du 29 janvier 2019, il est à noter qu’ils pourront à l’avenir désigner une loi applicable à leur régime avant le mariage ou lors de sa célébration, et non plus seulement dans le premier cas. Ce choix s’effectuera entre :
- La loi de l’État dans lequel au moins l’un des époux à sa résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention ;
- La loi d’un État dont l’un des époux a la nationalité au moment de la conclusion de la convention.

Ces critères seront donc appréciés au moment où la convention est conclue, et non plus au moment de la célébration du mariage.

Les époux auront par ailleurs toujours la possibilité de changer la loi applicable à leur régime au cours du mariage, au profit soit de la loi de la résidence soit de la nationalité de l’un d’eux au moment de ce nouveau choix. Tout changement de loi applicable intervenant après le 29 janvier 2019 sera soumis au règlement européen, même si les époux se sont maries avant cette date. Mais ce choix ne jouera que pour l’avenir (Il faudra donc éventuellement envisager la liquidation de l’ancien régime matrimonial), sauf convention d’application rétroactive de la loi nouvellement choisie par les époux.

Attention, que les époux aient opté ou non pour une loi, celle-ci s’appliquera à l’ensemble des biens, quel que soit le lieu où ils se trouvent. Ainsi, les époux ne pourront pas choisir la lex rei sitae pour les immeubles, contrairement à ce qu’il est possible de faire actuellement dans le cadre de la convention de La Haye du 14 mars 1978.

Enfin, choix de régime ou pas, le règlement exclut tout changement automatique de loi applicable au régime. Ainsi, la loi originairement applicable le restera tant qu’aucun choix au cours de mariage n’interviendra, peu importe qu’il modifie le territoire de leur résidence commune.

On le voit, le choix d’un régime matrimonial est une problématique juridique changeante, complexe, et surtout très importante. C’est pourquoi il convient de d’être bien conseillé afin de saisir les enjeux patrimoniaux, internationaux, ou encore procéduraux de ce choix.

Sources :
- Étude de l’INSEE sur l’évolution des régimes matrimoniaux de 2014
- INFOSTAT JUSTICE : L’homologation de changement de régime matrimonial en 2002
- COMMISSION EUROPÉENNE, Direction générale Justice et Affaires intérieures : Étude Sur Les Régimes Matrimoniaux Et Le Patrimoine Des Couples Non Maries En Droit International Privé Et En Droit Interne
- RÈGLEMENT (UE) 2016/1103 DU CONSEIL du 24 juin 2016 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux
- AJ FAMILLE 2010 : Comment appréhender les biens situés à l’étranger ?
- Étude famille : Le nouveau règlement européen sur les régime matrimoniaux par Hélène Péroz
- Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux
- Règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux

Noémie HOUCHET-TRAN Avocat au Barreau de Paris nhtavocat.com Spécialiste en Droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine Droit international de la famille