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La Cour de cassation refuse de reconnaître aux inventeurs la qualité de premiers publicateurs des peintures rupestres de la Grotte Chauvet. Par Jean-Baptiste Schroeder, Avocat.
Parution : lundi 6 février 2017
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Dans son arrêt du 30 novembre 2016 , la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les inventeurs de la Grotte Chauvet contre l’arrêt rendu le 6 février 2015 par la 2ème chambre pôle 5 de la cour d’appel de Paris qui avait notamment refusé de leur reconnaître la qualité de premiers publicateurs des peintures rupestres.

Les décisions de jurisprudence rendues à propos du régime juridique des œuvres dites « posthumes » sont rares. Cette rareté ajoutée au caractère particulier des œuvres concernées justifie qu’on s’attarde sur cette décision dont les solutions sont néanmoins classiques.

Contexte

La découverte de la Grotte Chauvet

On se souvient qu’en décembre 1994, Madame Eliette Brunel, Monsieur Jean-Marie Chauvet et Monsieur Christian Hilaire (désignés ci-après par le terme « les inventeurs » : ce terme qui est employé en droit de la propriété industrielle pour qualifier celui qui a réalisé une invention désigne, en droit des biens, celui qui a trouvé un trésor ou un objet perdu) avaient découvert au lieu-dit « La Combe d’Arc » sur la commune de Vallon Pont d’Arc, l’entrée d’une cavité dont la désobstruction permettait d’accéder à une grotte. La grotte qui sera baptisée « Grotte Chauvet » contenait des vestiges archéologiques d’une qualité exceptionnelle notamment des peintures et gravures pariétales datant de plus de 30.000 ans.

Cette découverte avait été suivie de très nombreuses procédures judiciaires : entre l’État et les propriétaires sur le montant de l’indemnisation due à ces dernier en contrepartie de l’expropriation engagée par l’État (cf. Civ 3ème, 18 novembre 2008, pourvoi n°07-17.240 rejetant le pourvoi contre Lyon, 10 mai 2007 qui avait alloué plus de 770 000 € aux propriétaires) ; entre différentes familles prétendant chacune être propriétaire des terrains au-dessous desquels se trouve la grotte (cf. Civ. 3ème, 15 juin 2010, pourvoi n°09-67358) ; enfin, entre l’État et les inventeurs à propos du rôle joué par ces derniers dans la découverte de la Grotte et des conditions dans lesquelles l’État reconnaissait leurs droits (cf. La grotte des rêves brisés, page 135 à 141, Vanity Fair n°7 janvier 2014 cf. Civ. 3ème, 24 septembre 2014, n° pourvoi : 12-21.978).

Le film de Werner Herzog

Courant 2010, le réalisateur Werner Herzog (auteur notamment d’Aguirre ou la colère de Dieu et de Fitzcarraldo) a obtenu du ministère de la Culture et de la Communication, l’autorisation de tourner un film documentaire dans la Grotte Chauvet.

En parallèle aux démarches réalisées auprès du ministère de la Culture et de la Communication, la société productrice du film s’est rapprochée des inventeurs afin de leur proposer d’intervenir dans la réalisation du film au même titre que les membres de l’équipe scientifique, pour expliquer les circonstances de leur découverte. Pour lever leurs réticences, il leur avait été proposé de les rémunérer pour cette prestation et de les associer aux bénéfices tirés de l’exploitation commerciale du film. Les inventeurs n’ont pas cependant donné suite à cette proposition.

Intitulé « Cave of Forgotten Dreams » /« La Grotte des Rêves Perdus », ce film documentaire de 90 minutes, tourné en 3D, est sorti en France le 31 août 2011

La procédure engagée devant les juridictions parisiennes

Les inventeurs avaient donc saisi le tribunal de grande instance de Paris pour voir sanctionnées les atteintes qui auraient, selon eux, été portées à leurs droits et, en particulier aux droits de premiers publicateurs dont ils prétendaient être titulaires.

Les inventeurs soutenaient, en effet, qu’ils auraient vocation à bénéficier du droit sui generis prévu par l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle du fait qu’ils auraient été les premiers publicateurs des peintures et gravures se trouvant dans la Grotte Chauvet, lesquelles constitueraient des œuvres de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle.

Cette prétention audacieuse n’avait pas cependant été accueillie par les juges du fond (jugement de la 3ème chambre 4ème section du tribunal de grande instance de Paris du 30 janvier 2014 et arrêt de la 2ème chambre pôle 5 de la cour d’appel de Paris du 6 février 2015. Cf. Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 117, 1er juillet 2015, commentaire Philippe Mourron ; cf. également Audrey Lebois, Notion de publicateur d’œuvres posthumes, EDPI, 1er mai 2015, p. 2).

C’est dans ces conditions que les inventeurs avaient saisi la Cour de cassation.

Analyse

Dans le cadre de leur pourvoi, les inventeurs soulevaient deux questions touchant d’une part au point de savoir si le monopole prévu par l’article L.123-4 du Code de la propriété intellectuelle était réservé aux propriétaires de l’œuvre concernée ; et, d’autre part, à l’existence ou non d’une divulgation antérieure des œuvres concernées.

Rappel préalable sur le régime des « œuvres posthumes »

Le régime des œuvres posthumes (appellation critiquable dès lors que l’œuvre en question a nécessairement été créée par l’auteur de son vivant ; la directive n° 2006/116/CE parle de façon plus appropriée des « œuvres non publiées auparavant ») est organisé par l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle, lequel prévoit deux hypothèse selon que la publication a eu lieu avant ou après la fin du monopole de l’auteur (i.e. avant ou après une durée de soixante-dix ans courant à compter du 1er janvier de l’année civile suivant le décès de l’auteur).

Dans le premier cas, l’œuvre sera protégée conformément au droit commun, c’est-à-dire que jusqu’à l’expiration du délai de protection des œuvres publiées du vivant de l’auteur.

Dans le second cas, le monopole est attribué à la personne qui effectue la publication pour une durée de vingt-cinq ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la publication.

Détermination du bénéficiaire du monopole

Transposant la directive du 23 octobre 1993, l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle, s’applique quelle que soit la date de création de l’œuvre et confère, en son alinéa 3, « aux propriétaires, par succession ou par d’autres titres, de l’œuvre, qui effectuent ou font effectuer la publication » un monopole d’exploitation de vingt-cinq ans lorsque la divulgation intervient après l’expiration des droits patrimoniaux d’auteur.

La Cour de cassation a eu l’occasion de juger, à propos de poèmes et de lettres inédits de Jules Verne, que seuls les propriétaires du support matériel de l’œuvre posthume sont susceptibles d’être investis du monopole spécial prévu par l’article L.123-4 du Code de la propriété intellectuelle.

La Cour de cassation en avait déduit que les détenteurs de simples copies « établies et remises sans intention de transmettre le droit d’exploitation virtuellement attaché à la propriété des supports matériels originaux » (Civ. 1re, 9 nov. 1993, no 91-16.286 - sur renvoi CA Amiens, 2e et 4e ch. civ. réun. 1er avr. 1996, RIDA 1997 no 173 p. 298) ne pouvaient pas prétendre bénéficier de ce droit.

Nonobstant cette jurisprudence claire, les inventeurs soutenaient que la propriété du support ne constituait pas une condition d’application du régime juridique prévu par l’article L.123-4 du Code de la propriété intellectuelle.

Ils relevaient en particulier que l’article 4 de la directive 93/98 CEE du Conseil relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins porte sur « la protection des œuvres non publiées antérieurement » et se réfère à « toute personne qui, après l’extinction de la protection du droit d’auteur, publie licitement ou communique licitement au public pour la première fois une œuvre non publiée auparavant ».

La cour d’appel de Paris avait cependant rejeté cette prétention considérant « qu’il n’y a pas lieu d’interpréter à la lumière de la directive 93/98 CEE puisque ce texte en est la transposition et que le législateur français avait la faculté de poser, comme il l’a fait, une condition supplémentaire à l’octroi de la protection particulière qu’il accordait à ce bénéficiaire du droit d’exploitation ».

Faute pour les demandeurs d’établir qu’ils étaient propriétaires des œuvres pariétales en cause (devenues propriété de l’État par suite de la procédure d’expropriation qu’il avait engagé), la cour d’appel en avait déduit qu’ils n’avaient pas qualité pour revendiquer le bénéfice du monopole spécial.

On peut relever que, sur ce point, la cour d’appel de Paris avait fait sienne la motivation adoptée par la cour d’appel de Nîmes dans un arrêt rendu le 30 octobre 2001 dans le cadre d’une procédure distincte qui opposaient les mêmes inventeurs cette fois à une agence de communication (Nîmes, 1ère ch. Sect. A, 30 octobre 2001, Sarl Ardèche Images productions / Chauvet et alii., Communication Commerce Electronique, nov. 2002, p 23, note Caron, cf. également RIDA 30 janvier 2003, p. 267, notre Kerever).

Les inventeurs reprenaient donc cet argument devant la Cour de cassation qui l’écarte implicitement, sans accorder aucun sort, ce que l’on peut regretter.

Car la question posée n’était pas dépourvue d’intérêt.

Les inventeurs soutenaient en substance (i) que la Directive 93/98 avait été incorrectement transposée par la loi du 27 mars 1997 ; (ii) qu’étant dotée d’une valeur supra-législative, cette directive devait prévaloir sur le texte de la loi française dès lors que ses dispositions étaient claires, précises et inconditionnelles ; (iii) que le juge interne avait donc la l’obligation d’écarter la disposition nationale non conforme et la remplacer directement par la disposition de la directive.

Certains auteurs (Christophe Alleaume, « Droit des auteurs– Durée de la protection (CPI, art. L. 123-1 à L. 123-12) », Juris-classeur Propriété littéraire, §62) se sont du reste interrogés sur la nécessité de faire prévaloir le texte européen : « En mettant l’accent sur la "publication", la directive n° 93/98/CE, solution reprise par la directive n° 2006/116/CE, aurait institué un prix de la course et récompenserait le premier publicateur. L’article L. 123-4, alinéa 3, serait en contradiction avec la directive (sur cette contrariété, V. Varet, La protection des œuvres posthumes : thèse, Paris-II, 1996, p. 262). Il faudrait en tirer les conséquences en donnant la préférence au texte européen. »

L’existence d’une divulgation antérieure de l’œuvre

Les inventeurs soutenaient par ailleurs qu’ils devaient être considérés comme les premier « publicateurs » de l’œuvre.

Relevant que tant l’article L. 123-4, alinéa 3, du CPI fait que l’article 4 de la Directive 93/98 font référence à la notion de « publication », ils exposaient que cette notion synonyme de divulgation impliquait d’établir l’existence d’un acte positif destiné à porter l’œuvre à la connaissance du public (en avertissant les tiers, en imprimant, en opérant des tirages etc.).

Pour les inventeurs, il n’existait à l’époque (i.e., il y a au moins 21.500 ans, avant que la grotte ne soit obstruée par des dépôts d’écroulement), aucun véritable moyen de publication des œuvres.

Cet argumentaire est balayé par la Cour de cassation qui énonce que « Mais attendu que l’arrêt relève que la grotte, d’une surface de plusieurs centaines de mètres carrés, était un lieu fréquenté lors de l’accomplissement de rites et portait les traces d’activités humaines qui s’y étaient exercées pendant des milliers d’années, comme en attestent les datations au carbone 14, et que les fresques en cause, réalisées à des époques distinctes, sur une période de près de 5 000 ans, étaient accessibles ; que la cour d’appel a pu en déduire que les œuvres avaient été divulguées avant l’obstruction de l’accès à la grotte ; que le moyen, qui s’attaque, en sa première branche, à un motif surabondant, n’est pas fondé pour le surplus ; »

Cette motivation emporte l’approbation.

Comme le rappelle le Professeur Pollaud-Dulian, « le terme "publication" retenu par la directive et par les alinéas 1er, 3 et 4 de l’article L. 123-4 recouvre tous les procédés de diffusion de l’œuvre, par voie de reproduction ou de représentation publique, comme le confirme la lecture de la directive "durée" du 12 décembre 2006 (préc. n° 136). N’est pas publié le manuscrit resté entre les mains de l’auteur ou le tableau demeuré dans son atelier ».

Or, une telle divulgation ne commande pas, contrairement à ce que soutenaient les inventeurs, de rapporter la preuve d’un acte particulier tendant à permettre une diffusion de l’œuvre.

L’article L. 121-2, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle pose le principe que : « l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre  ». C’est la jurisprudence qui a consacré cette prérogative (Civ. 1ère, 14 mars 1900, Whistler : DP 1900, 1, p. 497, rapp. Rau, concl. Desjardins et note Planiol), laquelle permet notamment à l’auteur de revenir sur une cession de droits à laquelle il aurait consenti.

La divulgation n’est pas définie par la loi.

On peut la définir comme l’acte matériel par lequel l’auteur manifeste sa volonté de porter sans réserve son œuvre à la connaissance du public (Olivier Laligant, « La divulgations des œuvres artistiques, littéraires et musicales en droit positif français », LGDJ 1986).

Il s’ensuit, en pratique, que l’artiste réalise la divulgation de son œuvre lorsqu’il l’expose (même si dans l’affaire Whistler précitée, la Cour de cassation avait cependant admis que l’exposition d’une œuvre dans un salon de peinture n’entraînait pas cependant divulgation de celle-ci dès lors que son but était de sonder l’opinion de la critique) ou lorsqu’il la reproduit.

C’est donc très raisonnablement que la Cour de cassation a retenu, au cas particulier, que les œuvres litigieuses avaient nécessairement été divulguées dès lors que le lieu qui était probablement un sanctuaire était fréquenté à l’occasion des rites qui y étaient donnés.

Jean-Baptiste Schroeder Cabinet Schroeder Boisseau Associés www.bs-avocats.com
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