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Obligation pour l’employeur de dénoncer les infractions routières de ses salariés : comment ça marche ? Par Frédéric Chhum, Avocat, et Marilou Ollivier, Elève-Avocat.
Parution : mardi 7 février 2017
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La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle crée un article L.121-6 du Code de la route qui impose à l’employeur, titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule (« carte grise »), de dénoncer le salarié conducteur en cas d’infraction routière : « Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.
Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2017 mais pose déjà de nombreuses questions relatives à ses modalités précises d’application. Le présent article tend donc à apporter quelques éclaircissements sur la portée concrète de cette nouvelle obligation qui incombe à l’employeur.

1) Quelles infractions doit dénoncer l’employeur ?

L’obligation pour l’employeur de dénoncer le salarié conducteur du véhicule ne s’applique qu’aux infractions routières commises à compter du 1er janvier 2017.

Elle ne concerne en outre que les infractions constatées selon les modalités prévues à l’article L.130-9 du Code de la route, c’est-à-dire par des appareils de contrôle automatique homologués (autrement dit, des radars) et visées à l’article R. 121-6 du même Code.

Il s’agit donc des infractions suivantes :

S’ajoutera à cette liste l’infraction de défaut de port d’un casque homologué pour les conducteurs de motocyclettes, tricycles à moteur, quadricycles à moteur ou cyclomoteurs au plus tard le 31 décembre 2018.

2) Quelle procédure de dénonciation ?

Dès lors que la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation reçoit un avis de contravention, son représentant légal dispose de 45 jours pour dénoncer le salarié qui conduisait le véhicule au moment où l’infraction a été commise ou, pour établir l’existence d’un vol, d’une usurpation d’identité ou d’un évènement de force majeure (article L.121-6 alinéa 21er du Code du travail).

Concrètement, l’employeur devra remplir :

Sur ce formulaire, l’employeur devra indiquer l’identité et l’adresse du salarié qui conduisait le véhicule au moment de la commission de l’infraction ainsi que la référence de son permis de conduire (art. L.121-6 et A 121-2 et 3 du Code de la route).

Si l’identification du salarié conducteur ne semble a priori pas poser de problèmes pour les salariés auxquels est attribué un véhicule dédié, la tâche ne sera pas aussi aisée dès lors qu’il s’agira d’un véhicule dont l’usage est réparti entre plusieurs salariés.
Le cas échéant, il est fortement recommandé à l’employeur de mettre en place des processus rigoureux permettant l’identification des conducteurs (type agenda récapitulant l’ensemble des mouvements des véhicules et l’identité des salariés).

A défaut de parvenir à identifier précisément le conducteur dans le délai de 45 jours, on en revient à l’ancien régime : le représentant légal de la société paie l’amende et aucun retrait de points ne peut être prononcé.

Toutefois, il y a fort à parier que la jurisprudence restreindra cette application des anciennes dispositions aux seuls cas dans lesquels l’employeur démontre se trouver dans l’impossibilité matérielle totale d’identifier quel salarié était au volant au moment où l’infraction a été commise.

D’où la nécessité de faire preuve d’une prudence particulière compte tenu des sanctions qu’encourt l’employeur qui viole son obligation de dénonciation.

3) Quelle sanction pour l’employeur qui ne respecterait pas son obligation de dénonciation ?

Le non-respect de cette nouvelle obligation constitue une contravention de 4ème classe (article L.121-6 alinéa 2 du Code du travail).
Par conséquent, l’employeur qui ne dénonce pas son salarié encourt une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.

A ce titre, il est important de préciser que cette amende n’est pas mise à la charge de la société elle-même (personne morale) mais à la charge de son représentant (personne physique).

4) Quelles conséquences concrètes pour le salarié/conducteur concerné ?

Le salarié qui a commis une infraction routière ayant donné lieu à dénonciation se verra non seulement mettre à sa charge le montant de l’amende liée à l’infraction mais se verra aussi retirer des points sur son permis de conduire le cas échéant.

A terme, un retrait de points entrainant la perte du permis de conduire peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsque la détention du permis est essentielle à l’exercice des fonctions du salarié.

Or, c’est précisément pour éviter de telles conséquences que s’était répandue, sous l’empire des anciennes règles, la pratique selon laquelle les entreprises demandaient aux salariés de prendre en charge l’amende en contrepartie du silence gardé sur leur identité.

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 vise à mettre fin à cette pratique dans le but de renforcer la sécurité routière.

Pourtant, certains émettent déjà l’hypothèse que les entreprises adapteront cette pratique antérieure aux nouvelles règles en vigueur en demandant au salarié de prendre en charge tant l’amende résultant de l’infraction routière que celle résultant de la non-dénonciation (Voir Semaine Sociale, 30 janv. 2017 n°1754 page 5).

5) Quels recours du salarié contre cette dénonciation ?

Comme pour toute infraction routière, le salarié conserve la possibilité de contester les contraventions dont il a fait l’objet en prouvant soit qu’il n’était pas au volant au moment des faits soit que la matérialité des faits qui lui sont reprochés n’est pas établie.

Surtout, le salarié qui a fait l’objet d’une dénonciation mensongère de la part de son employeur peut engager la responsabilité pénale tant de la société que de son représentant légal.

Enfin, le salarié peut toujours établir que ce sont ses conditions de travail qui sont en réalité à l’origine de sa violation du Code de la route (notamment lorsque les cadences imposées conduisent le salarié à commettre des excès de vitesses) afin que l’amende soit totalement ou partiellement mise à la charge de son employeur.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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