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Loi Sapin II ou l’histoire d’une reconnaissance timide du lobbying. Par Benoît Chambon et Quentin Hulot, Etudiants en droit.
Parution : lundi 20 février 2017
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La place du lobbying en France s’affirme progressivement dans les relations avec les pouvoirs publics. A ce titre, la loi dite « Sapin 2 » relative à la transparence, à la lutte contre la corruption 
et à la modernisation de la vie économique en date du 9 décembre 2016 vient renforcer le cadre réglementaire de la « représentation d’intérêt » par une consécration législative à demi-teinte.

L’encadrement de ces représentants n’en fait pas pour autant la reconnaissance explicite d’une profession : l’affirmation de la réglementation déjà existante au sein des assemblées, à présent, érigée au niveau national fait œuvre d’une transparence plus poussée.
Or cette transparence se révèle insuffisante, tant de manière organique que matérielle : elle ne s’applique pas de manière égalitaire, et omet de lever le voile sur la nature même d’une pratique indéniable jugée encore trop dangereuse dans la culture légicentriste de l’intérêt général à la française. Ainsi, la loi « Sapin 2 » consolide de manière relative la réglementation en vigueur d’une part, et laisse persister le flou qui existe quant à la définition même de la pratique du lobbying en France.

L’encadrement réglementaire récent du lobbying par le Parlement renforcé par la loi Sapin II : une transparence utile mais déséquilibrée.

En France, depuis 2009, il existe un registre de renseignement pour les représentants d’intérêts à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Cette liste fait figurer les lobbyistes et des informations sur leurs activités. Chaque représentant d’intérêt doit s’y inscrire pour accéder à l’institution. Ipso facto, ses informations sont mises à la disposition du public sur le site internet de l’assemblée concernée. Le registre permet donc de soumettre les pratiques des lobbyistes à la transparence. Ce faisant, on éloigne, à priori, le spectre de l’infraction de trafic d’influence et de corruption prévus respectivement aux articles 433-1 et 433-2 du Code pénal.

Toutefois, le registre de 2009 de l’Assemblée Nationale n’était pas suffisamment efficient. Il demandait aux lobbyistes d’apporter certaines informations au Parlement sur leurs activités de manière générale mais elles n’étaient pas assez nombreuses et précises [1]. On notera que le registre du Sénat n’a pas été réformé depuis l’année de son adoption.

Sous l’influence de l’encadrement normatif bruxellois, le registre de l’Assemblée Nationale a été modifié par une nouvelle règlementation adoptée par son Bureau le 10 février 2013. Ainsi, le représentant d’intérêt qui s’inscrit sur le registre accepte de remplir un formulaire détaillé comportant un nombre plus important d’obligations déclaratives, ce qui contribue à renforcer l’objectif de transparence.

Consécutivement, la loi Sapin II du 10 décembre 2016 reprends le principe du registre prévu à l’Assemblée Nationale en créant un registre des représentants intérêts contrôlé par la Haute autorité pour la transparence de la vie politique [2] (HATV). Le projet de décret de ladite loi inquiète les lobbyistes puisque son article 25 impose de nouvelles obligations déclaratives comme « le champ de ses activités de représentation d’intérêt » ou « les actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées auprès des personnes mentionnées aux 1° à 7° de l’article 18-2, en précisant le montant des dépenses liées à ces actions durant l’année précédente ». Au surplus, projet de décret relatif au répertoire des représentants d’intérêts exige le détail des obligations évoquées sous peine de sanction pénale [3].

Ces dispositions pourraient, par un effet de ricochet, porter atteinte au principe de secret des affaires applicable aux entreprises prévu par la directive du 14 avril 2016 [4]. Même si l’atteinte n’est pas caractérisée, cet article pourrait s’avérer particulièrement dommageable pour les intérêts de la France. En effet, la multiplication des obligations déclaratives demandées pourrait conduire à la divulgation des données économiques d’entreprises françaises. Ainsi, la nouvelle loi pourrait venir ébranler l’activité de celles-ci.

Par ailleurs, on peut s’étonner que les velléités de transparence de la loi Sapin II ne concerne pas les parlementaires. Le Code de conduite applicable aux représentants d’intérêts de l’Assemblée Nationale et du Sénat de 2016, indique que les lobbyistes doivent préciser l’identité de leur employeur aux parlementaires. Mais ceci ne met pas en lumière la participation des lobbyistes dans le processus d’élaboration et de rédaction d’une proposition de loi comme le préconisait le rapport Nadal avec la notion « d’empreinte normative ».

En revanche, les parlementaires n’ont pas à préciser l’identité des lobbyistes avec lesquels ils sont en relation. Pourtant, cela contribuerait certainement à déchirer le voile planant sur l’action des décideurs publics et leurs éventuels conflits d’intérêts. Cette idée n’est pas nouvelle puisque la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique recommandait dans son rapport en date du 26 janvier 2011 : « d’inclure dans les codes et chartes de déontologie des recommandations de bonnes pratiques à l’adresse des responsables publics dans leurs relations avec les représentants d’intérêts ». Ainsi, on peut se réjouir de cette volonté du gouvernement de vouloir imposer des nouvelles obligations à la charge des lobbyistes mais on peut regretter au moins deux difficultés.
D’une part, la loi Sapin II élargit le champ des obligations déclaratives des représentants d’intérêt dans un soucis de transparence mais aux dépends des entreprises françaises. D’autre part, on discerne en filigrane un manque de transparence sur les relations qu’entretiennent les élus avec les représentants d’intérêts, ce qui devient d’autant plus problématique dans un contexte caractérisé par une méfiance du peuple à l’égard de ses élus.

L’encadrement législatif de la « représentation d’intérêts » : une définition équivoque de la pratique du lobbying.

Le rapport dressant un « état des lieux citoyen du lobbying en France » rendu en octobre 2014 par l’ONG Transparency International France formule une critique majeure de cette pratique à l’encontre de l’Hexagone, reprochant notamment le manque de transparence et de consécration législative du cadre déontologique appliqué à cette activité.
La loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 est venue en quelque sorte apporter un contrepoids à ces défauts institutionnels et normatifs, en insérant une nouvelle section relative à « la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics » [5] au sein de la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique. Cependant, l’on est en droit de s’interroger quant à l’effectivité d’un tel palliatif sur la reconnaissance même du lobbying en France : le renforcement de la réglementation applicable et la « transparence à tout prix » sont-ils des outils réels permettant d’assurer la régulation d’un domaine que l’on s’évertue à ignorer dans la culture populaire ?

En ce sens, la loi « Sapin 2 » n’apporte pas la définition matérielle tant attendue qui aurait permis de reconnaître explicitement la pratique du lobbying non plus comme une pratique hors-sol et étrangère à la culture souverainiste de l’intérêt général [6], mais comme une forme communicative faisant la promotion d’intérêts particuliers devant les pouvoirs publics. Elle vient poser une définition « organique » en énumérant de les différents types de représentants d’intérêts – et ceux qui ne le sont pas –, ce qu’elle s’empresse de lister au sein de son article 25 : les « dirigeants, employés ou membres » de « personnes morales de droit privé, d’établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale » ainsi que certains organismes mentionnés au sein des Codes de commerce et de l’artisanat. Par ailleurs, elle vient également lister les différents interlocuteurs publics susceptibles d’être approchés.

L’objet législatif et matériel du lobbying est ignoré [7] : on lui préfère une énumération organique s’inscrivant dans la logique promue de transparence des relations avec le public, sans définir la nature même de la relation. La seule ébauche d’acception matérielle de la représentation d’intérêt s’illustre par l’expression suivante et relatée par le même article : « sont des représentants d’intérêts dont un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication ». Or, là encore, on omet le caractère avant tout « communicatif » de la démarche pour lui substituer le terme premier et parfois péjoratif « d’influence », ce qui ne rassurera pas l’opinion public de la nature de ces relations « in corridor ».

D’autant plus qu’elle réconforte le flou existant avec certaines infractions pénales, notamment la corruption active d’agent public, le « pantouflage » ou encore le trafic d’influence prévu à l’article 433-13 du Code pénal. L’utilisation même du terme d’« influence » poussera à l’assimilation d’une pratique communicative avec une pratique incriminante. N’est-ce pas d’ailleurs là que les deux se différencie ? Ce n’est pas tant l’intention de la pratique, sa finalité, puisqu’elle cherche à convaincre les pouvoirs publics de prendre une décision favorable à un intérêt particulier – que ce dernier soit économique, environnemental ou autre – mais plutôt les moyens utilisés voire la matérialité même de la pratique : dans un cas, l’on cherchera à procurer un avantage ou exercer une pression [8], dans l’autre, l’on tentera de convaincre, de communiquer, de plaider un point de vue.

En cela, l’on règlemente avant de concevoir, on encadre avant d’assimiler. En cela, le renforcement de la transparence révèle le paroxysme de la démocratie [9] qui peut, à tout moment, s’effondrer dans l’autoritaire. L’on cherche à appliquer une réglementation ex ante trop rigide et parfois inadaptée par crainte du risque, a contrario de la pratique bruxelloise d’autorégulation ou encore de celle outre-Atlantique qui réglemente ex post des comportements déjà définis. Jean-Paul Charié ventait le lobbying comme étant un moyen de s’extraire de « l’isolement politique ». La représentation d’intérêts ne mériterait-elle pas ainsi d’être définie de façon matérielle voire intentionnelle, pour passer de la transparence à l’apparition ?

Ainsi, l’on se rapproche progressivement d’une conception utilitariste de l’intérêt général, contraire à l’acception rousseauiste du terme, mais cela ne semble pas suffisant. Le lobbying demeure « celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom », pour croire qu’une chose a priori inaccessible n’existe pas. La loi utilise une périphrase pour désigner un phénomène dont le paradoxe est d’être à la fois de plus en plus décomplexé dans les échanges entre le secteur privé et les autorités publiques, mais d’être tout autant tapi sous le prisme de la protection d’un intérêt idéalisé. La transparence voulue par la loi ne lèvera pas le voile sur l’obscurantisme patent du lobbying, désormais connu sous l’appellation de « représentation d’intérêts » : comment rendre plus transparent quelque chose que l’on ne conçoit pas ?

Benoit Chambon: [->https://www.linkedin.com/in/benoit-chambon-8b0373131] Quentin Hulot: [->https://www.linkedin.com/in/quentin-hulot-b26461115] Etudiants en Master 2 Droit Public des Affaires - Université Toulouse 1 Capitole

[5Titre 2, articles 25 et suivants, insertion d’une section 3bis.

[6Pascale Deumier, « Reconnaissance du lobbying en France », RTD Civ. 2010 p. 62, Revue Dalloz.

[8Définition de l’Appel-citoyen pour l’encadrement et la Transparence des Activités de Lobbying, Guide des bonnes pratiques en matière de lobbying de Thalès.