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L’étendue de la responsabilité des diagnostiqueurs et de la réparation en découlant. Par Aurore Tabordet-Merigoux, Avocat.
Parution : vendredi 3 mars 2017
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Les diagnostiqueurs immobiliers n’échappent pas à la tendance jurisprudentielle actuelle qui met à la charge du professionnel, particulièrement dans le domaine immobilier, des obligations de plus en plus lourdes. L’étendue de la responsabilité des diagnostiqueurs et l’ampleur des dommages ouverts à réparation ne font que croître ces derniers années.

Il n’aura échappé à personne que les diagnostics immobiliers sont de plus en plus nombreux et obligatoires dans des contextes également plus vastes.
Ainsi, ils doivent être communiqués par le vendeur dans le cadre d’une promesse de vente mais également par le bailleur lors de la conclusion d’un bail commercial ou d’un bail d’habitation. Les informations à communiquer dans ce dernier domaine ont notamment été renforcées récemment par la loi ALUR.

Pour ne pas me livrer à un exposé à la Prévert, je vous renvoie à la lecture des articles L.271-4-I du CCH et 3-3 de la loi du 6 juillet 1989, entre autres.

Dans ce contexte, les propriétaires, vendeurs ou bailleurs, font nécessairement appel à des professionnels pour établir ces diagnostics.

En cas d’erreur dans le rapport établi par le diagnostiqueur, le propriétaire peut solliciter l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement contractuel.
Toutefois, le plus souvent, c’est l’acquéreur d’un bien immobilier, découvrant de l’amiante par exemple ou des insectes xylophages, qui va intenter une action pour solliciter la prise en charge de ses préjudices.

Dans cette hypothèse le diagnostiqueur a une responsabilité délictuelle vis-à-vis de l’acquéreur. On rappellera que depuis un arrêt de l’Assemblée plénière du 6 octobre 2006, le tiers à un contrat peut invoquer un manquement contractuel qui lui a causé un préjudice sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

L’acquéreur devra démontrer, d’une part, le manquement contractuel du diagnostiqueur, d’autre part, un préjudice et enfin le lien de causalité unissant ces deux éléments.

La Haute juridiction considère que la responsabilité du diagnostiqueur ne peut pas être recherchée si ce dernier a réalisé sa mission conformément aux dispositions légales et aux règles de l’art.

En 2011, dans un arrêt relatif à la détection de l’amiante (n°10-18882), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a écarté la responsabilité du diagnostiqueur en estimant que «  la société H. avait réalisé son diagnostic avec une mission conforme à l’arrêté du 22 août 2002 qui précise que l’opérateur recherche et constate de visu la présence de matériaux et produits accessibles sans travaux destructifs, et qu’il n’était pas démontré que la présence d’amiante était perceptible par un simple examen visuel ».

Le même raisonnement a été mis en œuvre dans une espèce portant sur un état parasitaire dans un arrêt du 15 novembre 2011 (n°10-26032).

Toutefois, le diagnostiqueur ne saurait dégager sa responsabilité en se retranchant derrière une intervention a minima justifiée par l’arrêté du 22 août 2002. Certes, ce texte prévoit en premier lieu une détection de visu, sans travaux destructifs, en l’absence de doute, mais il fait tout de même état d’un examen exhaustif des locaux. Il est aussi rappelé que le diagnostiqueur étant un professionnel, il doit exécuter sa mission avec un minimum d’attention et d’interrogations.

Ainsi, en 2014, la 3ème chambre civile a reconnu la responsabilité d’un diagnostiqueur qui n’est pas monté dans les combles, alors qu’il y avait une trappe, l’empêchant ainsi de découvrir l’amiante recouvrant le plafond d’une pièce de l’habitation (n°13-14891).

Cette décision permet de mettre en lumière l’évolution de la responsabilité du diagnostiqueur, dans le cas précis de l’amiante.

Comme indiqué précédemment, en 2011, la jurisprudence avait écarté la responsabilité du diagnostiqueur qui n’avait pu percevoir l’amiante par simple examen visuel, en 2014 la Cour précise : « Mais attendu, d’une part, qu’ayant exactement retenu que le contrôle auquel devait procéder le diagnostiqueur n’était pas purement visuel, mais qu’il lui appartenait d’effectuer les vérifications n’impliquant pas de travaux destructifs ».

Pour s’exonérer, le diagnostiqueur ne doit donc plus seulement procéder à un examen visuel mais bien réaliser tous les examens qui sont possibles sans procéder à des destructions du bien.

L’évolution de l’étendue de la responsabilité du diagnostiqueur est corrélative à l’ampleur de la réparation à laquelle celui-ci peut être condamné.

La position des différentes chambres de la Cour de cassation

Une divergence existait entre les différentes chambres de la Cour de cassation quant à la réparation à laquelle pouvait prétendre l’acquéreur d’un bien immobilier.

Les 1ère et 2ème chambres civiles considéraient que l’acquéreur ne pouvait prétendre qu’à une indemnisation de la perte de chance. Ainsi, cette position était justifiée par le fait qu’il n’était pas certain que la connaissance de la présence de termites par exemple aurait fait renoncer l’acquéreur à l’achat du bien immobilier.
En conséquence, l’acquéreur n’obtenait l’indemnisation que d’une partie des travaux nécessaires à la remise en état du bien. Pour ne citer que quelques arrêts : Civ 2ème du 25 février 2010 (n°08-12991) ou Civ 1ère du 9 décembre 2010 (n°09-69490).

A contrario, la 3ème chambre civile de la Haute juridiction reconnaissait l’indemnisation pleine et entière de l’intégralité des préjudices subis par l’acquéreur. Voir à ce titre l’arrêt cité précédemment du 21 mai 2014 (n°13-14891).

La position unifiée par la Chambre Mixte

Le 8 juillet 2015, la Chambre mixte a tranché en faveur de la position de la 3ème chambre civile (n°13-26686) en retenant : «  la cour d’appel a déduit exactement de ces seuls motifs que les préjudices matériels et de jouissance subis par M. et Mme X... du fait de ce diagnostic erroné avaient un caractère certain ».

Cette décision peut paraître sévère au vu des faits de l’espèce : l’acquéreur avait en possession un rapport alarmant quant au risque d’infestation mais celui-ci ne mentionnait pas la présence effective de termites.

La Cour de cassation a considéré que les acquéreurs n’étaient pas réellement informés et, qu’en conséquence, tous leurs préjudices devaient être indemnisés, y compris celui de jouissance.

Cette position est confirmée par une décision récente de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 8 décembre 2016 (n°15-20497) a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers et a condamné le diagnostiqueur à l’indemnisation du préjudice de jouissance de l’acquéreur.

Là encore, ce dernier avait connaissance d’un rapport alarmant quant à un risque d’infestation mais le rapport ne mentionnait pas la présence effective d’insectes. La juridiction d’appel avait condamné le diagnostiqueur à la réparation du préjudice matériel et débouté l’acquéreur de sa demande d’indemnisation du préjudice de jouissance.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt uniquement sur le moyen relatif à l’indemnisation du préjudice de jouissance en reprenant les termes de la décision de 2015 sus évoquée.

Ces décisions, sévères au vu des faits, répondent à une volonté grandissante de protéger les acquéreurs de biens immobiliers.

Aurore TABORDET-MERIGOUX Avocat en Droit Immobilier à Paris e-mail : aurore.merigoux@tabordet-avocat.com Site internet : http://www.tabordet-avocat.com/ Blog : http://www.tabordet-avocat.com/blog/
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