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La prohibition temporaire des cessions onéreuses des contrats de vente de lait par la loi Sapin II. Par Alexandre Guillois, Avocat.
Parution : mardi 7 mars 2017
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Depuis le 11 décembre 2016, date de l’entrée en vigueur de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, la cession à titre onéreux des contrats de vente de lait est interdite pendant une période de sept ans.

Les quotas laitiers ont structuré pendant trente et un ans l’organisation de la production laitière. Depuis leur suppression au 1er avril 2015, ce sont les laiteries qui régulent la production. Elles ont repris la main et définissent un volume de collecte dans des contrats conclus sous l’égide des dispositions de l’article L631-24 du Code rural.

Aujourd’hui, les contrats de laiteries se vendent comme des petits pains. Il faut dire que la valorisation de ce «  droit à produire » n’était plus d’actualité depuis 1994.

En effet, selonl’arrêt de la CJCE Queen c/ Ministry of agriculture du 24 mars 1994, le droit de propriété garanti dans l’ordre juridique communautaire ne comportait pas le droit à la commercialisation d’un avantage tel que les quantités de référence allouées dans le cadre d’une organisation commune de marché.

Cette solution avait été confirmée par la Cour de cassation (Arrêt du 31 octobre 2012 (10-17.851) - Cour de cassation - Troisième chambre civile), la vente des quotas laitiers à l’occasion d’une cession d’exploitation constituait un pas de porte prohibé au sens de l’article L.411-74 du Code rural.

Rappelons à ce titre que les dispositions de cet article s’appliquent dans le cadre de la conclusion d’un bail rural et érigent la pratique du pas de porte en délit.

« Sera puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30.000 € ou de l’une de ces deux peines seulement, tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l’occasion d’un changement d’exploitant, soit obtenu ou tenté d’obtenir une remise d’argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d’imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci. »

Pour autant, la valorisation des contrats de laiteries, en sorte de droit de présentation, n’entre pas dans le cadre de ces dispositions puisque le volume de collecte est un droit tiré d’un contrat entre particuliers alors que les quotas laitiers constituaient une autorisation administrative non négociable et, de fait, non valorisable selon le juge communautaire et le juge français.

Le Projet de loi (« SAPIN II ») relatif a la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dressait ainsi le bilan d’une pratique de "marchandisation" des contrats d’achats de lait entre producteurs et acheteurs contribuant à l’alourdissement des charges des producteurs et risquant ainsi d’accroître la désorganisation actuellement constatée du secteur.

Sur les préconisations du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, il a donc été projeté d’interdire la marchandisation des contrats laitiers pendant la période nécessaire à la transition progressive vers de nouveaux équilibres.

La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite Loi SAPIN II) a été adoptée le 9 décembre 2016 et impose une prohibition de cette pratique pendant une période rallongée à sept ans, initialement prévue pour cinq ans dans le projet de loi . L’article 95 de cette loi insère en effet deux nouveaux articles dans le Code rural en ce sens, codifiés respectivement L631-24-1 (spécifiquement pour les contrats de lait de vache) et L631-24-2.

En définitive, cette interdiction devrait traduire une résurgence des usages de cessions déguisées en pas-de-porte qui se pratiquaient avec les quotas laitiers.

Alexandre Guillois.